Florence Arthaud est la skippeuse de l’équipe tunisienne qui participe à La Route d’Elissa, course féminine à la voile qui rallie habituellement la Tunisie et le Liban. Mais à cause des troubles politiques au pays du Cèdre, la régate s’est muée en voyage pour la paix à destination de cinq villes méditerranéennes. L’occasion pour Florence Arthaud, devenue « fille d’Elissa », de nous faire partager son amour de la Grande Bleue et son militantisme nautique.
C’est Marseille qui sera, cette année, la destination finale des navigatrices représentant la Tunisie. Florence Arthaud et ses trois co-équipières tunisiennes – Maya Ben Ammar, Khouloud Jaoui et Aïda Zarrouk – sont attendues ce vendredi dans la cité phocéenne qui est aussi celle où réside la navigatrice française. Née le 28 octobre 1957 à Boulogne-Billancourt, la mer s’impose très vite comme la grande passion de celle que l’on surnomme la petite fiancée de l’Atlantique. Elle participe à sa première Route du rhum en 1978. Douze ans plus tard (1990), elle la remporte. La Française détient à son actif le record de l’Atlantique en solitaire et le record de la Méditerranée.
Exceptionnellement, Florence Arthaud devient Tunisienne le temps de La Route d’Elissa…
Florence Arthaud : J’étais prévue à l’origine avec les Portugaises, mais les Tunisiennes ont eu pas mal de problèmes. Ça ne me dérangeait pas de changer de bateau. C’est tout aussi bien que ce soit les Tunisiennes qui arrivent à Marseille. Je suis ravie de partir avec elles parce que ça me permettra d’apprendre encore quelques mots d’arabe. J’en connais déjà quelques uns parce que ma mère est d’Alger.
Avec cette Route d’Elissa, vous devenez ambassadrice de la paix…
Florence Arthaud : Il est important, même si ça n’a pas beaucoup d’impact, de transmettre ce message de paix, surtout au travers de femmes, elles qui donnent la vie. Il est inconcevable pour une femme de perdre un enfant, de l’envoyer à la guerre. La culture de la guerre est quand même très masculine. Mais la femme aussi peut changer, elle peut également devenir cruelle. J’ai entendu des femmes, parmi les extrémistes, qui ont perdu leurs enfants à cause des bombes, dire : « Mon fils, il est mort, c’est un martyr. J’ai encore six enfants à donner.» C’est monstrueux : ce sont des femmes dénaturées, ce ne sont plus des femmes ! Nous sommes quand même des animaux et protéger sa couvée est l’expression de ce côté animal de la femme. En plus, j’appartiens à une génération qui est celle de la paix, j’avais 13 ans dans les années 70. Le mouvement hippie, c’est Peace and Love !
Ce n’est pas votre premier voyage pour la paix …
Florence Arthaud : Je suis partie le 25 mai 2005 de Saintes-Maries-de-la-Mer, au moment où les gitans vénèrent les trois vierges, sur les traces inverses de Marie-Madeleine. Ils nous avaient transmis leur message de paix pour Tel-Aviv. Ça n’a pas servi à grand-chose…
Qu’est-ce qui vous attire dans cette course ?
Florence Arthaud : J’adore naviguer en Méditerranée et c’est une régate pour la paix. C’est aussi la première fois que je participe à une course exclusivement féminine. Et je reviens vers mes racines méditerranéennes. Le bassin de la Méditerranée a une histoire passionnante. Je rêverais de faire une course entre Gibraltar et l’autre bout de la Méditerranée, dans les environs du Canal de Suez.
La Méditerranée est une mer difficile…
Florence Arthaud : Oui, mais je ne connais pas beaucoup de mers faciles. Plus les mers sont petites, plus elles sont soudaines et vicieuses. Cependant, je ne me laisse pas trop surprendre par la Méditerranée parce que je la connais et que j’y ai appris à naviguer. C’est effectivement une mer qui est mauvaise où il fait mauvais temps. Et le danger du mauvais temps, ce n’est pas la mer, mais la côte.
Vous avez participé quatre fois à la Route du rhum, c’est une course que vous aimez tout particulièrement ?
Florence Arthaud : C’est la première course que j’ai faite. Je ne connaissais rien à l’époque, il n’y avait pas de GPS, rien ! On naviguait avec notre sextant…J’ai eu la chance de suivre toute cette évolution dans la navigation, de passer des multicoques aux monocoques, des monocoques aux multicoques, de vivre l’arrivée des satellites et tout le reste.
Le milieu de la mer est très misogyne. Avez-vous senti les mentalités évoluer depuis toutes ces années que vous le fréquenter ?
Florence Arthaud : Des pêcheurs, en Bretagne, ont refusé que je les accompagne en mer parce que les femmes portent malheur sur un bateau. J’étais en train de boire un pot dans un bar avec Kersauson (Olivier de), des marins lui ont proposé de l’accompagner et moi non. En Corse, en Méditerranée, ils emmènent les femmes.
Est-ce que vous vous considérez comme une pionnière, celle qui a ouvert la voie à des navigatrices comme Isabelle Autissier et bien d’autres ?
Florence Arthaud : Je ne me compare pas aux autres parce que ma principale motivation, c’est la liberté, la liberté en général, ma liberté à moi. J’ai besoin de la mer, j’ai besoin de partir et je navigue encore : c’est mon médicament. Je ne me sens pas de liens particuliers avec elles, j’ai plus de points communs avec Maria (navigatrice portugaise qui participe à la Route d’Elissa, ndlr) qui a vécu en Mer. Moi, j’ai vécu sur des bateaux. Ces femmes qui font aujourd’hui du bateau, elles vont à l’hôtel quand elles arrivent. Il m’est arrivé de naviguer onze mois sur douze, à l’époque je n’avais pas de sponsors et je donnais des cours de voile pour financer mes expéditions. Je ne serai pas prête à obéir à un sponsor qui me dise quoi faire. Je suis partie de chez mes parents à 18 ans en laissant un mot sur l’oreiller. J’étais en première année de médecine, les vacances de février approchaient, je leur ai fait croire que j’allais rejoindre, après le concours, mon amoureux pour passer quinze jours en Méditerranée. J’avais eu une discussion la veille avec eux où ils me disaient : « non, tu n’iras pas ». Je n’ai pas insisté, j’ai attendu qu’ils dorment et j’ai fait mon sac. J’avais sur mon compte juste de quoi payer mon billet d’avion. J’aurai pu être médecin, j’ai préféré partir user mes jeans en mer. La mer m’a tout appris, le respect, m’a fait voyagé, à aller au bout de moi-même, à me connaître. Plus tard, mes parents ont été bien obligés de s’habituer, mais ils s’y sont jamais vraiment fait même s’ils sont contents pour moi. Mes parents ne dorment pas quand je suis en mer. Mon père m’a dit : « La meilleure chose que tu pourrais m’annoncer est que tu renonces à ton tour de monde en solitaire ».
Y-a-il un projet qui vous tienne à cœur aujourd’hui ?
Florence Arthaud : J’ai l’intention de faire construire un trimaran de 28m et de partir faire des records autour du monde en solitaire. J’ai envie de me retrouver seule en mer, loin de tout être humain. Ce serait un peu comme boucler la boucle. Cette aventure, j’aimerais la vivre avec des sponsors qui investissent dans le développement durable…J’aimerais que mes dernières navigations servent à des causes importantes comme la paix, l’écologie…de manière à partager tout ce que j’ai reçu de la mer, le bonheur qu’on a de voyager en mer, car il n’y a pas de frontières. En mer, il n’y a que des marins.