« Femme nue, femme noire/Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté », des vers très célèbres ! Pourtant, au quotidien, Léopold Senghor est trahi par celle dont il a chanté la beauté naturelle. De Paris à Brazzaville, en passant par Abidjan, Bamako, Dakar, Douala, etc, il devient sinon impossible, du moins difficile, de rencontrer des femmes encore naturelles. Outre l’éclaircissement outrancier de la peau, la mode n’est plus aux cheveux naturels mais aux coiffures artificielles. Un phénomène très en vogue et très lucratif, surtout au Congo.
Mardi 13 septembre. La faune bourgeoise a envahi la morgue principale de Brazzaville pour la levée de corps de l’un des siens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est ici, à la morgue, que les poitrines fatiguées ou flasques, que les corps esquintés par le tracteur de l’hydroquinone, renaissent. Que des décolletés déroutants ! « Dieu est mort. Alors tout est permis. » Dostoïevski et Nietzsche avaient vu juste. Après tout, l’humilité n’est qu’un affluent de ce grand fleuve qu’est l’orgueil. Ce qui doit être un lieu de recueillement est en réalité, à Brazzaville, une sorte de montée des marches cannoises. Chacune n’y vient que pour exhiber ses rondeurs ou sa poitrine. Oui, faire fantasmer est le premier des objectifs.
Mais, le plus étonnant, c’est que sur près de 500 femmes présentes ici, 480 n’ont pas de cheveux naturels. Soit elles sont coiffées de perruques, soit leurs cheveux sont mélangés aux tissages ou aux extensions. Malheur à celle qui n’est pas coiffée d’une perruque brésilienne ou indienne ! Les critiques en sourdine, à son encontre, sont virulentes. Il faut dire que pour ces femmes, les « brésiliennes » et les « indiennes » sont les meilleures. Et les Indiennes, sur lesquelles sont extraits les cheveux à partir desquels on fabrique ces perruques, ignorent que l’exploitation dont elles sont victimes fait, à des milliers de kilomètres, le bonheur des centaines de Congolaises superficielles.
Dans un coin de la morgue, « l’indienne » d’une femme au ventre rond lui arrive jusqu’aux hanches ; « la brésilienne » de sa fille de trois ans tombe sur ses épaules. « Sans ça (la perruque indienne), je me sens mal », avoue cette mère de famille, avec un petit sourire. Et de constater : « De la première dame du pays à la dernière, nous sommes toutes férues de falbalas, sans quoi nous ne sommes rien. » Et ce n’est pas cette autre femme, hôtesse d’origine congolaise dans une galerie parisienne, qui dira le contraire : « Comme toutes les femmes, j’ai besoin de changer de temps en temps de coiffure pour surprendre. Cela passe par les perruques ou les tissages, sans lesquels je ne suis pas en harmonie avec moi-même. » Les Miss non plus – le Congo en fabrique tous les jours : Miss du cinquantenaire, Miss du quarantenaire, Miss de la lutte contre les mouches, Miss du Marché Total, etc –, n’y résistent pas…
Toutes ces femmes dépensent chacune jusqu’à 700 Euros (450 000 Fcfa) la perruque. Les Lace Wig, surtout, atteignent facilement les 1000 Euros.
« Tant qu’il y aura des femmes noires, je ne manquerai de rien »
Et, dans cet oratorio grandement immonde – où le factice règne en maître -, une jeune femme a su trouver son rôle, un rôle lucratif. La trentaine révolue, le corps blanchi par la cortisone, « la Marylin Monroe congolaise », comme on l’a surnommée à Bacongo, ne se coiffe que de perruques brésiliennes blondes. Commerciale de son état, elle ne dispose pas d’une boutique de perruques ou de tissages. Non, elle n’en veut pas. Elle préfère plutôt la location des perruques, venues tout droit du Brésil. Plus de quatre fois par an, elle effectue le déplacement entre Brazzaville et Rio. Et son business marche fort. Les samedis dès l’aube, une myriade de femmes superficielles et factieuses s’empresse chez elle. Des adeptes de « la mine » (l’art d’emprunter des vêtements ou des accessoires). Il y a celles qui louent une perruque à 10 000 Fcfa le week-end ; il y a celles qui la louent à 30 000 Fcfa la semaine. La femme d’affaires compte plus de cent clientes, ici à Brazzaville, hormis celles qui vivent dans la périphérie. Récemment, elle a loué pour 50 000 Fcfa une perruque à une députée, et ce pour deux jours. « La députée a sorti les cinq billets de 10 000 Fcfa d’un coup, et n’a pas discuté », s’emballe-t-elle, avant d’ajouter : « Tant qu’il y aura des femmes noires, je ne manquerai de rien : ma tête bouillonne d’idées sur la beauté noire… » Son souhait, c’est d’avoir davantage des clientes comme cette députée. Et pour cause : les perruques louées par les personnalités reviennent intactes, contrairement à celles qu’empruntent les jeunes filles ordinaires. Du reste, elle veut pénétrer les marchés étrangers. Pourquoi pas le Cameroun où les tresses n’existent plus depuis cinq mille ans ?
Son succès attise néanmoins des jalousies. Aussi les commérages vont-ils bon train : « La sorcellerie explique en partie son succès » ; « Elle a des amants à tout bout champ ; ce sont eux qui lui payent ses nombreux voyages », etc. Mais « Marylin Monroe », elle, n’y prête pas attention. « C’est vrai que les hommes courent après moi ! Mais mon compagnon me suffit ! » Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’il faut être cinglé pour s’éprendre d’une femme dépourvue de naturel. Toutefois, « Marylin Monroe » bénéficie d’une circonstance atténuante : le Congo est un asile de fous à ciel ouvert. Un endroit où tout le monde applaudit tout le monde sans raison valable, sur tous les plans et à tous les niveaux (on y applaudit même les délestages, les coupures d’eau et, surtout, le vacarme du Coupé décalé, d’Extra-Musica, de Wengué-Musica et du Quartier latin ) !
Il y a quelques mois, les Kényanes avaient décrété une grève du sexe pour inciter les hommes politiques à plus de réformes. Les hommes devraient faire de même, pour inciter les femmes à plus de naturel !