C’est bientôt la fin du mois de ramadan et les préparatifs vont bon train, dans un pays comme le Sénégal, où 95% de la population sont des musulmans, donc prêts à célébrer l’Aïd El-Fitr. Les cordonniers ne sont pas en reste et se frottent déjà les mains avec des commandes à la pelle. Ils rejettent même les derniers clients venus pour se procurer des chausseurs en vue de se faire beau pour les besoins de la fête.
Dans la semaine, les Sénégalais, comme les musulmans du monde entier, boucleront la période de jeûne, vécue sur un mois. Ils achèvent en effet le mois béni de ramadan, dans la beauté. Du moins, en se faisant beau. Aucun détail n’est à écarter. Les tailleurs sont débordés, avec leur mission d’habiller des millions de Sénégalais décidés à passer la fête dans leurs plus eaux habits. L’habillement étant un tout, les chaussures ont aussi leur grande importance pendant toute fête d’Aïd El-Fitr. AFRIK.COM a fait un petit détour à la Rue 11 de la Médina, à Dakar, la capitale sénégalaise, temple de la chaussure dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Connue pour regrouper la quasi-totalité des cordonniers et maroquiniers de Dakar, la Rue 11 de la Médina, sixième ruelle de la partie impaire des artères de ce quartier (Médina), en partant, parallèlement, de l’Avenue Malick Sy, après les 1, 3, 5, 7 et 9, est connue pour être la zone de prédilection des cordonniers. Ils y ont quasiment tous élu domicile, dans des ateliers d’environ 12 mètres carrés chacun, jouxtant le mur de clôture du stade Iba Mar Diop. Le bruit des radios et autres marteaux plante déjà le décor. L’odeur de la colle forte envahit les lieux. Chaque cordonnier s’active à remplir son contrat, qui avec des particuliers qui ont lancé une commande d’une ou deux paires de chaussures, qui d’autres avec un tiers revendeur, à qui ils doivent livrer une ou plusieurs douzaines de paires de chaussures.
Abdoulaye (nom d’emprunt), n’a pas une minute à perdre. Il doit honorer trois commandes qui doivent être livrées dans la sous-région. Deux cent paires de chaussures. Ce n’est pas une petite affaire et la pression se lit chez lui. « Ne me prenez pas en photo, s’il vous plaît. Vous pouvez prendre en photo les chaussures, mais pas moi. Merci de votre compréhension », lance-t-il gentiment. Nous sommes obligés de coopérer. Les 22 degrés qu’affichait le thermomètre, en cette soirée du samedi 8 mai 2021 ne pouvaient en rien empêcher Abdoulaye de transpirer à grosses gouttes. Entre la colle, l’assemblage, le geste était devenu automatique. Tel un robot !
A côte de lui, un autre cordonnier, qui a lui aussi préféré garder l’anonymat, mais que nous appelleront Samba (sur la photo), s’occupe des points préliminaires, à savoir la pose de la première garniture sur la semelle. Lui aussi va plus vite que l’éclair. Nous sommes dans une véritable usine, où le travail à la chaîne se fait avec une dextérité inégalable. « Combien coûte une paire de sandales ? », demande un client à Gora, lui aussi cordonnier, mais visiblement éloigné de cette pression que vivent ses collègues. « 5 000 FCFA », rétorque-t-il. « 5 000 FCFA ! C’est un peu cher quand même, par rapport aux autres », lance le client. « Normal, mes chaussures sont en cuir, et cette matière coûte cher en ce moment », poursuit Gora, qui brandit fièrement son travail exposé au mur.
« Ces chaussures demandent un travail méticuleux. Je ne fais pas un travail à la va-vite comme les autres, je prends mon temps et fais de l’art. Nous sommes des artisans et il y a des normes à respecter. Je ne fais pas comme certains, prendre des commandes à gauche et à droite et ne pas pouvoir les honorer. Souvent, cela pose des problèmes entre certains cordonniers et les clients. Je pense que nous devons éviter ce genre de situation », nous confie Gora, un petit sourire au coin. Il était en train de décrocher des chaussures présentées au mur pour les montrer à un revendeur. « J’en veux une demi-douzaine, je peux payer 3 500 FCFA la paire », lance l’acheteur. « Même si vous achetiez tout mon stock, je ne peux pas vous les vendre à 4 000 FCFA la paire », lance timidement Gora, qui continue de traiter les gabarits, après avoir raccroché au mur les chaussures enveloppées dans un film plastique.
« Est-ce que ces chaussures beige, là en haut, sont en daim ? », demande une cliente, qui nous confie être une « Ivoiro-Béninoise ». « Non, elles sont en simili cuir », répond un des cordonniers, qui avait la marchandise au-dessus de sa tête. Il se retourne et pointe une autre paire de chaussures, de couleur marron, pour indiquer à la dame que « celles-là sont en daim ». « Non, j’en veux une paire de couleur beige », réplique l’Ivoiro-Béninoise, qui avait déjà foulé la seuil de la port de l’atelier, dans le sens de la sortie. Elle n’aura sûrement pas du mal à trouver chaussure à son pied et à son goût, dans ce temple dakarois de la chaussure.
Le travail se poursuit dans le vacarme certes, mais aussi et surtout une ambiance bon enfant, histoire d’éviter la pression imposée par les commandes loin d’être honorées. Il reste encore quelques jours avant la fête de l’Aïd El-Fitr et tous espèrent honorer leur engagement et entrer en possession du solde après avoir empoché une avance conséquente lors de la commande. Une belle opération financière qui permettra à certains cordonniers de poursuivre les travaux de construction de leur maison, qui d’autres de se payer du mobilier de maison, alors que d’autres en profiteront pour verser la dot à la famille de la promise. Dans tous les cas, ils se frotteront tous les mains et iront passer la fête de Korité en famille, loin de la capitale sénégalaise, où ils ne sont que pour gagner leur vie, à la sueur de leur front.