Son beau visage sur le grand écran aura manqué à beaucoup. François Dupeyron, en choisissant Félicité Wouassi pour incarner Sonia dans Aide-toi, le ciel t’aidera, sa dernière fiction, leur offre un joli cadeau. Son nom restera à jamais associé à un film, Black mic mac, mais sa carrière au théâtre et au cinéma montre combien sa palette de comédienne est riche. Félicité Wouassi en donne encore une fois la preuve avec Aide-toi, le ciel t’aidera. Entretien.
Félicité Wouassi est née en 1961 au Cameroun qu’elle quitte, à l’âge de 3 ans, pour le Liberia. Elle y passe son enfance. Au début des années 70, c’est le départ pour la France et le démarrage de sa carrière artistique. « Comme de nombreux Africains, dit-elle, j’ai été bercée par ce cinéma populaire, ces films indiens, égyptiens, taïwanais ». Sa mère, pour l’occuper et nourrir l’intérêt de l’adolescente pour la comédie et la scène l’inscrit au conservatoire de son quartier. Adolescente, elle participe à des productions radiophoniques pour RFI et France Culture tout en poursuivant ses études et son apprentissage de comédienne. Plus tard, elle fait ses débuts en 1983, au théâtre, dans Les demoiselles de Rochechouart, une pièce mise en scène par Mario Franceschi. La France la découvre trois ans plus tard, aux côtés de Jacques Villeret dans Black mic mac de Thomas Gilou. Elle l’oublie un peu même, mais Félicité joue toujours, beaucoup au théâtre et souvent au cinéma avec des cinéastes africains, comme Cheick Oumar Sissoko (La Grève des battus, 2000), Idrissa Ouedraogo (Le Cri du coeur,1994) ou européens tels Alain Tanner (Le Journal de Lady M, 1993) et Mathieu Kassovitz (La Haine, 1995). En lui offrant Sonia, une jeune femme noire mariée et mère de 4 enfants qui se bat pour les siens, François Dupeyron rappelle au Septième Art français qu’il se passe trop souvent de bons comédiens.
Afrik.com : Dans quelles circonstances François Dupeyron a-t-il fait appel à vous pour incarner Sonia, l’héroïne de son film ?
Félicité Wouassi : Il m’avait vue au théâtre Hébertot dans Doute en 2006, une pièce de John Shanley mise en scène par Roman Polanski. Il m’a envoyée le scénario et je l’ai lu d’une traite dans un grand éclat de rire. Je l’ai appelé pour lui dire que j’appréciais son travail et qu’il m’intéressait.
Afrik.com : Comme Black mic mac, où vous incarniez Anisette, Aide-toi, le ciel t’aidera est aussi une plongée dans la communauté africaine, du moins dans le quotidien d’immigrés africains vivant dans une banlieue. Qu’est-ce qui a changé entre ces deux films ?
Félicité Wouassi : Il y a d’abord 20 ans de décalage. Black mic mac, c’était les sans-papiers, les squats, l’Afrique en France dans les années 80… Dans Aide-toi, le ciel t’aidera, c’est une famille française, d’origine africaine certes, mais c’est d’abord une famille française. Il y a très peu de références à l’Afrique. Cette famille aurait d’ailleurs pu être jaune, verte ou blanche. C’est l’une des raisons qui m’ont fait accepter le rôle. En plus, le scénario me rappelait ces comédies italiennes des années 70 que mon père regardait et que j’adorais quand j’étais enfant.
Afrik.com : Sonia est confrontée au pire le jour du mariage de sa fille. Elle fait alors appel à son voisin, un vieil homme, incarné par Claude Rich, dont elle s’occupe d’ailleurs en tant qu’aide familiale. Le duo que vous formez est assez intéressant. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Félicité Wouassi : Nous venons tous deux du théâtre, nous n’avons donc eu aucun mal à nous accorder. On s’est fait confiance. Nous nous étions rencontrés un peu avant, avec François Dupeyron, on a passé une après-midi à discuter de choses et d’autres.
Afrik.com : Entre Black mic mac et Aide-toi, le ciel t’aidera, il y a eu des films tournés en Europe ou en Afrique, et beaucoup de théâtre. Qu’est-ce qui vous lie si fortement au théâtre ?
Félicité Wouassi : J’ai été formée au théâtre. C’est ma passion. Je suis arrivée au cinéma par hasard avec Black mic mac. Le théâtre s’est aussi avéré être un choix de vie. Deux enfants à élever, l’envie de rentrer à la maison tous les soirs, d’être là à 4h30 quand ils sortent de l’école, puis d’aller au théâtre à 19h où je finis de jouer à 22h, les voir le matin au réveil. J’ai dû refuser des films quand ils m’éloignaient trop longtemps de ma famille. Mais, cela ne m’a pas empêchée de tourner en Afrique avec Cheick Oumar Sissoko, Henri Duparc… Il n’y a pas pléthore de rôles mais chaque fois que des réalisateurs africains l’ont pu, ils ont fait appel à moi.
Afrik.com : Ces deux films ont également la particularité d’avoir un casting « coloré ». Pensez-vous que les acteurs, les comédiennes noires, comme Mata Gabin et Fatou N’Diaye qui partageant l’affiche du film avec vous, soient mieux loties que vous aujourd’hui dans le cinéma français ?
Félicité Wouassi : Je ne dis jamais « comédienne noire ». Je suis « comédienne » tout court. Elles sont belles et elles ont du talent. Il paraît que les temps changent… De mon point de vue, les choses ont régressé. Je ne sais pas pourquoi. On nous as fait tout un tintouin pour Harry Roselmack quand il est arrivé au 20h de TF1. Mais il y avait un journaliste sur France 3 qui était Noir. Il y a eu des séries françaises avec des acteurs noirs dans les années 70-80, Greg Germain jouait Médecins de nuit. Les choses changeront quand je verrai plus des gens comme Roschdy Zem, à l’affiche d’un film comme Go Fast, il faudrait que ça devienne une évidence pour les producteurs, les scénaristes, les réalisateurs. Ca ne dépend pas que de nous. Le public, alors, suivra.
Afrik.com : Quelles sont vos (nouvelles) envies de comédienne ?
Félicité Wouassi : Je reste toujours affamée de belles rencontres. Mon mentor, Djibril Diop Mambéty (l’un des plus grands réalisateurs africains, décédé en 1998, ndlr), m’a tout appris et je lui dois énormément. Lui, c’était « action et liberté », c’est mon leitmotiv. Je suis partante pour tous les projets qui m’apportent de nouvelles expériences et de nouvelles rencontres.
Afrik.com : Quel regard jetez-vous sur le cinéma africain et l’Afrique en général ?
Félicité Wouassi : Le cinéma africain est très créatif mais manque de moyens et de gens formés. La machine s’était pourtant mise en route à une certaine époque. Sembène Ousmane, Souleymane Cissé, Idrissa Ouedraogago, Cheick Oumar Sissoko, appartiennent à une génération de réalisateurs africains qui avaient réussi à mettre en place un système qui leur permettait de tourner en Afrique. Il mettait en commun les ressources techniques et humaines de chaque pays. L’Afrique, c’est comme Sonia. J’ai travaillé mon personnage en m’appuyant sur cette symbolique. C’est la Terre-Mère qui n’en finit pas de donner. Les Africains sont très durs avec l’Afrique. C’est un continent qui mérite beaucoup d’indulgence. Il a dû avaler en 50 ans, 200 ans de civilisation. Au milieu des champs, en plein pays bamiléké (dont l’actrice est originaire, ndlr), je suis avec ma grand-tante et j’entends un portable sonner. Je vois alors une vielle qui fait « Allo ». C’est surréaliste. Elle ne sait pas comment faire fonctionner l’appareil mais elle sait s’en servir pour communiquer avec l’extérieur. L’Afrique est l’origine du monde et j’y puise mon énergie.