Fonctionnement de la sorcellerie dans la prostitution africaine


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Des cérémonies de sorcellerie sont presque toujours utilisées pour effrayer les prostituées africaines et les obliger à rester dans le milieu. Amely-James Koh Bela a recueilli plusieurs témoignages lors de ses années de travail sur le terrain. Elle a livré à Afrik.com trois d’entre eux pour illustrer le rôle et le pouvoir de ces rituels dans la prostitution africaine en Europe.

Propos recueillis par Amely-James Koh Bela

« Nathalie », 22 ans, Nigériane

« Si je suis dans la merde, c’est parce que je n’ai pas respecté le pacte »

« […] Pour venir en Europe, ma famille m’a aidé pendant deux ans à réunir la somme de 15 000 dollars pour payer un monsieur qui faisait passer les filles. Nous étions récupérées par une femme qui nous hébergeait et nous trouvait du travail.

Tu veux dire qu’elle vous trouvait des clients ?

Oui, ce ne sont pas des femmes méchantes. Ce n’est pas gentil de dire du mal d’elles. Ce que les filles racontent, ce sont des mensonges.

Si elle est aussi gentille, que fais-tu alors dans ce squat ?

C’est ma faute, je n’ai pas respecté « le pacte »

Quel pacte ?

Avant de venir, le passeur nous a emmené chez une femme sorcière pour faire deux cérémonies. Une pour nous rendre attirantes, irrésistibles et performantes. L’autre pour s’assurer que nous serons obéissantes.

Peux-tu me donner des détails sur ces cérémonies ?

La première est une succession de bains dits « sacrés », avec des huiles préparées par la sorcière, à base de plusieurs plantes macérées, pour nous purifier. Pendant de longues heures, je répète comme une perroquet tout ce qu’on me dit sans comprendre un seul mot de ce que je dis. Elles nous rendent tellement désirables que tous les hommes qui nous approchent tombent sous notre charme et veulent tous être nos clients. Sous l’influence de ces huiles, nous avons beaucoup de clients et nous rapportons beaucoup d’argent. Nous avons des tubes d’huiles pour mettre sur notre peau et c’est la « mama » qui se sacrifie en allant se ravitailler au village quand la réserve est finie.

Tu es en train de me dire qu’il y a des marabouts qui envoûtent des clients à 10 000 km d’ici et que ça marche !

Oui, et c’est très efficace. Il ne faut pas jouer avec ces choses-là même si des gens comme toi se moquent de ces pratiques pour plaire aux Blancs.
[…]

Peux-tu me parler de l’autre cérémonie ?

La deuxième cérémonie est un « contrat » avec nos bienfaitrices. On nous prend des ongles, des cheveux et du sang. [On y ajoute] des os de volaille ou d’animaux. Les mêmes prélèvements sont réalisés sur une personne qui nous est très chère. Souvent, c’est la mère ou une sœur. Après une longue séries d’incantations, la sorcière a tout réduit en poudre et m’a demandé de sauter dessus en promettant d’être fidèle, reconnaissante et obéissante ; sans quoi il arriverait un malheur à ma mère Elles ne veulent pas nous faire du mal. Elles veulent juste se protéger contre les méchantes filles incapables et jalouses qui les trahissent et réduisant à néant leurs efforts et nos chances de surcroît. Quand on arrête une maman, nous tombons toutes. Nous sommes rapatriées et nous perdons tout. Nous revenons souvent sans problèmes, mais il faut tout recommencer. Et c’est cruel de faire ça à quelqu’un qui vous aide. Ce sont ces filles qui parlent aux gens comme toi et te disent ce que tu v eux entendre

Tu veux dire que les souffrances, les menaces, les punitions, le maraboutage et la prostitution forcée, elles l’inventent ?

Non. Ce milieu est dur pour tout le monde. Mais elles sortent les choses de leur contexte et les transforment. Je ne te comprends pas, le maraboutage, c’est comme manger du fromage ici. C’est à toutes les sauces. On va les consulter (les marabouts, ndlr) pour avoir des enfants, trouver un mari, réussir à un examen, soigner une maladie, être riche ou pour des choses plus graves et méchantes comme jeter de mauvais sorts aux gens et leur faire du mal. Alors pourquoi ça choque qu’on les utilise pour « rentabiliser nos affaires » ? Que des Blancs ne comprennent rien à nos pratiques, je comprends. Mais que toi l’Africaine tu fasses comme si c’était du chinois, je suis choquée. Reste avec eux car tu n’es plus des nôtres si tu ignores la coutume.
[…]

Pourquoi as-tu rompu le pacte ?

Je rapportais tellement d’argent que j’ai commencé à ne pas lui donner (à la « mama », ndlr) toute la recette. Elle ne s’en rendait pas compte. Ce sont les filles jalouses qui m’ont trahi à cause de ma superbe garde robe et surtout pour les clients qui ne voulaient que moi… Elle m’a mise dehors et, je ne sais pas si c’était une coïncidence, mais ma mère est gravement tombée malade. Je suis allée lui demander pardon (à la « mama », ndlr), mais elle avait trop mal au cœur et n’a pas trouvé la force de ma pardonner. Depuis j’erre de squat en squat. Je suis l’unique responsable. J’ai triché et j’en paie le prix … Tant qu’elle n’a pas pardonné, tant qu’elle détient mes ongles et autres, je lui appartiens. Le pire pour moi est que par ce comportement irresponsable, j’ai fermé la porte de l’Europe aux autres filles de la famille. j’espère que ma famille comprendra et pardonnera… »

« Anita », jeune Ivoirienne rencontrée dans un bar-restaurant à Strasbourg-Saint-Denis. Elle dit avoir 21 ans, mais paraît bien moins.

 « Personne n’a demandé mon avis, j’ai été piégée. »

« Quand et comment es-tu arrivée en France ?

Je suis en France depuis huit mois, mais j’ai passé deux ans en Hollande. C’est la meilleure amie de ma mère qui vit en Hollande qui est venue me chercher à Abidjan. Elle a dit à mes parents que j’étais une fille belle volontaire et qu’en m’aidant un peu, elle pouvait m’aider à réussir en Europe. Elle a dit qu’elle allait m’aider à trouver du ménage à faire car c’est très bien payé et que je pourrais aussi trouver un mari blanc comme sa fille, qui est un modèle de réussite pour toutes les filles du quartier. C’était un honneur d’être choisie car j’allais ouvrir le chemin aux autres filles de la famille. J’en étais fière.

Comment s’est passé ton départ ?

Ma famille a organisé une grande cérémonie pour dire au revoir. Tout le monde m’enviait. Ma tante a reçu des tonnes de bénédictions pour cette générosité dont elle faisait preuve. Elle nous a montré les photos de sa fille qui a épousé un Hollandais, leur belle maison… Elle a promis aux sages qu’elle ferait tout ce qu’elle pourrait pour que le rêve de sa fille soit celui des autres filles du quartier et que c’était sa façon de dire merci à Dieu. Après une prière, elle a fait venir un marabout pour des cérémonies de protection contre les mauvais sorts que des jaloux peuvent lancer. Madame, c’était des mensonges, des mensonges ! Un piège pour endormir les parents afin d’éviter la méfiance…

Peux-tu me parler de la cérémonie avec le marabout ?

Elle s’est déroulée deux jours plus tard en pleine nuit. J’étais toute nue. On m’a coupé une touffe de cheveux et des poils pubiens et coupé les ongles. C’est alors que j’ai vu ma mère sortir d’un morceau de tissus une serviette souillée qu’elle m’avait demandée pour faire une cérémonie. Le but était que ce soit moi que son amie choisisse entre les dizaines de filles. Ma mère a donné au marabout la serviette. Lui a aussi coupé les ongles de ma mère et pris une goutte de son sang. Je n’ai pas vu la suite car j’étais sous un pagne, mais le marabout a fait des incantations et des chants en trempant un balai dans du sang de mouton, dans lequel macéraient des herbes différentes. Il me donnait des petits coups de ce balai dégoulinant de sang sur tout le corps. Au bout d’un long moment, on m’a rincé le corps avec une eau spéciale et j’ai couru sans regarder derrière jusqu’à la maison avec pour ordre de ne pas me laver pendant cinq jours. J’avais juste le droit de faire une petite toilette intime. C’est quand nous avons eu des problèmes que j’ai découvert la vérité.

Quelle vérité ?

En fait, cette cérémonie était faite pour me rendre docile. Et si n’obéissais pas à ses ordres (de la « mama », ndlr), il m’arriverait des bricoles ainsi qu’à ma mère, qui avait donné son sang et ses ongles. Rien de tout ce qu’elle avait promis à ma famille ne s’est réalisé. Je n’ai fait aucun ménage, aucune scolarité. J’ai commencé à me rebeller, ce qui l’a énervé. Elle m’a menacé en me disant que (…) tant qu’elle possédait mes ongles et cheveux, je lui appartenais. Elle écrivait des fausses lettres à ma famille qui pensait que tout allait bien… Un jour, sa fille est venue me demander d’obéir, et c’est comme ça que je me suis retrouvée dans une cage en verre en train de me prostituer dans les quartiers chauds, à moitié nue et livrée aux regards voyeurs des passants. Quelles humiliations !! Un jour, je me suis enfuie et je suis allée voir la police pour leur raconter mon histoire. J’ai été expulsée et elle (la « mama », ndlr) n’a jamais été inquiétée, même pas arrêtée… Je suis venue par mes propres moyens avec une autre « mama » qui m’a emmené en France. J’ai subi les mêmes cérémonies, mais cette fois en sachant de quoi il s’agissait. Cette nouvelle « mama » va négocier l’achat de ma dette à l’autre « mama ». Elle récupérera mes ongles et me les rendra quand j’aurais payer ma dette. En attendant, je travaille avec trois autres filles qui appartiennent à la nouvelle « mama ». Nous travaillons dans un camion que nous louons à notre « mama », en plus de l’argent que nous lui reversons. Le peu qui nous reste permet d’aider nos familles. Comme il reste très peu d’argent, nous nous sommes arrangées entre nous pour donner à tour de rôle à chaque fille la totalité de la somme pour que cela représente quelque chose quand les parents la reçoivent… Voilà ma vie et celles de plusieurs filles venues chercher une vie meilleure… »

« Mama » M., 55 ans est une Congolaise assez connue du milieu à Bruxelles (Belgique), où elle possède un harem de filles magnifiques qui servent dans son restaurant et qui sont aussi à consommer. Elle réfute le terme de « proxénète » et préfère celui de « bienfaitrice » car elle estime rendre un service aux filles et à leurs familles.

« Pour ma sécurité, nous faisons un pacte. Nous signons un contrat… En cas de non respect les sanctions vont tomber. »

« […] Toutes les filles ne sont pas malheureuses. Certaines, très ambitieuses viennent nous trouver pour nous supplier de les prendre. Elles sont prêtes à tout pour aller en Europe. Mais nous ne pouvons pas prendre tout le monde. Je ne veux pas de filles égoïstes, têtues et ingrates qui crachent dans la soupe. Au lieu d’obéir, elles se rebellent, se mesurent à nous et nous causent des problèmes.

Quels genres de problèmes ?

Certaines se prennent pour des chefs et montent les autres filles contre nous. D’autres essaient de tricher en volant une partie des recettes. D’autres nous trahissent en tombant dans les pièges de certaines associations, qui prétendent les aider, mais leur volent des informations et les font expulser. D’autres vont raconter des mensonges à la police pour avoir des papiers.

C’est peut-être à cause des mauvais traitements que vous leur infligez ?

Ça c’est faux. Je suis une mère pour elles et elles sont comme mes propres filles. Je prends des responsabilités et des risques énormes en les faisant venir ici. C’est pour les aider. Et si elles se débrouillent bien, elles peuvent mettre de l’argent de côté et aider leurs familles. Avec un peu de chance et d’audace, certaines peuvent épouser des Occidentaux, ce qui facilitera plus tard l’arrivée d’une autre (fille, ndlr). Mais ma fille, tu sais comment ça se passe, c’est la solidarité : quand tu réussis, tu tires quelqu’un d’autre. Je n’ai aucun remords. Je ne prostitue pas des enfants, mais seulement des femmes majeures, volontaires et consentantes. Mais pour que tout se passe bien, je dois prendre des précautions…

Lesquelles ?

Avant le départ, je réunis la famille de la fille et les sages pour qu’elle promette solennellement de bien se tenir et d’obéir. Après avoir obtenu la bénédiction de la famille, nous nous rendons au village pour une cérémonie avec le marabout. Cela a pour but de protéger tout le monde. Si la fille est sincère, pas de problèmes. Si elle est méchante, elle sera victime des mauvais sorts.

Lesquels ?

La folie, une maladie grave et parfois des maladies inconnues chez les blancs. (Ou encore) la perte d’un être cher, mais ça c’est plus rare. C’est une amie qui vient du Nigeria qui m’a donné l’idée de faire ces cérémonies car ça permet aux filles de bien travailler. Ça évite de payer quelqu’un pour les surveiller. Elles savent que l’avenir de leurs familles dépend de leur comportement. Quand nous les laissons tomber, elles nous supplient de les garder car leurs familles les rejettent si elles ne réussissent pas. Par pitié, on leur trouve du travail. Nous ne sommes aussi diaboliques que vos associations le disent.

Est-ce que les filles acceptent facilement ces cérémonies de sorcellerie ?

Mais oui. Elles réalisent la chance qu’elles ont d’être choisies, ce sont elles qui parfois demandent des cérémonies pour prouver leur bonne foi…

Pardon « mère », mais en plus de dix ans de travail sur le terrain, je n’ai jamais rencontré une fille qui a volontairement demandé ces cérémonies de maraboutage. Etant africaine, je sais que nous craignons la magie noire !

C’est parce que tu ne poses tes questions qu’à des méchantes filles ingrates qui te disent ce que tu veux entendre. Viens voir mes filles et pose toutes les questions que tu veux. Tu verras.

Ce n’est pas la peine, elles diront ce que vous leur direz de dire. Leurs témoignages ne sont pas crédibles et ils vont me gâter mon travail…

Ma fille il y a tellement de candidates que je n’ai pas besoin de forcer qui que ce soit. Mais pour ma sécurité, je dois faire attention. Nous faisons un pacte, nous signons un contrat. Et c’est comme dans la vie : si le contrat n’est pas respecté, les sanctions vont tomber. Je suis choquée par cette mauvaise image que vous donnez de nous. Nous ne sommes pas des criminelles, nous apportons de l’aide…

Vous savez qu’il y a des « mères » qui prostituent des enfants à la maison ?

Tout le monde le sait. Ce n’est pas nouveau. Nous avons des amis qui le font, mais ce pas pour moi. Jamais des enfants…

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La rédaction d'Afrik, ce sont des articles qui sont parfois fait à plusieurs mains et ne sont donc pas signées par les journalistes
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