Des travailleurs sans-papiers en grève pour exiger leur régularisation ont été expulsés à l’aube, ce jeudi, de l’immeuble parisien qu’ils occupaient. Ils ont décidé de rester dans la rue jusqu’à être reçus par le ministère du Travail. Malgré des concessions du patronat vers des régularisations, les négociations restent toujours au point mort avec le gouvernement. Reportage.
L’ambiance est conviviale, à la sortie du métro Saint-Placide. Les djembés retentissent, quelques hommes font des ablutions puis la prière. Une centaine de personnes discutent tranquillement, encadrés par une police anti-émeute dont on remarque à peine la présence. Les hommes en bleu sont soigneusement ignorés par les manifestants sans-papiers, expulsés de leur piquet de grève rue du Regard. « Il était prévu qu’une délégation syndicale rencontre le ministre du Travail Eric Woerth bientôt, dans deux semaines il me semble », explique le militant CGT sans-papiers Traore Damonzo. Mais après leur expulsion de l’immeuble qui abrite le Fonds d’assurance formation des salariés du bâtiment et des travaux publics (FAF-SAB), ce jeudi matin aux aurores, les manifestants exigent une rencontre immédiate.
« Nous resterons ici le temps qu’il faudra, sous la pluie s’il le faut », affirme Damonzo avec détermination. L’objectif est inchangé depuis le déclenchement du mouvement de grève en octobre : la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers. « Des discussions ont lieu en interne au ministère pour décider s’ils veulent bien nous recevoir », rapporte Raymond Chauveau, coordinateur à la CGT du mouvement des sans-papiers, dont l’organisation est chargée, avec d’autres syndicats et associations, de négocier avec le ministère.
Le bâtiment était occupé depuis décembre, et plusieurs décisions de justice avaient autorisé les forces de l’ordre à intervenir pour procéder à l’expulsion. Celle-ci ne se sera pas déroulée sans quelques coups de matraques. « Beaucoup ont été obligés de laisser leurs affaires derrière eux », dénonce Damonzo, qui précise qu’il n’était pas sur les lieux.
Les négociations au point mort
Les passants donnent souvent volontiers quelques euros pour la caisse de grève. Mais beaucoup passent aussi sans un regard et de rares habitants du très huppé sixième arrondissement semblent excédés par le désordre créé par le rassemblement. L’actrice et réalisatrice Josiane Balasko s’est déplacée pour apporter son soutien, ainsi que l’acteur Louis Garrel. Plusieurs personnalités politiques sont également venues. « J’ai aperçu entre autres Augustin Legrand [conseiller régional Europe Ecologie] et Jean-Paul Huchon [président socialiste du conseil régional d’Île-de-France] », rapporte un étudiant venu en support.
Echarpe d’élu sur l’épaule, le conseiller régional du Parti de gauche (PG) Eric Coquerel s’insurge « contre la transformation en bouc-émissaires des immigrés par le gouvernement », en particulier des sans-papiers. Le ministre de l’Immigration Eric Besson a présenté mercredi un nouveau projet de loi pour durcir les conditions d’immigration, le cinquième en l’espace de six ans. Une annonce qui ne réjouit pas Danielle Simonnet (PG), conseillère de Paris. Entrant dans la conversation, celle-ci dénonce vigoureusement l’« hypocrisie » gouvernementale : « Le gouvernement prétend vouloir interdire les marchés et aides publiques aux entreprises qui emploient des sans-papiers… Mais des secteurs entiers fonctionnent sur leur dos, les patrons eux-mêmes l’ont reconnu dans une déclaration commune avec des syndicats début mars ! ».
« Au niveau national, les négociations sont au point mort. Il y a eu un contact avec Besson en janvier et puis c’est tout », regrette Raymond Chauveau, avant d’ajouter : « La seule avancée porte sur nos discussions avec le patronat ». Beaucoup d’employeurs acceptent désormais d’effectuer les démarches pour le document Cerfa, indispensable à la régularisation. « Une circulaire a été bien été émise par le ministère le 24 novembre dernier, mais nous avons refusé de remplir les dossiers car nous ne voulons pas de l’arbitraire du cas par cas, nous voulons une régularisation générale », précise Traore Damonzo.
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(Photos : Anne Brigaudeau)