Le festival Les Suds à Arles, qui animera la jolie ville antique française du 9 au 15 juillet 2012, s’est ouvert lundi 9 par un concert magique du violoncelliste français Vincent Segal, donné au Musée d’art antique, qui résumait à lui seul tout l’esprit de ce festival mythique. Car depuis 17 ans, Les Suds à Arles ne veulent pas seulement faire entendre les musiques de chaque région du monde, mais bien davantage, mettre en lumière les échanges, emprunts, influences, créations – et adoptions ! – qui naissent de l’écoute de la musique de l’autre, depuis toujours.
Un violoncelle qui devient kora mandingue, guembri saharien, bouzouk turc ou mandoline de la Renaissance, vous avez déjà vu ça ? Moi non, et je l’ai découvert lundi soir, lors du concert d’ouverture de la 17e édition du festival Les Suds à Arles. Au milieu des statues romaines découvertes dans cette ville qui fut un important carrefour de commerce et de culture dans l’Antiquité romaine, le violoncelliste français Vincent Segal nous offrait une « suite musicale » de sa création, succession de courtes pièces en solo comme autant de voyages autour du monde. Jouant tantôt de l’archet, tantôt avec les doigts, rythmiquement comme on le ferait d’une contrebasse jazz ou mélodiquement comme pour une guitare, abandonnant même parfois son instrument pour jouer des hochets latinos, le génial musicien nous emmenait au Mali, en Turquie, au Brésil, en Grèce, en Inde, et ailleurs, et bien sûr dans l’Allemagne de Jean-Sébastien Bach, l’un des pères fondateurs du violoncelle classique, formation première de l’artiste-voyageur. Lequel Bach, caché derrière un buste d’Auguste ou d’Hadrien, aurait certainement fort apprécié cet hommage à un instrument qu’il aimait aussi passionnément, et aurait été sûrement très heureux de voir son héritage ainsi fructifié – et actualisé, et démocratisé, car Bach, qui composait sa musique pour les messes du dimanche de sa paroisse et non pour les rois, était tout sauf snob, et aurait certainement, s’il avait pu en son temps voyager, apprécié en musicien c’est-à-dire en spécialiste, comme Segal, les musiques sophistiquées – bien que non-écrites et non-européennes – d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou d’ailleurs…
Le clip officiel du duo Ballake Sissoko & Vincent Segal, pour leur titre Chamber Music :
Ballake Sissoko & Vincent Segal – Chamber Music par No_format
Vincent Segal est tombé amoureux des musiques mandingues (entre autres !) et il compose, avec le Malien Ballaké Cissoko, un duo de rencontres avec ces deux instruments qui symbolisent à eux seuls la culture de leur région natale : le violoncelle, enfant de la musique classique c’est-à-dire européenne et savante, et la kora, enfant de la musique mandingue, et dont le Mali nous offre aujourd’hui le plus grand nombre d’interprètes, musique de transmission orale depuis toujours, apprise de père en fils traditionnellement et dans aucune école. A eux deux, Vincent Segal et Ballaké Cissoko traduisent donc le mariage entre deux types de musique, musique classique et musique traditionnelle d’un pays du Sud – qui pendant plusieurs siècles, les siècles des conquêtes, quand l’Europe se croyait « supérieure » à ces civilisations non-européennes dites « barbares » et qualifiait la musique des Africains de « musique de sauvages », aurait été considéré comme totalement inconcevable !
Le mariage des musiques du monde
Mais le monde avance en humanité, quoi qu’en pensent les pessimistes, et ce malgré d’inévitables soubresauts ici ou là, au Nord comme au Sud. Et les musiques africaines, arabes, turques, indiennes, indonésiennes, et que sais-je encore, ont désormais leurs adeptes – et même leurs élèves, et leurs professeurs (comme le montrent les dizaines de stages et de master-class, accueillant des centaines d’élèves, qui se déroulent dans le cadre du festival Les Suds à Arles) dans ces pays du Nord qui sont, belle revanche de l’Histoire, aujourd’hui les premiers à valoriser ces musiques de tous pays et à les faire connaître au monde entier, par leurs festivals, leurs invitations à des artistes de venir donner des concerts ou travailler en résidence, par leurs maisons de disques, les livres publiés sur ces musiques, les colloques et rencontres, les structures professionnelles créées, etc.
Et c’est bien souvent dans des festivals comme celui d’Arles, ou dans des salons professionnels comme le WOMEX, consacré aux musiques du monde et attirant des milliers de professionnels de tous pays, que des artistes venus de pays pauvres mais héritiers d’une tradition musicale riche et sophistiquée, se font connaître au monde entier, devenant, au fil des concerts donnés ici et là, à la fois ambassadeurs de leur culture sur la planète, et déclencheurs d’envies de découvertes et de voyages, musicaux et réels, auprès de millions d’Occidentaux qui les écoutent, à l’occasion d’un concert ou d’un disque…
Depuis 17 ans, Les Suds à Arles ont ainsi donné une visibilité internationale à nombre d’artistes aujourd’hui mondialement reconnus, artistes issus non seulement de pays du Sud mais aussi d’un Sud de la France souvent occulté par les médias nationaux – car chaque pays a son Sud. Artistes venant de régions – Sud de la France ou quartiers pauvres des villes françaises – exprimant des cultures régionales ou urbaines que les règles du marché et du business, qui sévissent aussi désormais dans la musique, ne permettent pas toujours d’entendre…
De nombreuses têtes d’affiche de toute nationalité
Pour cette florasion 2012, et pour le seul continent africain, le festival Les Suds à Arles accueillera ainsi la Béninoise Perrine Fifadji, le rappeur Bo Houss venu de Mayotte, le Malien Badje Tounkara dans un duo de guitares avec le Britannique Piers Faccini, les papis algériens de l’orchestre El Gusto ressuscité récemment par la cinéaste Safinez Bousbia, la chanteuse berbère algérienne Houria Aïchi qui chante des chants chaouis, ou le groupe égyptien Mawawil, qui perpétue la tradition des « mawals », chants qui se chantent depuis le XVIe siècle, de la même manière que Bach se joue toujours aujourd’hui.
Les Suds accueilleront aussi les Toulousains Zebda (qui veut dire « beurre » en arabe, auto-dérision proclamée d’un groupe de musiciens issus de l’immigration maghrébo-arabe) et leurs chansons sociales sans concession mais qui sont bien françaises aujourd’hui ; les Marseillais Lo Cor de la Plana, sous la houlette de Manu Théron, qui ressuscitent le chant occitan qu’une centralisation politique excessive, royale puis parisienne, avait fait presque disparaître pendant des siècles; ou encore le groupe féminin La Mal Coiffée, qui fait renaître les polyphonies à voix nue qui animaient les fêtes au village comme les soirées familiales et amicales dans le Languedoc comme toute la France du Sud jadis, Corse y compris, la voix nue étant le premier instrument du monde, partout et en tous lieux…
Les Suds à Arles donneront aussi à entendre du flamenco espagnol – genre né de la rencontre entre les musiques gitanes et les rythmes africains apportés par les Arabes marocains lors de la conquête espagnole par les Musulmans au Moyen-Age. Musique gitane espagnole qui elle-même dérive des musiques d’Inde et du Rajasthan comme nous le démontrera Anoushka Shankar dans son concert de rencontre entre l’Inde et l’Espagne, car les Gitans sont un peuple originellement issu du Nord du continent indien. On entendra aussi des musiques latino-amércaines, nées de la rencontre entre les musiques ibériques, celles des Indiens d’Amérique, et les rythmes des anciens esclaves africains déportés sur le continent. On entendra aussi du jazz japonais, enfant légitime – why not ? – de l’union entre la musique savante japonaise et le jazz né aux Etats-Unis, pays pourtant aux antipodes sur la carte…
Un festival qui est plus qu’un festival : une véritable fête de mariage entre toutes les musiques du monde, et qui anime, pendant une semaine, comme les fêtes de mariage dans certains pays, toute la ville, du matin au soir, pour des moments qui feront des souvenirs inoubliables…
Le programme du festival du 9 au 15 juillet est disponible sur le site du festival.
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