Si on vous dit Fejria Deliba l’actrice, peut-être que vous ne la reconnaîtrez pas, mais si on vous dit la belle brune qui dansait dans le clip Laziza de Daniel Balavoine, c’est le flash-back ! Ayant travaillé avec Antoine Vitez au théâtre et Jacques Rivette, Mehdi Charef et Yamina Benguigui, Fejria est l’actrice qui monte, monte… Entretien vérité.
Vous venez de boucler le tournage, ici, à Alger, du film » Inchallah « , sous la direction de Yamina Benguigui. Enfin, le grand rôle ?
Effectivement, j’ai le rôle principal. Le film retrace l’histoire d’une femme algérienne ayant quitté l’Algérie en 1975, au moment du regroupement familial dans le cadre de l’immigration et ce pour retrouver son mari en France. Sa nouvelle vie commence entre déracinement, courage et espérance auprès de ses trois enfants, sa belle-mère et son époux, absent. Car trimant pour les besoins de sa famille.
On sent chez vous une carapace, une force tranquille et une certaine rage d’un certain talent, sans flagornerie de vous surpasser…
Oui, oui ! Vous savez, j’ai débuté par des cours de théâtre. J’ai travaillé avec Antoine Vitez, un grand maître, parmi des metteurs en scène et des professeurs superbes.
C’étaient les plus beaux moments de mon initiation lyrique et dramatique. La scène, c’est l’endroit où l’on peut travailler et apprendre tous les registres.
Nous avons une liberté d’évoluer sans étiquettes. C’est-à-dire, quand on est une Arabe, on peut jouer un personnage qui serait distribué à une Française bien blonde et aux yeux bleus. Et une fille typée peut tout aussi incarner ce rôle.
Et après, vous avez quand même une préférence, un registre…
C’est vrai que après nous avons tendance à aimer une chose plus qu’une autre et à la développer. Moi, j’aimais beaucoup les textes, les classiques.
Par exemple?
J’ai beaucoup travaillé Brecht, Racine, énormément de théâtre contemporain, Vinaver… Dans les classiques, j’ai interprété le personnage de Bérénice de Racine.
Est-ce que ça a été facile en tant qu’actrice d’origine algérienne de « creuser votre trou » et d’exister par ce métier en France ?
Oui, le schéma manichéen n’est pas faux. Et ce n’est pas si évident que ça. Malgré tout, il y a une étiquette.
Finalement, on nous colle une étiquette même si on n’a pas un faciès ou un physique particulier. On a un tempérament typique, l’habitude de jouer les soubrettes ou des gentlemen, l’idiot du village ou encore le simplet…
De toute façon, quelles que soient la couleur de la peau, les origines, ces étiquettes-là déjà sont à la base.
Et si en plus vous êtes typée… (éclat de rire). Ça en rajoute une couche. Mais c’est pas mal que ça se passe comme ça quand même. Donc, en ce qui me concerne, comment dire… au début, je n’ai pas vraiment souffert de cela. J’ai joué de beaux rôles au théâtre où il existe une liberté. On vous choisit pour vos qualités d’actrice et votre tempérament, ce qu’il va finalement donner. C’est vrai que j’ai pu jouer les deux Bérénice. C’est vrai que c’est une reine palestinienne. Ce rôle a été interprété par différents types physiques de femme. A la limite, on se fiche que ça puisse être joué par une noire africaine ou une blonde suédoise. Et c’est tellement des personnages entiers et forts que c’est la fibre et l’interprétation qui comptent. Mais le cinéma est beaucoup plus catalogué. On vous y propose des rôles de beurette ou beur « de service ».
Et puis on a du mal à vous en proposer d’autres . Mais avec Jaques Rivette, une référence du cinéma français et un type formidable, c’est autre chose. Lui il avait confiance en moi. Il m’a choisie dans son film La Bande des quatre pour mon tempérament parmi cinq filles. Et ce choix du coeur est rare.
De toute façon, je n’ai pas envie d’entrer dans une catégorie « beur ». Parce qu’à un moment j’ai eu l’impression de ne pas avoir un métier mais d’être juste beur. On ne me demandait qu’une chose : d’être beur.
Et à la télévision…
Oui, à la TV, j’ai joué les beurs. Mais , récemment, j’ai fait un pilote pour France 2. Il devrait normalement passer en tant qu’unitaire. C’est un rôle principal, celui d’une femme médecin, directrice d’un centre humanitaire. Et là, on a choisi que ce soit une actrice d’origine algérienne. Le film s’appelle 17, rue des Moulins et ça devrait passer sur la 2 (rire ironique) un jour ou l’autre. Là, je sais que la chaîne qui a changé de direction veut des comédies et ce n’est pas une comédie. Puisque c’est une histoire avec des SDF et des gens qui souffrent. Mais je trouve cela assez beau à la TV. C’est finalement à la télé que l’on me propose des rôles principaux d’actrice d’origine algérienne pas pour ce qu’elle représente mais pour le profil du personnage qui colle bien à l’histoire. Et c’est une chose en plus mais pas en moins. Dans ce sens-là, c’est intéressant, la symbolique du prénom est très forte. Je n’ai pas envie de m’appeler Françoise dans un film. Et je ne changerai pas une Djamila pour une Françoise. Il faut qu’on nous prenne comme on est. Moi, je suis en France, je suis Parisienne et je n’attends qu’une chose : jouer de vrais rôles de femme arabe… Et j’en suis contente, là oui !
Alors, justement, votre rôle dans le film de Yamina Benguigui Inchallah dimanche…
Voilà un beau rôle de femme arabe. Il est magnifique. C’est une sorte de mission. Yamina Benguigui en me donnant le rôle principal est en soi une mission. Je porte le film d’une autre façon que la réalisation. L’histoire de Zouina ne représente pas seulement la femme algérienne mais toutes les femmes.
C’est le portrait d’une femme qui se libère. C’est un vrai bonheur que d’interpréter ce personnage. J’ai aimé ce personnage, et on l’a tous porté, honnêtement.
On espère que cela vous ouvrira d’autres portes au Maghreb…
Je l’espère, l’espère, l’espère… Mais si ça ne s’ouvre pas tant pis. Je vais vous dire : il y a une chose qui est sûre dans mon parcours, c’est que tout ce que j’ai fait, et je ne vais pas vous en citer des listes, ça a toujours été des rôles forts et de belles aventures. Il faut avancer. Le reste, je m’en fiche !
Votre rôle fort dans le film de Mehdi Charef Marie-Line aux côtés de Muriel Robin, qui vient de sortir en France, en est une illustration…
Oui, absolument. Dans Marie-Line, j’ai un second rôle. C’est l’histoire d’une chef d’équipe de nettoyage de nuit d’une grande surface (Muriel Robin) et sa meilleure amie, le pilier du groupe (moi). Et c’est toute une relation entre ces femmes qui sont formidables. J’aime énormément ce film. C’est un rôle superbe avec un réalisateur magnifique, Mehdi Charef. Je ne fais qu’enchaîner de belles rencontres avec Mehdi Charef, Yamina Benguigui, Rachid Akrin (Sous les pieds des femmes).
Sinon, Fejria passe derrière la caméra…
Oui, quand ça ne marche pas, je fais mes films à moi. J’en ai déjà réalisé un qui s’appelait » Le Petit chat est mort « . C’est un court métrage de 10 mn qui a magnifiquement marché.
J’ai écrit le scénario d’un long métrage. Et puis, je n’attends rien en vérité que de belles rencontres et elles se feront.
Si un jeune réalisateur du bled vous sollicite…
Bien sûr que oui ! Ma réponse est oui. Sauf que moi, j’ai une difficulté, comme beaucoup de gens nés en France. Je parle très mal la langue arabe. Mais je suis prête. Si cela devait se faire, pour moi, c’est avec plaisir. C’est une évidence (rire).
Le clip Laziza de Daniel Balavoine où vous lui donnez la réplique fut un beau souvenir…
C’était une belle aventure. C’est un beau clip que j’aime. Je suis contente de l’avoir fait. Je le revendique, même des années après. Oui, un beau souvenir, vraiment.
K.S.