Faire entendre la voix des femmes africaines là où elle est inaudible, c’est l’ambition de Femnet, Réseau de développement et de communications de la femme africaine, qui a pris part au Forum social polycentrique de Bamako. Sara Longwe, membre du bureau de cette organisation, revient sur les objectifs de cette structure.
Quand la Zambienne Sara Longwe, parle des femmes, c’est avec passion et énergie. Membre de plusieurs organisations de la société civile dans le monde, Dame Longwe s’intéresse à la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes en Afrique. Elle est la présidente sortante de Femnet, le Réseau de développement et de communications de la femme africaine, créé en 1988, qui œuvre à une plus grande mobilisation de la société civile féminine afin qu’elle contribue plus largement à la défense des droits des femmes et à son émancipation.
Afrik.com : Quelles sont les activités de Femnet ?
Sara Longwe : Femnet a été créé, à l’origine après la conférence de Nairobi (Conférence mondiale pour les femmes organisée par les Nations Unies qui s’est tenue au Kenya en 1985, ndlr), dans le but d’aider à la mise en place d’un canal de communication à l’échelle continentale entre les femmes activistes et leurs organisations et les décideurs politiques. Et ce par le biais de la collecte d’informations sur les activités de ces organisations de la société civile que nous publions parce que les décideurs sont attentifs aux informations que nous leur donnons. Aujourd’hui, en adéquation avec l’esprit de Beijing (ville où s’est tenue la quatrième conférence internationale sur les femmes en 1995, ndlr), Femnet a été institué comme facilitateur de la mobilisation de la société civile féminine. Nous avons ainsi conforté notre rôle et réussi à nous mobiliser de façon originale avec peu de ressources. Nous nous appuyons en effet sur des fédérations d’ONG ou d’ONG qui jouent un rôle prépondérant dans leurs pays. Ainsi nous sommes informés sur ce qui se fait à la base. C’est aussi l’occasion pour ces organisations de se connaître entre elles, de savoir qui fait quoi et qui croit en quoi. Ce rôle de facilitation se fait avec deux ou trois organisations, car cela n’est pas possible seul. Ce rôle, nous l’avons joué à la Commission de la condition de la femme à New York dans le cadre du processus de suivi de Beijing. Femnet a ainsi pu faire figurer les contributions de toutes ces ONG dans les rapports annuels que requiert le plan d’action de Beijing.
Afrik.com : Vous avez également travaillé avec l’Union africaine…
Sara Longwe : Nous sommes l’un des collectifs d’organisations panafricaines et régionales, qui s’est réuni avant la rencontre des Chefs d’Etat, et travaillé sur le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes (il a été adopté le 11 juillet 2003 par l’Union africaine, ndlr). Nous nous penchons sur les questions qui intéressent les femmes par le biais de ce que nous appelons le « dialogue féministe ». Le premier s’est tenu au plan sub-régional en 2003, en 2004 au niveau régional et cette année à Bamako. Il est en effet primordial que les femmes, qui viennent de milieux très différents, puissent exprimer leurs préoccupations dans leurs langues. C’est là que l’on commence à dire ce qui ne va pas. Ce dialogue n’est pas mené qu’au niveau continental, mais à l’échelle mondiale. Des panels ont été organisés lors des forums sociaux de Porto Alegre, au Brésil, et Mumbai en Inde. Et un autre se tiendra à Nairobi, au Kenya, lors du prochain forum social. Femnet mène également des actions de formation notamment dans le domaine des nouvelles technologies. Notre ambition se résume à faire entendre la voix des femmes là où elle ne l’est pas.
Afrik.com : C’est ce que vous faites dans le cadre des activités du forum permanent Ubuntu mis en place par Fredrico Mayor, l’ancien directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour la science, l’éducation et la culture (Unesco)…
Sara Longwe : Nous nous sommes tout de suite intéressées à son initiative afin de marquer la présence des femmes. Femnet fait partie du comité de coordination d’Ubuntu afin de s’assurer que la voix des femmes est entendue. Autrement, un nouveau mouvement tel que le forum social aurait existé sous l’impulsion des hommes et sans que les femmes, encore une fois, ne puissent donner leur point de vue. Le dialogue féministe est d’autant plus nécessaire qu’il faut que les femmes fassent librement part de leurs préoccupations d’où la nécessité de mieux faire appréhender ce mot qui génère autour de lui une certaine phobie. Pourtant, le mot ne renvoie qu’à l’égalité entre les sexes, au traitement de la femme comme être humain à part entière, au fait que les femmes ont des idées, qu’elles sont libres de faire des choix et qu’elles croient en la justice sociale. Le Féminisme, c’est plus que la parité car nous la voulons, certes, mais pas du point de vue des hommes. Le féminisme ne nous vient pas de l’Occident, dans nos familles africaines, il y a toujours une femme qui s’est rebellée contre l’ordre établi et dont tout le monde disait qu’il ne fallait pas lui laisser ses enfants parce qu’elle risquait de leur mettre des idées révolutionnaires dans la tête. Si Ellen Johnson Sirleaf (Présidente du Libéria, ndlr) oublie le féminisme, nous sommes perdues (rires). Le forum social est une opportunité formidable de faire passer le message à un maximum de femmes qui autrement ne pourraient pas accéder à cette information. Les rencontres internationales rassemblent des personnes, en général des intellectuelles, qui sont déjà convaincues.
Afrik.com : Estimez-vous que les problèmes que rencontrent les femmes du Sud sont différents de ceux auxquels leurs sœurs du Nord sont confrontées ?
Sara Longwe : Les nôtres sont plus graves. Ils sont, en même temps, légèrement différents et semblables dans le sens où nous sommes toutes marginalisées. Les femmes sont toutes vulnérables quant à la question des violences qui leur sont faites. A la différence que, dans le Nord, les femmes sont soutenues par leurs Etats, mais dès que les portes de leurs foyers sont fermées, les hommes font régner leur propre loi. En Afrique, nous sommes tellement préoccupées par notre quotidien, parce que nos pays ne nous garantissent pas nos droits les plus fondamentaux, que nous n’avons pas la possibilité de développer l’aspect idéologique de notre combat. Au Nord, elles sont plus radicales et par conséquent plus à même de faire entendre leurs points de vue parce qu’elles ont le temps de construire cette idéologie. Néanmoins, les problèmes des femmes pauvres du Nord sont comparables à ceux des femmes du Sud.