La controverse bat son plein autour du film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, sélectionné en compétition officielle, sous pavillon algérien, au Festival de Cannes où il sera présenté le 21 mai. Et pour cause : le film revient sur les massacres de Sétif du 8 mai 1945. La polémique a été lancée par un député UMP, Lionel Luca, qui multiplie depuis quelques jours les déclarations dans la presse pour dénoncer une falsification de l’histoire. Dans une tribune au Monde, un groupe d’intellectuels et d’historiens est monté au front pour défendre « la liberté de création ».
Un véritable procès d’intention. Avant même sa sortie en salles, la polémique ne désenfle pas autour du film Hors-la-loi du franco-algérien Rachid Bouchareb. En compétition officielle au festival de Cannes (du 12 au 23 mai), le film ne cesse de défrayer la chronique depuis qu’un député UMP, Lionel Luca (Alpes-Maritimes), l’a accusé d’ «anti-français ».
Le film s’ouvre sur les massacres de Sétif, Gulema et Kherrata le 8 mai 1945, et dont nombre d’historiens pensent qu’ils sont à l’origine du déclenchement de la guerre d’indépendance neuf ans plus tard. Il raconte les parcours de trois frères, témoins de ces douloureux évènements et qui partent ensuite pour la France où ils se trouveront pris dans la tourmente de la guerre d’Algérie.
« Pourrir » le Festival de Cannes
Un collectif nommé « Vérité Histoire – Cannes 2010 » promet d’enflammer le tapis rouge. Proche de l’extrême droite, il appelle sur un site Internet à manifester à Cannes et à « pourrir » le Festival, dénonçant une «propagande politique » et «un véritable complot contre la France, son histoire, sa présence et son oeuvre en Algérie ». Inquiet des proportions de cette polémique, un groupe d’intellectuels a publié dans Le Monde mercredi une tribune, sous le titre « les guerres de mémoires sont de retour», pour défendre le film. Le texte, dont sont notamment signataires Yasmina Adi (réalisatrice), Didier Daeninckx (écrivain), Mohammed Harbi et Benjamain Stora (historiens), revient sur les circonstances dans lesquelles est née la polémique. Non contant de la manière dont le scénario décrit les massacres du 8 mai 1945, le député Lionel Luca avait dès l’automne 2009 saisi le secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants, Hubert Falco, puis lui a envoyé une lettre, le 7 décembre, où il dénonçait le soutien financier apporté au film par le Centre national du cinéma (CNC), et demandé que le film ne soit pas présenté à Cannes sous pavillon français.
Sarkozy voulait voir « Hors-la-Loi »
En septembre 2009, le général de division Gilles Robert, chef du service historique de la défense, avait, lui, rendu un avis critique sur le film, relevant des « invraisemblances grossières » d’un scénario qui « n’a été précédée d’aucune étude historique sérieuse ». Mais « personne n’a demandé à Francis Ford Coppola de raconter dans Apocalypse Now la guerre du Vietnam avec une précision « historique » », réplique les signataires dont la plupart sont des historiens, estimant que « l’évocation d’une page d’histoire tragique peut aussi bien passer par la fiction, avec ses inévitables raccourcis, que par les indispensables travaux des historiens ». Le texte dénonce en outre les « milieux nostalgiques de la colonisation (qui) continuent de chercher à faire obstacle à la liberté de la création et à la nécessaire reconnaissance du passé colonial de la France ». Et de conclure : « Le pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l’histoire que nos concitoyens iront voir demain sur nos écrans. »
Début avril, le président Nicolas Sarkozy lui même a demandé à voir Hors la loi, révèle le magazine L’Express. Mais le réalisateur et son producteur associé, Jean Bréhat, ont opposé une fin de non-recevoir à l’Elysée, précisant que « c’est avant tout un film de gangsters ». Nicolas Sarkozy devra aller à Cannes pour voir le film de Rachid Bouchareb, qui sera projeté le 21 mai.
Les Algériens en parlent
Dans sa livraison du vendredi 7 mai, El-Watan Week-end a consacré un dossier au film de Bouchareb en donnant la parole à des intellectuels algériens préoccupé par l’ampleur de la polémique. Pour Ahmed Bedjaoui, universitaire et critique de cinéma, il s’agit d’une « tentative d’exploitation (après tant d’autres) de l’Histoire par une minorité de politiques qui n’ont rien d’autre à offrir à leurs électeurs que la haine et la nostalgie coloniale au lieu de contribuer à bâtir un avenir dédramatisé des relations algéro-françaises». Et d’ajouter : « les cinéastes américains ont largement traité de la guerre du Viet-Nam et ont copieusement dénoncé les exactions de leur armée, tant en Corée, qu’au Viet-Nam ou plus récemment en Irak. Nul n’a songé à demander à Walsh, Cimino, Coppola ou Matt Damon de s’expliquer sur les faits historiques ». Yacef Elhocine, producteur et frère de Yacef Sadi, figure historique de la révolution mais aussi producteur et acteur de La Bataille D’Alger, en reste pantois : «c’est exactement le même scénario que lors de la sortie de La Bataille d’Alger en 1970 (interdit pendant plusieurs années en France), se souvient-t-il. Mais, chose regrettable, ce qui pouvait être justifié lors de la sortie de La Bataille d’Alger, dix ans tout juste après l’Indépendance, se répète 50 après. Les mentalités n’auraient donc pas évolué.»