Il n’est pas aisé pour les entrepreneurs africains de trouver des investisseurs européens prêts à financer des projets dont la rentabilité ne fait pourtant aucun doute. Ce constat, c’est celui de Dominique Flaux, fondateur de la fondation Ema qui met en relation des investisseurs européens et leurs homologues du continent. Il nous fait part dans cet entretien de six années d’expérience et des difficultés rencontrées sur le terrain.
La Fondation Ema est une fondation suisse, qui a été créée en 1998, dont est à l’origine d’anciens professionnels de la presse économique et financière. Son objectif premier est de mettre en relation des investisseurs internationaux et des investisseurs du Sud. Forte de six éditions à
Genève, les forums Ema Invest ont vu la participation de milliers d’entrepreneurs, de facilitateurs et de bailleurs de fonds. La Fondation Ema était partenaire du colloque organisé en novembre dernier en Belgique sur le thème « De nouvelles relations avec l’Afrique pour créer des richesses » à l’initiative d’Echos Communications et du Partenariat pour le développement municipal (PDM).
Afrik.com : Comment est née cette initiative et la fondation qui la porte ?
Dominique Flaux : Elle est née d’un constat que l’on a réalisé en se déplaçant en Afrique. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup de très bons projets qui ne trouvaient pas d’investisseurs. Même quand ils sont rentables et que leurs promoteurs possèdent des fonds propres. Naïvement, nous avons cru que ces derniers ignoraient leur existence. Il fallait donc leur présenter ces entrepreneurs. Mais en six ans nous avons pris la mesure des nombreux obstacles, dont certains sont difficilement surmontables, qui se dressent devant les entrepreneurs africains et qu’il ne suffisait pas de les mettre en contact pour que les affaires se fassent.
Afrik.com : Quels sont ces obstacles ?
Dominique Flaux : Il n’existe tout d’abord aucune structure qui finance des projets dont le capital est compris entre 100 000 et 5 millions d’euros. Cela n’existe quasiment pas. Les banques et les fonds d’investissements ou même la Banque mondiale financent des projets à partir de 15 millions d’euros ou un peu moins. Hors la plupart des projets africains que l’on a reçus à Genève se situent dans la fourchette précédente. C’est d’ailleurs assez rare en Afrique de voir des entrepreneurs qui déploient 15 millions de dollars pour un projet. Et s’il y en a, ils n’ont pas besoin de la Banque Mondiale ou de nous. Nous avons vraiment fait le tour de la question au point de nous arracher les cheveux parce que les projets concernés étaient véritablement viables.
Afrik.com : Vous avez dû certainement changer de stratégie depuis… ?
Dominique Flaux : Au début, nous faisions de grands appels à projets où nous demandions aux entrepreneurs africains de venir à Genève. On l’a fait six fois et nous nous sommes aperçus que les affaires ne se faisaient pas pour autant, du moins dans une trop faible proportion pour justifier l’énergie et les fonds investis dans un tel déplacement en provenance de Kinshasa, de Dakar ou d’ailleurs sur le continent. Désormais, nous sommes plus sélectifs, nous travaillons plus en amont pour leur donner des contacts afin qu’ils fassent le déplacement en ayant déjà des rendez-vous et pris contact avec de potentiels investisseurs internationaux. En outre, les rapports économiques que nous entretenons avec l’Afrique sont un rapport de négoce, d’import-export. Pour schématiser, l’Europe achète des matières premières à l’Afrique et en échange elle envoit des produits manufacturés parmi lesquelles des armes, des voitures…C’est comme cela que fonctionnent les affaires entre ces deux continents. Un tel fonctionnement profite à bien des égards à l’Europe qui se fournit en produits bruts relativement à bon compte. Ce qui permet de générer en Afrique des pouvoirs très forts parce que quand l’économie nationale est une économie d’exportation, il suffit de tenir ce robinet pour tenir tout le pays. J’ajouterai même que plus le pays dispose de matières premières, plus la dictature est forte. Les pays qui possèdent du pétrole en sont une bonne illustration. Ni l’Europe, ni les pouvoirs en place sur le continent n’ont intérêt à voir se développer une classe de petits entrepreneurs qui aboutira à l’émergence d’une classe moyenne qui risque d’avoir des revendications. On se heurte donc là à un système qui ne favorise pas l’entreprenariat en Afrique. Il y a également un gros problème de centralisation. Vous ne pouvez développer des projets, dans de nombreux pays africains, qu’avec l’intelligentsia qui est au pouvoir.
Afrik.com : Apparemment les obstacles sont plus politiques qu’économiques…
Dominique Flaux : Le système économique qui s’est mis en place après la colonisation entre l’Europe et l’Afrique est toujours d’actualité. Ce dernier a fait que l’on a occulté les outils techniques qui auraient pu permettre aux entrepreneurs d’entreprendre dans des conditions qui leur sont favorables. Notre message est justement de dire que l’on peut déjà remédier à ce déficit technique.
Afrik.com : Comment ?
Dominique Flaux : Il existe des entreprises qui sont capables, en identifiant les risques et en leur apportant des solutions techniques, de sécuriser un projet et de le présenter à un organisme de financement. Seulement, c’est un service, fourni par des consultants internationaux, coûteux et payable d’avance qui n’est pas à la portée des entrepreneurs africains. Ce que nous proposons donc aujourd’hui, c’est de créer un fonds de sécurisation de projets qui financerait une telle démarche afin que ces derniers soient encore plus attrayants pour le capital.
Afrik.com : Vous évoquez notamment le risque pays …
Dominique Flaux : Les projets des entrepreneurs africains présentent pour certains entre 25 et 30% de rentabilité parce que les besoins ne demandent qu’à être satisfaits. Il n’y pas de risque industriel, la commercialisation se fait sans difficulté. Et sur un projet très rentable, on peut aisément couvrir le risque en général.
Afrik.com : Quels types de projets recevez-vous ?
Dominique Flaux : Le secteur le plus largement représenté est l’agro-alimentaire. Viennent ensuite le tourisme, l’environnement et l’immobilier, qui marche bien parce qu’il est facile à couvrir en termes de risque puisque le foncier sert de garantie.
Afrik.com : Que pensez-vous de la nouvelle politique africaine de l’Union européenne et que peut-elle vous apporter ?
Dominique Flaux : J’ai lu ce projet et je trouve qu’il va vraiment dans le bon sens. J’ai été agréablement surpris de voir une institution politique aussi importante que l’Union européenne prendre des positions qui donnent matière à espérer. Cela fait longtemps que je n’avais rien vu de comparable. J’ai par conséquent envie de partager notre expérience quant à la mise en relation finance-capital-entrepreneurs, puisque l’Union envisage elle-même de mettre en place ce type de forum. Nous souhaiterions, par ailleurs, la convaincre de financer cette interface que j’évoquais tantôt, au moins d’amorcer la création d’un fonds. Il sera ainsi plus facile pour nous d’aller vers le privé avec sa caution.
Afrik.com : Si vous deviez faire un bilan de vos six années d’activité, quel serait-il ?
Dominique Flaux : Nous avons pris la mesure de la distance entre les investisseurs africains et européens et celui du chemin à parcourir pour les rapprocher. Nous avons compris comment le faire et notre action aujourd’hui est de convaincre les institutions et le monde de la finance de changer d’attitude. Pour nous Européens, il est devenu urgent de permettre à l’Afrique de se développer par elle-même. Il est grand temps d’arrêter de penser qu’elle a besoin d’aide ou d’une quelconque tutelle. Elle a tout simplement besoin de bénéficier des mêmes règles du jeu que tout le monde. Quand les règles sont les mêmes comme sur un terrain de football, le Sénégal bat la France, la Côte d’Ivoire bat le Cameroun ou le Nigeria accède sans difficulté aux premières places mondiales. En économie, c’est exactement la même chose.
Afrik.com : Est-ce qu’on peut dire, compte tenu des difficultés qui sont les leurs, que les entrepreneurs africains sont plus pugnaces que leurs collègues d’autres continents ?
Dominique Flaux : Oui ! Les obstacles qu’ils ont à surmonter sont tellement importants qu’ils sont plus ‘musclés’. Car il est plus difficile d’entreprendre en Afrique qu’ailleurs. J’ai une admiration sans borne pour tous ces entrepreneurs qui se battent pour mener à bien leurs projets. En venant à Ema, ils savent qu’ils ont une chance sur vingt de nouer un contact décisif pour l’avenir, mais ils prennent tout de même le risque de le faire. Peu d’entrepreneurs ici sont capables de faire de tels efforts quand leurs chances d’aboutir sont aussi minces. Je trouve parfois qu’il est criminel de ne pas répondre à une telle volonté d’entreprendre.
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