Cinq policiers du Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne organisent en début du mois une fête déguisée entre collègues. La soirée a été baptisée « Negro ». Les accoutrements sont directement issus de l’imagerie coloniale. L’attitude de ces policiers dont les photos sont publiées sur la toile heurte. Une enquête est ouverte, les policiers minimisent. Suffisant pour que le « Collectif stop le contrôle au faciès » demande des sanctions.
La soirée « Negro » organisée par cinq policiers du Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne fait toujours débat. Les cinq collègues ont tous le visage peint en noir, arborent des dreadlocks ou des coupes afro. L’un d’entre eux publie des photos de la soirée sur son profil Facebook. Ces clichés montrent l’un des participants en boubou, mimant un singe qui gesticule près des bananes, mais aussi le groupe tout entier esquissant un sourire, de manière à bien faire ressortir le contraste entre leurs dents blanches, et l’obscurité de leurs visages noircis.
Informé par une collègue des policiers qui n’était pas de la partie et qui se dit outrée par leur attitude, l’animateur Claudy Siar, ancien délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer et producteur sur RFI, republie sur son compte Facebook des captures d’écran de la soirée, pour alerter l’opinion. En une semaine, les clichés ont largement circulé sur les réseaux sociaux.
Alors qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est ouverte, un des policiers mis en cause tente de minimiser les faits, arguant qu’ils « voulaient juste s’amuser » entre amis et « faire une soirée négro ». Une explication qui ne convainc guère.
On connait le principe des soirées déguisées : par le jeu des maquillages et des tenues vestimentaires, les participants tentent de se mettre dans la peau d’un personnage, ou d’incarner une idole. Et parfois, avec succès. L’allure, la tenue vestimentaire étant depuis longtemps imprimées dans la mémoire collective, certains réussissent à bluffer leur monde. Les faux Mickael Jackson, Marilyn Monroe, Elvis Presley, etc. cela n’ont jamais choqué personne, bien au contraire. Des sites proposent même des idées originales pour réaliser ce type de délires.
Cependant, la soirée des policiers du Kremlin-Bicêtre ne rentre pas dans cette catégorie de distractions. Il s’agit bien d’un dérapage raciste, comme le relève Sihame Assbague et Franco Lollia du Collectif stop le contrôle au faciès, dans une tribune publiée vendredi, dans le plus du Nouvelobs . « Ce n’est ni marrant ni anodin de se grimer en noir et de mimer un singe », analysent les auteurs.
Car la comparaison entre le Noir et le singe renvoie à un vieux poncif raciste qui malheureusement résiste au temps. Elle trouve sa source dans le racialisme scientifique du 19e siècle. De nombreux anthropologues de cette époque assimilent volontiers le Noir au chaînon manquant dans l’évolution des espèces, entre l’homme et les primates. On sait les conséquences d’une telle déshumanisation : les Africains sont régulièrement photographiés en présence d’animaux, souvent des singes. On les exhibe dans des foires coloniales, qui attirent des millions de visiteurs. On connait l’histoire de la Vénus Hottentote, de son vrai nom Sawtche, arrachée à sa terre natale, l’Afrique Australe, pour être exposée comme une bête exotique dans des foires des capitales européennes, avant d’être prostituée puis reléguée au rang d’objet d’étude scientifique. Apres sa mort, son corps sera disséqué, dans l’optique de prouver « l’infériorité de certaines races ». Ce n’est qu’en 2002, après près d’une décennie de refus, arguant qu’elle fait partie du patrimoine inaliénable de l’Etat et de la science, que la France consent à restituer sa dépouille à l’Afrique du Sud qui souhaitait lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Les victimes de cet obscurantisme criminel d’inspiration pseudoscientifique se comptent par milliers.
On pensait, eu égard aux progrès de la science qui a définitivement établi qu’il n’existe qu’une seule race humaine en dépit des variations morphologiques, qu’une telle déshumanisation serait oubliée. Malheureusement, les mauvaises habitudes ont la peau dure. Les footballeurs noirs, qui évoluent comme professionnels sur les stades occidentaux depuis la fin des années 70, sont régulièrement la cible des franges les plus radicales des supporters qui leur jettent des bananes et poussent des cris de singes. Le gardien franco-camerounais Joseph-Antoine Bell, le défenseur ivoirien Marc-André Zoro, et très récemment Daniel Alves, défenseur du FC Barcelone en ont fait les frais.
En fin d’année dernière, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui défendait la loi sur le mariage pour tous, a été accueillie, à Angers dans le Maine et Loire, par des enfants visiblement manipulés par leurs parents, qui lui tendaient des bananes et la traitaient de guenon.
Le dérapage raciste des policiers du Kremlin-Bicêtre, qui intervient dans un contexte de délitement du lien social et d’une montée exponentielle des extrémismes xénophobes ne saurait donc être considéré comme un fait anodin. Il est d’autant plus grave qu’il émane de personnes dépositaires de l’autorité publique. Comment pourraient-ils faire leur travail en toute objectivité et impartialité si d’avance ils considèrent une partie de la population comme des sauvages ?
« Si les policiers à qui incombe la lutte contre le racisme sont plus occupés à se moquer des Noirs qu’à les défendre, en effet, cela pourrait expliquer pourquoi les choses n’avancent guère dans ce domaine », dénonce Louis-Georges Tin, le président du Collectif des associations noires de France (Cran), cité par Le Figaro.
C’est donc à juste titre que le « Collectif stop le contrôle au faciès » demande des sanctions.