Fistuleuses au Mali : Le temps de l’espoir


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Considérées comme des impures, voire des sorcières, victimes d’un châtiment divin, les fistuleuses sont des parias au Mali. Pourtant la souffrance honteuse qu’elles subissent ne laisse plus indifférents les organisations non gouvernementales et les décideurs, qui grâce à leurs actions, tentent de donner un second souffle à la vie de ces dames meurtries.

Leur vie rime le plus souvent avec l’exclusion familiale et sociale. L’odeur d’urine due à l’incontinence les oblige à vivre recluses, souvent dans une petite case, loin des parents qui refusent même de manger la nourriture qu’elles préparent. Elles, ce sont les fistuleuses. « La fistule obstétricale est une communication anormale entre la vessie et le vagin. Elle se caractérise par la perte permanente des urines ou des selles du vagin.», explique le Pr Kalilou Ouattara, chef du service d’urologie de l’hôpital du point G.

Les statistiques sanitaires du service d’urologie de cet hôpital montrent qu’environ deux femmes sur sept en consultation portent une fistule. L’horreur des chiffres n’est pas comparable au mal profond que vivent ces femmes. « Mon premier accouchement en 1989 a été un véritable enfer. Le bébé qui était mort né, est resté dans mon bassin une semaine durant. Cela a provoqué une fistule. J’ai pendant dix ans porté la croix».

Le récit de Mariam Koné est pathétique. « Désemparée, je ne savais que faire car j’ai été traumatisée par ce qui m’est arrivée. Le mal était plus profond et mon avenir devenait de plus en plus incertain ». Les larmes de cette dame commencent à couler. Elle tourne la tête comme pour chasser les souvenirs de ce premier accouchement macabre, inoubliable qui la hante encore.

Prise de conscience nationale

Chaque année 600 nouveaux cas de fistules sont enregistrés au Mali. C’est l’une des raisons qui a poussé le gouvernement et plusieurs ONG de la place à prendre des initiatives. Cela pour faire face à cette maladie qui est devenue aujourd’hui un véritable problème de santé publique.

Ainsi, le Mali a mis en place une stratégie de prise en charge qui permet de pratiquer environ 400 à 500 interventions chirurgicales par an. Et c’est l’hôpital du point G qui est le pôle d’excellence en la matière. Ce centre hospitalier universitaire abrite le centre Oasis, né de la volonté des autorités politiques pour accueillir les victimes de cette maladie.

« Au service d’urologie du point G, 55% des malades guérissent à la première intervention chirurgicale. Le nombre de tentative peut atteindre 6 à 7 intervention. Ce qui démontre que la chirurgie de la fistule ne doit pas être banalisée », précise le professeur Ouattara. Ainsi le ministère de la santé a mobilisé l’an dernier plus de 15 millions de Fcfa pour la prise en charge des fistuleuses. Cette somme prend en compte les frais d’hospitalisation, l’acte chirurgical et les médicaments.

L’espoir renait

« L’ONG International association for maternal and neonatal heath prend en charge les patientes qu’elle oriente et les autres sont à la charge du service social qui reçoit des dons des personnes généreuses, des organisations caritatives et des clubs. Une faible partie est prise en charge par les parents de la patiente », note Kadiatou Kéita d’IAMANEH.

« Je vivais avec cette maladie il y ‘ a près de 15 ans. Je l’ai eu lors d’un accouchement difficile. L’enfant est mort né. Avant mon mal, mes relations étaient bonnes avec les membres de ma famille et les habitants du village. Au cours de la maladie j’ai eu des relations difficiles avec eux. » Dans le traumato de sa voix, elle exhume ses lointains souvenirs pour conter cette histoire tragique. « J’avais honte car les gens médisaient sur moi. Pire, toute la famille m’a rejetée car j’étais devenue dégoutante. Ce qui m’a poussée à m’isoler du reste du village où je vivais seule mon mal. C’était désormais une question de survie pour moi. Je bravais chaque jour le chaud soleil, le vent et la poussière pour vendre des articles afin de subvenir à mes besoins les plus élémentaires », sanglote Assanatou Coulibaly.

« Je résistais à la vie qui s’offrait autour de moi. Malgré le mal qui m’habitait, il fallait se battre pour s’en sortir. C’est ainsi que j’ai appris l’arrivé d’un projet qui soigne ma maladie. Le projet a financé les frais d’opération. J’ai eu de la chance. Après une seule intervention, je suis guérie. Je suis redevenue une personne fréquentable au village. Les gens peuvent maintenant m’approcher », se réjouit-elle.

La sensibilisation une priorité nationale

L’accent est aussi mis sur la prise en charge psychologique de ces femmes. A cet effet, des actions de sensibilisation pour le dépistage et la prévention de la maladie ainsi que des sessions d’alphabétisation seront organisées, assure Le Pr Ouattara, spécialiste en la matière. Il indique que la majorité des femmes porteuses de fistule viennent du milieu rural, 15 % ont un âge inférieur à 18 ans avec une moyenne d’âge de 27 ans. La fistule survient le plus souvent au premier accouchement. « Plus de 90 % des fistuleuses n’ont pas fréquenté les centres de santé au cours de leurs grossesses. Or l’accès aux soins est essentiel ». C’est pourquoi il invite les uns et les autres à aider les fistuleuses afin qu’elles retrouvent une vie normale. La prise en charge de la fistule obstétricale est plus qu’une intervention chirurgicale, il s’agit d’un geste de sauvetage, a conclu le Pr Ouattara. Un appel entendu car un téléthon a été organisé par l’ONG Inner Wheel. Ce qui a permit de récolter plus de 160 millions de Fcfa. Cette somme va financer la construction d’un centre national de lutte contre la fistule obstétricale au Mali.

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