Fodé Sylla, l’ancien et très médiatique président de SOS Racisme est désormais membre du Conseil économique et social français. Quelques heures avant sa prise de fonction, le mardi 21 septembre, il a bien voulu répondre aux questions d’Afrik.
Fodé Sylla. Le très médiatique et le très controversé ancien Président de SOS Racisme (1992-1999), parlementaire européen (1999-2004) est aujourd’hui conseiller économique et social français. L’un des plus jeunes du haut de ses 41 ans. Quel parcours pour l’enfant de Thiès, qui a quitté, à l’âge de 10 ans, son pays natal, le Sénégal, pour sa nouvelle terre d’adoption : la France. Elle l’a adopté et fait de lui un militant.Un militant dont la présence aux dernières présidentielles au Togo a quelque peu terni l’image. Fodé Sylla s’exprime sur « sa part de vérité ».
Arik.com : Quel est pour vous le sens de cette nomination au Conseil économique et social ?
Fodé Sylla : Je ne dirai pas que c’est un nouveau défi mais plutôt une nouvelle étape dans mon parcours. Je rejoins, comme secrétaire scrutateur, la troisième assemblée constitutionnelle de notre pays qui rassemble l’ensemble de ses forces sociales, à savoir des intellectuels, des personnalités issues des milieux syndicaux et associatifs… Des gens différents qui souhaitent construire ensemble par leurs conseils, puisque nous sommes une assemblée consultative, la France dans l’intérêt de tous les Français. C’est une troisième étape, qui me satisfait pleinement compte tenu de mon parcours militant et associatif.
Arik.com : Quelles sont les questions auxquelles vous allez vous intéressez ?
Fodé Sylla : J’ai décidé de m’investir dans la Commission travail bien que mon expertise s’agissant des questions européennes soit évidente et reconnue par tous. L’emploi est une question majeure puisqu’elle est la source de drames inacceptables. J’espère pouvoir donner quelques conseils pour améliorer des situations où des personnes se se retrouvent dans une précarité totale.
Arik.com : Votre voyage au Togo lors des dernières élections présidentielles a été très controversé. Qu’y faisiez-vous exactement ?
Fodé Sylla : Il se trouve qu’en 2002, j’ai été mandaté par les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) pour surveiller le déroulement des élections au Kenya. C’est à ce titre que je me suis rendu au Togo avec le soutien du CFD (organisation qui rassemble l’opposition togolaise, ndlr), de l’Union européenne (UA), qui a financé mon déplacement et de mon groupe politique, la Gauche unitaire européenne. Les gens ont estimé que l’Union européenne n’ayant pas jugé bon d’être représentée, ma présence ne se justifiait pas. J’ai été l’objet de toute une série de calomnies notamment émanant du quotidien Le Monde, qui prétendait que j’étais un émissaire de Chirac. C’est me donner trop d’importance. Aujourd’hui beaucoup de mes détracteurs d’alors s’excusent de leur attitude vis à vis de moi. Je crois que le peuple est le seul à souffrir de la suspension de la coopération entre l’UE et le Togo. Quand je dénonce le boycott des Etats-Unis contre Cuba ou l’Irak, cela ne signifie pas que je suis pro Fidel Castro ou Saddam Hussein. Il y a, semble-t-il beaucoup de gens que mon parcours semble gêner. J’ai la conscience tranquille. J’ai été encore récemment au Togo sur l’invitation d’associations togolaises et les propos à mon égard ont été, encore une fois, blessants. J’accepte la contradiction mais pas la mauvaise foi et l’incompétence. Je ne détiens pas la vérité, mais j’ai ma part de vérité.
Afrik com : Pourquoi avez-vous choisi de militer au sein de SOS racisme ?
Fodé Sylla : Quand j’avais entre 12-13 ans, j’adorais écrire des lettres, de ma petite ville de Sablé-sur-Sarthe, à Amnesty International pour faire libérer les prisonniers. A cette même période, j’ai rejoint la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique). Quand j’ai organisé ma première boum à l’aumônerie, moi le petit musulman, c’était déjà une façon de transformer les choses. Autrement dit, on peut s’intégrer en portant ses valises avec soi…Plus tard, mon bac en poche, je suis allé à Paris où j’habitais à Champigny dans l’un des quartiers les plus insalubres de la ville, au Bois-l’Abbé. Nous avons d’ailleurs organisé avec une bande d’amis le soutien scolaire dans notre immeuble. En 84, Harlem Desir lance SOS Racisme et un concert est organisé. J’y vais comme tous les jeunes et j’achète mon badge. Deux ans plutôt, en 86, deux évènements importants vont avoir lieu et seront déterminants pour mon engagement futur. C’est l’évacuation de 101 Maliens par Charles Pasqua et le projet de loi Devaquet (qui a trait aux conditions d’inscription à l’Université, ndlr). A Paris 12, mon université, je suis le porte-parole de la grève. C’est à cette même période que j’intègre SOS Racisme. J’y serai responsable des lycéens et des provinces et de la lutte anti-Apartheid et plus tard président durant trois mandats successifs.
Afrik.com : D’après vous la France est-elle raciste, antisémite, anti-musulmane ?
Fodé Sylla : La France n’est ni raciste, ni antisémite. Mais il faut noter qu’il a y eu de tout temps un courant antisémite très fort en France qui ressurgit au gré de l’histoire sous l’impulsion de quelques personnes comme, par exemple, Jean-Marie Le Pen qui savent bien manier les peurs et les frayeurs des gens. On voit derrière chaque musulman, un terroriste potentiel. Certaines personnes confondent tout. Ils confondent intégrisme et Islam comme ils l’ont fait, en d’autres temps, pour sans papier et clandestin. C’est un problème d’éducation et de pédagogie… On a entretenu plein d’amalgames qui sont aujourd’hui des instruments politiques. En France, c’est tout pour l’individu et rien pour la communauté. Il y a tout un travail pédagogique à faire et l’école est un lieu privilégié pour cela. Il faut donner les moyens à l’école républicaine. Il faut que les écoles soient ouvertes sur les quartiers. Je salue ici la détermination des musulmans français et celles des Corses, toutes tendances confondues qui ont trouvé, un consensus pour mettre fin à trois mois de violences racistes pendant lesquels un jeune Marocain a été tué.
Afrik.com : Quels sont les nouveaux combats de Fodé Sylla, outre ceux qui vous attendent au Conseil ?
Fodé Sylla : C’est l’Association Diaspora Noire-Europe (ADN-Europe), une association qui va bientôt être mise en place. C’est une association qui est née sous l’impulsion d’amis qui ont décidé de me porter à la tête de ce mouvement. Mais je continuerai de militer contre l’ordonnance de 45 et me battre pour le droit de vote local pour les immigrés. C’est la seule véritable manière de se faire entendre des politiques. A Montreuil, par exemple, où je réside, ce serait le gage d’un meilleur cadre de vie pour les immigrés qui vivent dans des logements souvent insalubres. Les politiciens se disent : « ils ne votent pas, pourquoi s’en préoccuper ? ». Un combat qui me tient toujours à cœur, c’est celui de faciliter l’accès à la nationalité. La France qui a toujours eu la capacité de réunir des Bretons, des Normands et autres doit continuer de faire jouer cette faculté qui la caractérise au profit des immigrés. La force de la France réside aussi, en partie, dans un continent oublié, marginalisé.