L’avocate swazie Fikile Mtembu impose sa compétence en tant que maire de Manzini, la seconde plus grande ville de son pays. Une consécration unique dans cette société patriarcale, pour une femme que sa force morale a sauvé du désespoir dès l’enfance.
La première femme maire du Swaziland, Fikile Mtembu, fut toute sa vie habitée d’un désir profond de justice. Plus précisément, depuis le jour où ses deux frères furent sauvagement assassinés. La tragédie l’amena à une carrière de juriste, ce qui la fit connaître des habitants de la seconde plus grande ville du Swaziland, Manzini, qui l’ont choisie pour maire.
A l’origine, il y a une horrible nuit, alors que Mtembu était à l’école secondaire. Dans le village où elle a grandi, les croyances superstitieuses abondaient. Quelqu’un prétendait qu’une potion de magie noire très puissante pouvait être obtenue à partir des parties du corps d’un humain sacrifié rituellement. D’abord, l’un des frères les plus âgés de Mtembu disparut, puis l’autre. Tous les deux étaient des soldats qui avaient élevé Mtembu depuis qu’elle était petite fille. Leurs corps furent retrouvés, heureusement avant qu’ils ne soient découpés et qu’on ait prélevé leurs organes internes pour faire cette potion. L’un avait été placé dans un arbre pour que les lions en quête d’une proie la nuit ne puissent pas le prendre, tandis que l’autre était enfoui dans le sable d’un bord de rivière.
« Nous n’avons jamais retrouvé les meurtriers » dit Mtembu. « La perte de mes frères tant aimés est une blessure qui ne se cicatrisera pas. Une partie de moi est morte avec eux. » Mais l’horreur la poussa à étudier et à trouver son chemin hors de son village et vers une licence de droit universitaire. Elle entra dans un cabinet de droit de Manzini, et fut promue au rang d’associée.
Une enfance brisée
Mtembu a d’abord répugné à participer au jeu politique. « Les voisins de mon district m’ont demandé de mettre mon nom au premier tour du scrutin pour l’élection des conseillers municipaux. J’ai finalement accepté, espérant que je serais battue. Mais personne ne s’est inscrit pour être mon adversaire ! Après mon élection, et pour une raison que j’ignore, les autres conseillers ont pensé que je ferais un bon maire », rapporte-t-elle. « Cela est arrivé de manière si inattendue ! Mais je me suis consacrée à mon travail à fond. »
Au Swaziland, les femmes sont légalement mineures. Elles ne peuvent pas posséder de terres ni signer de contrats sans la permission de leur mari. De nombreuses femmes swazies attendent du maire Mtembu qu’elle démontre aux dirigeants mâles traditionnels du royaume qu’une femme peut mener une grande ville et être un avocat de talent, tout en demeurant une bonne épouse et mère. Les postes de dirigeants sont peu nombreux pour les femmes au Swaziland. Dans ses fonctions, Mtembu contrôle la pression avec élégance, malgré la nécessaire fermeté exigée pour diriger les réunions agitées du conseil municipal.
» Je crains d’avoir déçu les membres masculins du conseil municipal qui espéraient que je serais malléable », dit en souriant le maire, âgée de quarante et quelques années. « Quand je préside les réunions du conseil municipal, où tout le monde essaie bruyamment de proposer son propre ordre du jour, je n’élève jamais la voix. Mais à un moment donné, je parviens à dire « S’il vous plaît, taisez-vous », et ils s’assagissent. Parce que je suis un avocat, je peux repousser les projets qui sont légalement irréalisables. »
Sûre d’elle mais calme
En tant que maire, elle doit cibler l’utilisation des ressources de la commune vers la résolution des problèmes grandissants. Il y a, à Manzini, une crise des enfants sans logis, devenus orphelins après que leurs parents ont succombé au virus du sida dans les régions rurales. Ils ont migré vers la ville, où ils font les poubelles pour survivre. Mtembu travaille à un programme qui vise à fournir des tuteurs à ces orphelins dans leur propre village. Pour les habitants de la ville , un nouvel hospice pour malades du sida est en train d’ouvrir sous sa surveillance.
Le chômage à Manzini a fait augmenter le niveau de la criminalité. « Presque personne ne commet un crime parce qu’il le veut », dit Mtembu. Pour prévenir la nécessité de voler pour survivre, elle travaille à attirer des commerces de détail et de services, créateurs d’emplois, dans sa ville.
Les femmes swazies sont allées récemment en masse à un service de prière appelé pour mettre fin à la violence sexuelle, et elles ont écouté attentivement Mtembu, le maire pour lors avocat, qui les informait sur leur droits. Si on l’écoute tant, et sur les sujets les plus divers, c’est bien parce qu’elle apporte la nouveauté dans la société patriarcale du Swaziland : une femme équilibrée, séduisante, sûre d’elle mais calme, qui parvient cependant à ne pas s’aliéner les hommes conservateurs. Les femmes au service de prière ont reconnu en elle un modèle qui avait dépassé la pauvreté et la tragédie, et qui menait leur ville et le Swaziland vers l’avant.
James Hall