Au Burundi, à l’approche des prochaines élections (juin-juillet 2010), organisées pour couronner la transition démocratique du pays après plusieurs années de conflit civil, l’insécurité grandissante et les limites imposées à la liberté politique sont source de préoccupations de plus en plus vives.
« La situation est explosive », a estimé Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). « Les personnes démobilisées [anciens membres de groupes armés aujourd’hui dissous] sont devenues incontrôlables », a-t-il expliqué (lire un article d’IRIN sur la circulation des armes et les mouvements de jeunesse politique).
« Les jeunes du CNDD-FDD [le parti au pouvoir] causent beaucoup de problèmes dans le pays. Mais en réaction à cela, les jeunes du FRODEBU [parti d’opposition] sont devenus très actifs. A en juger par leur nom, Intakangwa, qui signifie “ceux que rien n’effraie”, ils sont prêts à réagir à la moindre provocation », a déclaré M. Mbonimpa.
L’élection des conseillers des 117 communes burundaises aura lieu le 21 mai. Les élections présidentielles se tiendront le 28 juin, les élections législatives le 23 juillet, et les sénateurs seront élus le 28 juillet. En septembre, les Burundais voteront pour élire les conseillers des 2 639 « collines » burundaises, les plus petites divisions administratives du pays.
« Les gens se font tuer chez eux pour des raisons inconnues », selon François Bizimana, porte-parole du CNDD, un parti d’opposition.
« Quand nous organisons des réunions, les Imbonerakure y mettent fin et passent à tabac nos partisans », a-t-il rapporté, en allusion au mouvement de jeunesse du parti au pouvoir, dont le nom signifie ‘ceux qui voient de loin’.
« Certains de nos partisans sont arrêtés. Comment les gens peuvent-ils venir assister aux réunions dans ces conditions ? Comment les gens peuvent-ils voter pour notre programme si l’on ne nous donne pas la chance de le leur expliquer ? », a-t-il demandé.
« Avant, ils chantaient des chansons de guerre pour intimider nos membres, mais ils sont désormais passés des menaces aux actes, en tuant nos partisans ça et là », a allégué Jean-Bosco Havyarimana, porte-parole des Forces nationales de libération, un des mouvements rebelles convertis en partis politiques.
Facteur déstabilisant
Les mouvements de jeunesse politique sont un « important facteur déstabilisant » au Burundi, a averti Gertrude Kazoviyo, adjointe au président de l’Observatoire de l’action gouvernementale, en présentant le rapport annuel du Forum des organisations de la société civile, à la fin du mois de février.
Leader du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, autre parti d’opposition, Alexis Sinduhije, qui a passé plusieurs mois en prison entre la fin de l’année 2008 et le début de l’année 2009 pour avoir insulté le président Pierre Nkurunziza, a accusé les « agents des services de renseignement nationaux » d’avoir tué deux étudiants membres de son parti, en février 2010.
« J’ignore si un mandat d’arrêt a été émis, mais ils n’ont pas été traduits en justice », a-t-il dit à IRIN.
Onesime Nduwimana, président du parti au pouvoir, a rejeté l’idée que les meurtres commis récemment au Burundi puissent être liés à la politique ou aux élections. Pourtant, les journaux font état presque chaque jour d’affaires d’homicides involontaires, de telle ou telle espèce. En 2009, selon l’APRODH, 411 meurtres avaient été commis au Burundi, un pays qui compte quelque huit millions d’habitants.
« Nous avons des antécédents de conflits de toutes sortes, de conflits fonciers… Les gens peuvent s’entretuer en raison de ce qu’ils ont enduré pendant la guerre civile. Mais il y a une tendance à exploiter certains faits à des fins politiques », a-t-il expliqué.
Pour Salathiere Muntunutwiwe, analyste politique et professeur d’université, le climat qui règne à l’heure actuelle met en péril tout le processus électoral.
« En l’absence du libre exercice de la concurrence politique, les gens n’auront pas le droit de choisir qui ils souhaitent élire. Avec, en plus de cela, la méfiance des partis politiques en la capacité du gouvernement à organiser des élections libres et justes, tout cela risque d’aboutir au rejet des résultats des élections », a-t-il prévenu.
Des cas isolés
Pourtant, à en croire le président du parti au pouvoir, de manière générale, la situation est sous contrôle. « Il y a des cas isolés dans les provinces où l’administration est faible et mal organisée, comme Kirundo [dans le nord], ou dans certaines zones comme Kinama, dans la capitale. Toutefois, les individus responsables de ces actes sont sanctionnés comme il se doit », a ainsi assuré M. Nduwimana.
« Comparé aux années 1960 et à 1993, la situation est plus favorable. Aujourd’hui, il n’y a pas de méfiance interethnique ou régionale chez les Burundais, il n’y a pas de situation de guerre comme c’était le cas en 1993 », a-t-il ajouté.
S’il écarte la probabilité d’un retour à la guerre totale, M. Sinduhije, le leader d’opposition auparavant incarcéré, pense que l’instabilité est un stratagème délibérément imaginé par le parti au pouvoir « pour faire prolonger son mandat ou forcer les électeurs à voter pour lui ».
Un point de vue dont s’est fait l’écho Léonce Ngendakumana, président du FRODEBU, qui à la fin du mois de février a accusé des éléments de la police et de l’armée « d’intimider la population pour la forcer à voter en faveur du parti au pouvoir ».
La neutralité de la police en question
La nature partisane de certains membres des forces de sécurité est en partie due au fait que bon nombre d’entre eux sont issus d’anciens mouvements rebelles, intégrés aux rouages de l’Etat après avoir signé des accords de paix.
« Bien qu’ils aient été formés, certains éléments des forces de sécurité nationales n’ont pas encore [assimilé] qu’ils doivent rester neutres pendant le processus électoral », a expliqué Mme Kazoviyo, de l’Observatoire de l’action gouvernementale.
Dans un rapport sur le Burundi, publié en février et intitulé Ensuring credible elections [Assurer des élections crédibles], l’International Crisis Group a également noté que « la police restait passive ou se faisait la complice des violations dont se rend coupable le parti au pouvoir ».
« L’on craint à juste titre qu’ils puissent se politiser, à l’instar des services de renseignement nationaux, qui tentent déjà de déstabiliser l’opposition », a averti l’ICG, appelant les pays voisins à constituer une force régionale pour aider à former leurs homologues burundais et soutenir les mesures de sécurité et de surveillance mises en œuvre au cours des élections.
Par ailleurs, les revendications des grades inférieurs concernant leurs conditions de vie sont une cause de préoccupation supplémentaire, depuis que des manifestations ont donné lieu à des arrestations et à des renvois.
« Il y a une méfiance grave entre les officiers subalternes et les commandants. Une délégation d’officiers subalternes est venue me dire que si leurs revendications n’étaient pas satisfaites avant les élections, ils incendieraient les bureaux de vote », a rapporté à IRIN M. Mbonimpa, activiste des droits humains.