Les autorités françaises ont profité du torrent médiatique provoqué par le film Indigènes pour annoncer dimanche la revalorisation de certaines pensions d’anciens combattants étrangers. Un geste sans grande incidence sur la vie des militaires retraités, mais avec lequel le gouvernement espère freiner leur ardeur à réclamer une égalité de traitement avec leurs collègues français.
Jacques Chirac veut participer à la fête Indigènes mais ne veut pas payer. Ou si peu. Hamlaoui Mekachera, le ministre français délégué aux Anciens combattants, a attendu la sortie du film de Rachid Bouchareb, mercredi prochain, avec Jamel Debbouze, pour annoncer dans le Journal du Dimanche la revalorisation de certaines pensions aux combattants étrangers engagés auprès de la France. Depuis 1959 et la « cristallisation » (le gel) de leurs pensions , les anciens combattants étrangers, de même que les fonctionnaires civils, touchaient les mêmes sommes sans que celles-ci ne puissent être réévaluées. Mais suite à l’arrêt Diop, adopté en novembre 2001 par le Conseil d’Etat, les autorités françaises ont dû revoir leur copie. La haute juridiction administrative jugeait en effet que la France, en ne donnant qu’un tiers de la retraite que ce sergent-chef sénégalais aurait perçue s’il avait été Français, s’était rendue coupable de discrimination fondée sur la nationalité. La solution, trouvée en 2002 (loi de financement rectificative du 30 décembre 2002) : calculer les pensions sur la base du pouvoir d’achat propre au pays de chaque fonctionnaire. C’est la « parité du pouvoir d’achat ».
Une parité inventée qui est loin de satisfaire les anciens combattants, qui souhaitent un alignement pur et simple sur les pensions françaises, de deux à trois fois plus élevées que les leurs. Dimanche, Hamlaoui Mekachera a justement annoncé qu’on allait désormais tendre « vers la parité nominale, en euros ». Mais seulement pour les pensions de ceux qui ont payé « le prix du sang », précise-t-il. « Mekachera a inventé ce concept pour signifier que la revalorisation sera limitée à la retraite du combattant et aux pensions militaires d’invalidité », explique Serge Slama, maître de conférence en droit public et membre du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Ces pensions représentent peu par rapport aux retraites mensuelles ( acquises après 15 ans de service pour la France ) des militaires de carrière étrangers et vont rester indexées sur le pouvoir d’achat du pays.
Avoir payé « le prix du sang » et dormir dehors
« Le prix du sang ? Nous avons tous servi sous la mort, quelle différence cela fait-il ? », demande Alioune Kamara, directeur de l’Office national des anciens combattants sénégalais et ancien d’Indochine et d’Algérie. « S’il s’avère que seules les retraites de combattant et les pensions d’invalidité sont concernées, c’est insignifiant. La retraite de combattant est touchée tous les six mois et n’est que de 68 000 FCFA au Sénégal, contre 150 000 en France. Même si elle est revalorisée, ce sera insignifiant. C’est un alignement de toutes les pensions qui aurait arrangé les anciens combattants africains », poursuit-il, expliquant comment certains d’entre eux sont amenés à dormir quelques mois dans la rue afin de faire l’économie d’un loyer.
Même après la loi de financement de 2002, le Gisti, d’autres associations et des particuliers, ont continué à dénoncer l’existence d’une différence de traitement fondée sur la nationalité et dissimulée derrière un critère de résidence. Le Gisti a porté l’affaire en 2005 auprès de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), qui n’a pas donné suite. Il a ensuite ouvert un recours auprès du Conseil d’Etat, qui a rendu un arrêt le 18 juillet dernier. Soit quatre jours après que le président Chirac eut fait part de son intention de faire un geste en direction des anciens combattants étrangers lors de son discours du 14 juillet. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a reconnu une différence de traitement entre nationaux et ressortissants des anciennes colonies, mais a affirmé qu’elle ne constituait plus, depuis 2002, une discrimination. La Haute juridiction laisse en effet au gouvernement une « marge d’appréciation » pour juger si il trouve des « justifications objectives et raisonnables » à cette différence de traitement. Mais rien n’indique que cette argumentation serait tenable devant la Cour européenne des droits de l’homme.
« Une course de vitesse médiatique »
« Au sein des ministères de l’Economie et des Finances et des Anciens combattants – deux des trois ministères de tutelle, avec la Défense – on a fait l’analyse que nous ne lâcherions pas, explique Serge Slama. Il y avait une réflexion de la part des autorités pour parer à d’éventuelles attaques devant la cour européenne des droits de l’homme, mais les décisions n’auraient sans doute pas été annoncées si vite ». Avec la sortie d’Indigènes, « ils se sont précipités dans une course de vitesse médiatique », estime le juriste.
Ce ne serait donc pas seulement pour faire plaisir à Jamel Debbouze ou à Bernadette Chirac, émue par le film, que Mekachera a fait sa sortie médiatique dimanche. Ouf ! Même s’il faut saluer le travail de communication fait autour de la question des pensions par les cinq principaux acteurs d’Indigènes, Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Sami Nacéri et Bernard Blancan, tous primés pour leur interprétation à Cannes.
Crédit photo : Centre de ressource sur les troupes de marines françaises.
Consulter le dossier sur les « Tirailleurs sénégalais »