Les douleurs sourdes, lancinantes et leur corollaire, la colère, sont souvent les plus violentes, voire les plus meurtrières. Ainsi en est-il de celles qu’éprouvent actuellement bon nombre de citoyens africains au sud du Sahara face au sort qui leur est réservé dans la plupart des consulats français du continent. Obtenir un visa pour venir en France n’était déjà pas une sinécure, c’est de plus en plus mission impossible ; et aucune catégorie de population n’est épargnée.
Si l’on peut comprendre les nécessités d’une gestion rationnelle des flux migratoires, dans un environnement marqué par de multiples crises, l’on peut néanmoins s’interroger sur la mise en œuvre et les conditions d’application de la politique française d’immigration.
Alors que, traditionnellement, artistes et intellectuels d’Afrique noire bénéficiaient d’une certaine bienveillance dans l’octroi des visas, la donne semble avoir complètement changé. Chaque jour, les refus de visas se multiplient, notamment en période estivale, où les invitations à participer à des festivals et autres manifestations culturelles sont nombreuses. Pis, les procédés employés pour signifier ces refus sont de plus en plus pernicieux ; les rendez-vous proposés unilatéralement par les consulats sont fixés de telle sorte qu’il est impossible d’honorer les invitations.
Invité au festival Africajarc qui se tenait du 23 au 26 juillet à Cajarc dans le Lot, l’écrivain sénégalais Fadel Dia n’a obtenu un rendez-vous que pour le 7 septembre. Les Ivoiriennes Awa et Maaté du groupe les Go de Koteba ou encore l’écrivain mauritanien Mbarek ould Beyrouck ont eux aussi été victimes de la même logique absurde. A la frustration de ne pouvoir voyager s’ajoute l’humiliation. Une double peine qui, dans bien des cas, n’est pas que symbolique. Si les artistes et les intellectuels qui vivent en Afrique, parfois au péril de leur vie, sont réduits au silence à cause d’une gestion aveugle de l’immigration, alors quid du dialogue des cultures et de la diversité culturelle ?
Si ces hommes et ces femmes, qui ont volontairement choisi de vivre dans leurs pays, ne peuvent plus circuler librement, alors c’est un peu de notre culture que nous abdiquons. Fadel Dia, septuagénaire, est l’auteur du roman la Raparille, paru aux éditions Présence africaine, à Paris, une maison que fréquentaient entre autres Théodore Monod, Jean-Paul Sartre, Michel Leiris. L’ironie du sort est à son comble puisque, quelques mois avant, la directrice de Présence africaine, Christiane Diop, avait été élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur par le président de la République.
La culture est le lieu par excellence de l’ouverture au monde. Le romancier Dia écrit en français et représente de ce fait le rayonnement de la langue de Molière au même titre que les écrivains invités à Cajarc et qui résident en France. Nos Lettres peuvent-elles se payer le luxe de substituer l’ingratitude à la culture de l’échange, au moment où sonne le glas d’une littérature-monde en français ?
Par Alain Mabanckou, écrivain et prix Renaudot, et Christian Eboulé, journaliste. Cette tribune est parue dans la rubrique Rebonds du quotidien Libération, le 29 juillet 2009