Fodé Sylla, l’ancien président de SOS Racisme, a été libéré, jeudi matin, d’une garde-à-vue de deux jours pour une obscure histoire de trafic international de drogue dont on l’accusait de faire partie. A tort. Tuyautée par une « source sûre » de la préfecture de police, l’AFP a diffusé de nombreuses dépêches mensongères, reprises par un grand nombre de médias, malgré les démentis de la police judiciaire. Fodé Sylla rompt le silence pour la première fois dans la presse et remet les pendules à l’heure.
Par Badara Diouf et David Cadasse
« C’est une situation complètement ubuesque et kafkaïenne.» Fodé Sylla explique en ces mots l’étrange semaine qu’il vient de vivre. Placé en garde-à-vue mardi matin, après une perquisition infructueuse à son domicile, l’ancien président de S.O.S Racisme et président de S.O.S Racisme international depuis 1993 a passé deux jours au commissariat du Xème arrondissement de Paris afin d’être entendu dans le cadre d’un trafic international de drogue. Pour rien. Une fuite de la Préfecture de police de Paris, l’AFP diffuse des informations farfelues quant à son arrestation. Ici « Trente galettes de crack (…) auraient été découvertes à son domicile lors d’une perquisition », là « il apparaît en l’état des investigations… comme usager». La presse reprend tel quel. L’onde de choc se propage… Un communiqué de la police judiciaire l’avait pourtant très tôt disculpé! Fodé Sylla, actuellement membre du conseil économique et social européen, ne comprend toujours pas. Le patron de l’AFP a présenté ses excuses par écrit. Explications et commentaires du principal intéressé.
Afrik.com : Pouvez-vous revenir sur la perquisition à votre domicile et votre mise en garde à vue mardi dernier ?
Fodé Sylla :Il devait être vers les 7 heures du matin quand on a frappé à ma porte. « Police, trafic international de drogue dans lequel vous êtes impliqué ». Sept agents de la police judiciaire et un douanier sont entrés pour faire une perquisition à mon domicile. Ma mère venait d’arriver du Sénégal. Il y avait mon frère et mes deux sœurs. Ils ont passé la maison au peigne fin pendant près de deux heures sans rien trouver. Ils ont simplement pris mon agenda, mes fiches de paie, mes déclarations de revenus, mes relevés de compte. Le douanier, auquel personne n’a fait allusion ultérieurement, pensait que je me livrais à un trafic de bijoux parce que, de retour d’Inde avec mon fils, j’étais revenu avec quelques bracelets.
Afrik.com : Comment vous ont-ils traité ?
Fodé Sylla : Ils ont juste parlé des « trois femmes de ménage en haut » en parlant de ma mère et mes deux sœurs. Je tiens toutefois à rendre hommage à la police judiciaire. Les policiers n’ont à aucun moment tenté de me rabaisser. Ils ne m’ont d’ailleurs pas mis les menottes quand ils m’ont conduit au commissariat. Au fur et à mesure de la garde-à-vue, ils se rendaient compte de l’absurdité de la situation.
Afrik.com : Comment s’est déroulé votre garde-à-vue ?
Fodé Sylla : J’ai subi des interrogatoires et des confrontations. On m’a également fait des analyses d’urine, dans lesquelles ils n’ont d’ailleurs rien trouvé. Ils m’ont posé des tonnes de questions. Notamment sur ADN, (Alliance de la diaspora noire), l’association que j’ai montée avec un ami. Dans leur logique de trafic international, ils pensaient dur comme fer que c’était lié à la drogue. Ils pensaient sans doute que j’avais des chimistes qui travaillaient pour moi. À chaque fois, je leur disais de téléphoner à la préfecture pour se renseigner, qu’il s’agissait d’une simple association loi de 1901. Ce qui ne les a pas empêchés de me poser cinq fois la question.
Afrik.com : Comment expliquez-vous qu’ils vous aient impliqué dans un trafic de drogue international ?
Fodé Sylla : Ma maison est ouverte à tous, comme beaucoup pourraient en témoigner. Une personne est venue me voir, comme cela arrive souvent, pour me dire qu’elle était dans la merde, qu’elle n’avait pas de logement et qu’elle voulait apprendre le français. Il s’avère qu’elle était impliquée dans ledit trafic. Pendant les 8 ou 9 mois de filatures, la police a enregistré des conversations téléphoniques qu’il nous est arrivé d’avoir. Je suis très gourmand, ça aussi ce n’est pas un secret, et quand je parlais de nourriture avec lui, la police interprétait cela à sa manière, traduisant les noms des plats par des drogues… Le mafé devenait de la coke, les brochettes bien cuites devenaient du crack, tandis que le tiboudienne signifiait l’héroïne.
Afrik.com : Les médias se sont apparemment très vite emparés de la « nouvelle »…
Fodé Sylla : J’étais à peine arrivé au commissariat que la chaîne LCI était déjà au courant et diffusait la nouvelle selon laquelle j’avais été arrêté dans le cadre d’un trafic international de drogue et que la police avait trouvé chez moi 30 plaquettes de crack. Dès que je suis arrivé, j’ai fait un peu d’intox en affirmant que les médias étaient déjà au courant, ils m’ont spontanément répondu : « Ce n’est pas nous, c’est la Préfecture de police de Paris ».
Afrik.com : Comment la nouvelle a bien pu se propager ?
Fodé Sylla : Par l’Agence France Presse,tout simplement. Une « source sûre » de l’AFP (en l’occurrence une ou deux personnes de la préfecture de police) a violé le secret de l’instruction en balançant l’information sur ma garde-à-vue. Une information doublée de détails erronés. L’AFP l’a donnée à LCI et à France Info, qui l’ont diffusée en boucle. Or ces journalistes n’ont pas pris la peine de vérifier l’information. Pire. La police judiciaire a, elle-même, rédigé un communiqué de presse pour rappeler qu’elle « n’avait rien trouvé » à mon domicile. Malgré cela, la « source sûre » de l’AFP continuait à balancer de fausses informations, relayées par une partie de la presse. Le premier communiqué me faisait passer pour un trafiquant, deux heures plus tard, un troisième communiqué reconnaît s’être trompé, mais révèle que j’aurais, cette fois-ci, «reconnu être consommateur et avoir rendu service à des amis». Certains journalistes ont continué à colporter ces mensonges. (Martelé, ndlr) Certains journalistes ont adopté une posture de paresse intellectuelle inégalable et ont manqué au plus élémentaire des devoirs de la profession : à savoir vérifier ses sources. Et cela pendant deux jours ! C’est une situation complètement ubuesque et kafkaïenne.
Afrik.com : Pensez-vous qu’il s’agit d’une tentative politico-judiciaire pour se débarrasser de vous ?
Fodé Sylla : On m’a fait passer, avec acharnement, pour un toxicomane, un irresponsable, un trafiquant de drogue. Il est clair qu’on a voulu se débarrasser de moi. On a voulu faire taire l’une des voix de l’antiracisme dans le monde. Et au-delà de ma personne, ce sont les mouvements de droits humains qu’on a voulu bâillonner. Car les répercussions dépassent ma simple personne. Les locaux des militants antiracistes ont été fouillés à travers le monde.
Afrik.com : Votre garde-à-vue a-t-elle eu d’autres répercussions ?
Fodé Sylla : Il y a eu une grande onde de choc, jusqu’en Afrique, où cette cabale politique a fait beaucoup de mal, notamment au Sénégal et dans ma ville natale Thiès. Mon frère a été hospitalisé en apprenant la nouvelle. Mais ce qui me chagrine le plus c’est que cela a particulièrement affecté les deux êtres qui me sont le plus cher au monde : ma mère et mon fils. Ma mère est tombée en voyant la nouvelle à la télé, quelques minutes après que j’ai été emmené, mardi matin, par la police. Mon fils a demandé « Est ce que ça veut dire que papa va aller en prison ? » Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais un fils se construit autour de l’image de son père. Un père qui a toujours été du côté des exclus et des défavorisés. Un père emmené par la police et dont on parle à la télé comme d’un criminel.
Afrik.com : Avez-vous eu du soutien pendant que vous étiez au commissariat ?
Fodé Sylla : J’ai reçu beaucoup de soutien. Notamment de Karl Zéro (Le Vrai Journal, Canal +) de Bernard Henry Lévy (le philosophe et écrivain), de Fadéla Amara (l’association Ni pute, ni soumise), du réalisateur Xavier Beauvois, de l’ancien Ambassadeur de France au Sénégal Andrée Mewin, du parti radical de gauche, du Conseil économique et social, de Dominique Sopo (le président de S.O.S Racisme), du parti socialiste, de Robert Hue (parti communiste), de l’entourage politique et des familles de Mitterrand et de Chirac. Mais aussi des proches du Président brésilien Lula et de Nelson Mandela.
Afrik.com : Comment avez-vous traversé psychologiquement l’épreuve ?
Fodé Sylla : Mumia Abu-Jamal, Nelson Mandela -deux personnes que j’ai eu l’honneur de rencontrer-, Gandhi, Martin Luther King. Tous mes héros se sont retrouvés dans cette situation. Une situation sans commune mesure avec les deux petits jours de garde-à-vue que j’ai subis. Mais il est sûr que ce sont des choses qui marquent.
Afrik.com : Certains médias ne vous ont pas épargné. Qu’est ce que vous aimeriez leur dire aujourd’hui ?
Fodé Sylla : Honte sur eux et j’attends d’eux qu’ils s’excusent. Un journaliste du Figaro a même été déterrer une histoire de vol de voiture d’il y a quatre ans, où l’on m’avait accusé à tort d’avoir volé ma propre voiture. Il ne s’est pas arrêté là. Il a aussi suggéré que j’avais volé au secours d’un dictateur, Eyadema Gnassingbé, quand je suis allé comme observateur pour les élections présidentielles togolaises. Il a fini par dire qu’on avait retrouvé des résidus de drogue chez moi, alors que ce n’étaient que des résidus de peinture. Le Parisien a pris, quant à lui, une photo de moi pendant ma campagne pour le « oui » lors du référendum sur la Constitution européenne, où j’apparaissais très fatigué, pour illustrer ma «détresse». J’attends de tous ces journaux qu’ils relayent la vérité avec la même intensité que les mensonges. Et qu’ils relayent mes véritables combats, comme ceux pour la dignité de l’Être humain, contre le travail des enfants ou encore pour l’Afrique (abandonnée, méprisée, oubliée).
Afrik.com : L’AFP a joué un rôle central dans la propagation des fausses informations vous concernant. Les journalistes concernés ont-ils fait amende honorable ?
Fodé Sylla : J’ai longuement discuté avec les responsables de l’AFP, vendredi et samedi. Et ils se sont excusés. Le directeur s’est spontanément engagé à m’adresser par écrit ses excuses.
Afrik.com : Allez-vous porter plainte contre quelqu’un dans cette affaire ?
Fodé Sylla : Il y a deux façons de voir la vie. Goebbels (haut dignitaire nazi, ndlr) disait : « Calomnier, calomnier il en restera toujours quelque chose ». Lénine (un des pères du communisme soviétique, ndlr) disait quant à lui : « La vérité seule est révolutionnaire ». Et j’espère que Lénine l’emportera sur Goebbels. J’ai plusieurs avocats à mes côtés. Je ne sais pas à quel niveau la plainte va porter, mais même si je ne porte pas plainte, il appartient au juge d’instruction de diligenter une enquête pour faire la lumière sur la question et démanteler la vraie connexion mafieuse, où une police parallèle informe les journalistes. Je n’imagine pas une seule seconde que le ministre de l’Intérieur, M Nicolas Sarkozy, qui a lui-même été victime d’une cabale touchant à sa famille, ne prenne pas le problème à bras le corps et n’éclaircisse pas la situation. J’attends de voir la réaction également du ministre de la Justice et de certains journalistes.
Afrik.com : Vous avez choisi de ne communiquer que dans cinq médias : Le Vrai Journal de Karl Zéro, L’AFP, Le Monde, L’Intelligent et Afrik.com. Pourquoi ?
Fodé Sylla : L’Intelligent et Afrik.com pour qu’ils rassurent le monde et l’Afrique, Le Monde parce que je trouve que c’est un journal qui a toujours été respectueux et qu’il participera à ce que la vérité soit rétablie. Je suis blanchi et je n’avais d’ailleurs rien à me reprocher. Avant de sortir du Commissariat, j’ai tenu à rédiger un procès verbal que j’ai signé où j’ai écrit : « Comme vous l’avez constaté, je ne suis pas toxicomane, je n’ai rien à voir ni de près, ni de loin avec le trafic de drogue auquel on a voulu me mêler ». J’ai également marqué que j’espérais que « le préjudice que j’ai subi ne nuise pas à ma famille et à mes proches » et je leur ai demandé qu’on « laisse ma famille et mes amis tranquilles ». C’est cette dernière chose qui pourrait me faire changer radicalement de ton. Je ne veux absolument pas qu’on touche à ma famille. Car sinon je changerais mon fusil d’épaule!