Français, musulmans, et heureux


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Les tenants de la « guerre des civilisations » affirment que l’Islam ne saurait se développer en Occident sans y créer une menace. Mais cette campagne rencontre fort peu d’écho en France où l’Islam est présent depuis le Moyen-Age, quoique de manière très minoritaire.

Par Jean-Pierre Filiu

La conquête de l’Algérie en 1830, puis les protectorats français sur le Maroc et la Tunisie, ont conféré une forte dimension nord-africaine à l’Islam de France. Et c’est pour honorer le sacrifice de dizaines de milliers de soldats musulmans, tombés durant la Première guerre mondiale, que la République décide en 1922 de bâtir une Grande mosquée au coeur de Paris.

La laïcité est profondément enracinée dans l’histoire de France et ce long passé affecte la situation actuelle de l’Islam. Ainsi, lorsque la Révolution de 1789 accorde la pleine citoyenneté aux Juifs de France, elle leur conteste dans le même élan le droit de s’organiser en communauté et la République nourrit jusqu’à aujourd’hui une méfiance persistante envers toute forme de multiculturalisme. La séparation entre l’Eglise et l’Etat est instituée en 1905, mais l’Islam est absent de ce pacte entre la République et le culte catholique : les mosquées sont souvent établies en France sur la base d’associations culturelles (et non cultuelles).

Les statistiques religieuses ou ethniques sont illégales en France et les estimations du nombre de musulmans oscillent entre 4 et 5 millions, soit 6 à 8% de la population totale. La France accueille la plus importante population musulmane d’Europe occidentale, en termes absolus et relatifs, mais elle a aussi plus généreusement accordé la nationalité que les pays voisins. Les musulmans de France sont ainsi majoritairement français et les liens avec les pays d’origine se distendent naturellement au sein de la deuxième, et surtout de la troisième génération établie en France. Le taux de mariage avec des non-musulmans va de 20 à 50% suivant les groupes concernés, ce qui rend discutable le concept même de « communauté ».

Il est impossible de réduire l’Islam de France à tel ou tel stéréotype, car il s’agit d’une réalité d’une grande diversité. Tout d’abord, une proportion importante de « musulmans sociologiques » déclare dans les sondages n’avoir aucune religion. Quant aux pratiquants interrogés, ils privilégient la prière individuelle à la fréquentation, même hebdomadaire, de la mosquée. Le jeûne du Ramadan est en revanche de plus en plus respecté, avec souvent des soirées ouvertes à toutes et à tous. Les différentes confréries soufies sont actives en France et 40.000 personnes effectuent le pèlerinage annuel à La Mecque. Enfin, la conversion à l’Islam est un phénomène notable, que représentent, entre autres, le footballeur Franck Ribéry ou le rappeur Abdel Malik.

La République laïque se veut neutre envers toutes les religions, ou envers l’absence de religion. Cependant, elle doit traiter avec les responsables du culte musulman les questions d’abattage et de calendrier rituels, de cimetières confessionnels, d’aumônerie dans les forces armées,… Un laborieux processus de consultation a amené à l’élection en 2003 du premier Conseil Français du Culte Musulman, dont la compétence et la légitimité sont strictement limitées à ces questions religieuses (de nombreuses voix se sont par ailleurs élevées pour contester à ce conseil quelque autre représentativité).

Le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, reconduit à la présidence de ce Conseil en 2005, a cédé celle-ci en 2008 à un professeur d’université, Mohammed Moussaoui, dans une évolution aussi symbolique que significative. Mais le travail le plus important est souvent accompli au niveau des conseils régionaux du culte musulman, et en liaison avec les autorités locales.

Les émeutes des banlieues à l’automne 2005 ont improprement été qualifiées de « musulmanes », surtout dans la presse anglo-saxonne, alors que l’Islam n’a joué dans ces graves violences sociales de rôle ni positif (aucun appel au calme lancé depuis les mosquées n’a été entendu), ni négatif (aucun agitateur islamiste n’a été identifié). Quelques mois après ces troubles, une étude du Pew Research Center, menée dans quatre pays d’Europe, montrait d’ailleurs que les trois quarts des musulmans de France ne voient aucune contradiction entre l’observance religieuse et l’intégration sociale (contre seulement un tiers des musulmans de Grande-Bretagne).

La citoyenneté française et la foi islamique participent de la même identité pour les personnes interrogées (alors que seule une infime minorité de musulmans mettent en avant leur nationalité en Allemagne ou en Espagne). La prise en compte par la République laïque de la diversité de l’Islam est pour beaucoup dans ce résultat.

Jean-Pierre Filiu est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, auteur notamment de « L’Apocalypse de l’Islam » (Fayard, 2008), grand prix des rendez-vous de l’Histoire.

Source: Service de Presse de Common Ground, 5 décembre 2008
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