L’Université des Montagnes forme depuis 2000, au Cameroun, des étudiants en médecine et en sciences et technologies. Si l’établissement n’est pas encore pleinement reconnu par l’Etat, il fonctionne de façon complètement autonome grâce à la mobilisation de la diaspora, qui apporte son aide en argent mais surtout en nature. Interview du Dr Etienne Tatou, doyen accesseur de l’Université des Montagnes et vice-président de l’antenne française de l’Association pour l’éducation et le développement, à l’origine de l’initiative.
L’Université des Montagnes ou quand l’Afrique se prend en main. Etablissement universitaire entièrement privé, l’Université des Montagnes, lancée en 2000 au Cameroun, propose un cursus en médecine et un autre en sciences et technologies[[<*>Informatique, Réseaux, Télécommunications,
Instrumentation et Maintenance Biomédicale)]]. Fort de quelque 350 étudiants, elle a été créée par l’Association pour l’éducation et le développement (AED) et vit grâce à la solidarité et à la mobilisation de la diaspora camerounaise. Le Dr Etienne Tatou, chirurgien cardio-vasculaire et thoracique au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon (France), doyen accesseur de l’Université des Montagnes et vice-président d’AED France, nous explique le fonctionnement de l’école, la valeur des diplômes qu’elle décerne et le rôle pragmatique de la diaspora.
Afrik.com : Comment est née l’Université des Montagnes ?
Etienne Tatou : L’université des Montagnes est l’aboutissement d’une réflexion menée par l’Association pour l’Éducation et le Développement (AED) sur le besoin de se réapproprier l’université afin de la mettre au service de notre société. L’AED est ensuite venue demander le soutien de la diaspora pour faire avancer cette université. La dynamique a été lancée en 2000.
Afrik.com : Quels cursus proposez-vous exactement ?
Etienne Tatou : La première faculté à ouvrir ses portes a été celle des Sciences de la Santé (médecine et pharmacie), en 2000. A suivi une année plus tard celle des Sciences et de Technologie. Il existe enfin un Institut des Etudes africaines et des langues, institut non diplômant qui dispense des cours de culture et de civilisation africaines aux étudiants des deux facultés de façon à former l’homme complet dans son milieu.
Afrik.com : Combien d’étudiants sont inscrits à l’UdM ?
Etienne Tatou : Nous comptons actuellement 341 étudiants toutes promotions comprises.
Afrik.com : Quel est le rôle de la diaspora au sein de l’UdM ?
Etienne Tatou : Quand l’AED Cameroun a demandé l’aide de la diaspora, la réponse a été immédiate. Il y a eu la création d’associations équivalentes dans différents pays (France, Allemagne, Canada, Etats-Unis…). Ces structures travaillent dans la collecte du matériel pédagogique, médical et technique qu’elles envoient régulièrement au Cameroun. Dans le cas plus particuliers de l’AED-F (Association pour l’Education et le Développement – France), nous assurons également la mobilisation et l’information autour de l’UdM, auprès de la diaspora et au Cameroun. Nous avons, par ailleurs, une commission pédagogique qui participe à l’élaboration et à l’amélioration des différents programmes d’enseignements dispensés à l’UdM. Nous avons enfin relancé l’activité de missionnariat. Elle consiste à prendre des personnes compétentes dans la diaspora et à leur organiser un séjour au Cameroun où elles iront enseigner et partager leur savoir et leur savoir-faire. Le mot d’ordre est que personne n’aille au pays sans apporter ne serait-ce qu’un livre pour la bibliothèque de l’UdM, ou sans ménager dans son emploi du temps, quelques heures, un jour, une semaine, un mois pour rendre service à l’UdM.
Afrik.com : Comment est financée l’université ?
Etienne Tatou : Il y a plusieurs axes de financement. D’une part, les membres des AED cotisent. D’autre part, il y a des dons qui peuvent être effectués en espèce ou en nature, comme les 205 hectares de terrain sur lesquels est implantée l’université qui sont un don du chef supérieur Bangangté. Il y a aussi tout ce que la diaspora apporte au niveau matériel. Et il y a enfin la scolarité des étudiants. Ces apports font fonctionner l’université et génèrent des bénéfices qui sont totalement réinvestis dans la construction, l’équipement et le fonctionnement de l’institution. Ainsi, après quatre ans d’existence, nous avons pu construire le premier bâtiment de l’université sur le site définitif à Banékané.
Afrik.com : Quel est le budget de l’Université ?
Etienne Tatou : Il est, essentiellement, constitué de recettes sur lesquelles nous pouvons compter immédiatement, c’est-à-dire les frais d’inscription des étudiants. Nous avons près de 300 étudiants en Faculté des Sciences de la Santé, chacun devant s’acquitter d’un million de FCFA de frais de scolarité par an. Et il faut rajouter 500 000 FCFA pour chacun de la trentaine d’étudiants inscrits à la Faculté des Sciences et de Technologie.
Afrik.com : Quels sont les besoins actuels de l’UdM ?
Etienne Tatou : Ils sont financiers, mais également matériels. Nous avons construit un premier bâtiment sur notre site définitif pour accueillir le Centre hospitalier universitaire indispensable pour le fonctionnement de la Faculté des Sciences de la Santé. L’UdM a donc besoin d’équipements, médical et paramédical, afin d’assurer le bon fonctionnement du CHU au bénéfice des étudiants stagiaires et de la population locale.
Afrik.com : Combien d’enseignants travaillent pour l’UdM ?
Etienne Tatou : On a des enseignants permanents ainsi que des vacataires qui nous viennent des autres universités du pays. Nous devons être près de 80 au total, permanents et vacataires tout compris. Jusqu’ici nous n’avons pas eu de ratés par rapport à la paye des enseignants et je peux même vous révéler que l’Université des Montagnes paie beaucoup mieux que toutes les autres universités de la place.
Afrik.com : L’Université des Montagnes a-t-elle été créée pour pallier le manque de structures publiques ?
Etienne Tatou : Il faut reconnaître que, dans tous les pays, l’Etat ne peut pas tout faire. Et il ne peut pas tout faire correctement. Cela ne veut pas dire que le privé doive se substituer à l’Etat. Mais le privé est un complément indispensable de l’Etat. En retour, ce dernier organise la vie sociale, économique et politique du pays ainsi que la justice pour garantir un environnement sain.
Afrik.com : L’UdM est-elle reconnue par l’Etat ?
Etienne Tatou : Nous avons déjà l’arrêté de création qui permettait la fondation de l’Université. Mais il nous faut également avoir l’arrêté d’ouverture de l’Université qui est en cours. Le 12 janvier dernier, nous avons eu l’autorisation d’ouverture[[<**>(arrêté n° 5/0025)]] de l’Université mais uniquement pour les premières et deuxièmes années. Les choses prennent du temps. A titre d’exemple je rappelerai que l’Université catholique d’Afrique centrale a mis plus de 10 ans à avoir son autorisation complète. C’est uniquement lorsque ses étudiants ont été sur le marché du travail et ont montré beaucoup d’efficacité qu’on lui a officiellement octroyé la reconnaissance de ses diplômes. L’Université des Montagnes a signé des conventions avec la faculté de médecine de Yaoundé et avec beaucoup d’autres institutions partout dans le monde (France, République démocratique du Congo, Bénin etc.). Nos diplômes, à défaut d’une autorisation d’ouverture, devraient être parrainés par des établissements partenaires. A l’heure actuelle, nous ne connaissons pas l’attitude de l’Etat par rapport à nos diplômes. Mais si nos étudiants sont bien formés et produisent du bon travail sur le terrain, je pense que l’Etat suivra.
Afrik.com : Avez-vous déjà délivré des diplômes et quel type d’enseignement dispensez-vous ?
Etienne Tatou : La première promotion de licenciés en technologie est déjà sur le terrain et nombre d’entre eux ont été recrutés dans des firmes qui ont pignon sur rue : Les Brasseries du Cameroun, la Camair, etc. La première promotion de médecine est actuellement en 5ième année. Le parcours d’un étudiant, en médecine, dure 7 ans. A partir d’un enseignement classique, nous examinons les spécificités du Cameroun et nous essayons de mouler les programmes en conséquence. Car il ne faut jamais oublier que l’université doit être au service de la société qui l’entoure. Nos futurs médecins seront par exemple spécialisés dans les maladies tropicales, parce qu’ils y seront confrontés quotidiennement sur le terrain.
Afrik.com : Le problème de la fuite des cerveaux se pose de manière épineuse en Afrique. Comment comptez-vous y remédier ?
Etienne Tatou : L’UdM est, en elle-même, structurée pour essayer de rapatrier les cerveaux perdus. La fuite des cerveaux s’opère quand les compétences locales sont inutilisées. Si on fait aux gens des propositions qui valorisent, ailleurs, leurs compétences, ils s’en vont. La fuite des cerveaux a également un pendant politique. C’est l’intolérance, qui a le plus souvent caractérisé nos gouvernements, qui pousse les gens à s’en aller, bien souvent pour sauver leur tête. Je pense qu’il ne faut pas grand-chose pour qu’ils rentrent au pays, car la fibre nationale et sociale est toujours là. Dès qu’on la fait vibrer, les gens veulent rentrer. Ils ne sont pas trop exigeants surtout lorsqu’il s’agit d ‘un projet à but non lucratif comme dans le cas d’espèce. En revanche s’il devient lucratif, il est tout à fait normal de payer les gens par rapport au travail qu’ils fournissent.
Afrik.com : Y a-t-il un réel besoin de médecins au Cameroun ?
Etienne Tatou : Et comment !!! Il y a un réel besoin de médecins dans toute l’Afrique. Aucun hôpital ou clinique du Cameroun n’est aujourd’hui en mesure d’effectuer une artériographie ou une radiographie, examen pourtant tout à fait banal dans ma discipline en Occident. C’est certes un problème de matériel, mais sous-tendu par un problème humain. Car je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes spécialisées en chirurgie vasculaire périphérique. A chaque fois que je rentre au Cameroun, je pratique un très grand nombre d’opérations vasculaires (artères, ndlr). Il y a un réel manque de spécialistes et les spécialistes sur place sont surchargés. J’ai eu le temps de m’en rendre compte l’été dernier quand j’ai passé le mois d’août au Cameroun.
Afrik.com : Vous exercez au Cameroun quand vous y allez. Le contraste en matière de conditions de travail est-il saisissant ?
Etienne Tatou : J’ai travaillé dans un hôpital protestant au pays où j’ai passé trois semaines à opérer (chirurgie générale) et à consulter. J’ai vu des personnes atteintes du cœur qui auraient largement nécessité une intervention cardiaque. J’ai prescrit à ces malades des comprimés en sachant très bien qu’ils ne passeraient pas l’année. Parce qu’il n’y a aucune infrastructure sur place susceptible de régler le problème médical de ces patients. Ils ne peuvent pas non plus aller se faire opérer à l’étranger parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Quand vous êtes médecin, que vous prescrivez des médicaments à un malade en sachant pertinemment que la prescription n’est pas efficace, vous dormez mal la nuit.
Afrik.com : Quel appel aimeriez-vous faire ici?
Etienne Tatou : L’appel s’adresse à tous les membres de la diaspora africaine mais aussi à tous les sympathisants de l’Afrique. L’Université des Montagnes est une œuvre communautaire et un projet à but non lucratif. Tous les bénéfices que génère l’UdM sont réinvestis pour faire grandir l’université. Nous demandons à tout le monde de mettre la main à la pâte.
Afrik.com : Le concept de l’UDM peut-il être exporté ?
Etienne Tatou : Bien sûr. Nous ne demandons pas mieux que de voir l’initiative exportée. Et nous sommes tout à fait disposés à mettre notre expérience à la portée de ceux qui sont intéressés.
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