L’arrimage du franc CFA, la monnaie commune de 14 pays africains, à l’Euro est, une nouvelle fois, au centre des débats en ces temps de crise internationale. Selon plusieurs experts, le dollar devrait rester bas par rapport à l’Euro, et les exportations des pays de la zone franc dont la monnaie est fixée à celle de l’Europe pourraient en souffrir. Des inquiétudes naissent au sein de cette zone.
Deux courants de pensée émergent du débat sur la parité fixe entre le franc CFA et l’Euro. Le premier, auquel appartient Lionel Zinsou, économiste et banquier franco-béninois, défend cette parité qui, d’après lui, permet aux pays de la zone CFA de posséder une monnaie stable. Les deux tiers des exportations des pays de cette zone sont tournés vers l’Europe. Ces derniers doivent donc avoir « la monnaie de leur commerce extérieur », estiment les partisans de cette école. Face à eux, des banquiers et des économistes qui jugent illogique l’existence d’un taux fixe entre les deux devises. Pour eux, l’arrimage du franc CFA à l’Euro est responsable du déficit chronique de la balance commerciale des pays de la zone CFA. Sanou Mbaye, ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD) appartient à ce courant de pensées.
La parité fixe : «une aberration»
Sanou Mbaye, ancien haut fonctionnaire sénégalais de la Banque africaine de développement et auteur de L’Afrique au secours de l’Afrique
La politique du taux de change fixe adoptée par les pays de la zone franc est une aberration. L’appréciation de l’euro par rapport au dollar a été, depuis plusieurs années, préjudiciable aux économies de ces pays. De janvier 1999 à mai 2008, l’euro est passé de 1,17 à 1,59 dollar, ce qui signifie que le franc CFA, monnaie des économies jugées parmi les plus indigentes du monde, s’apprécie par rapport au billet vert. Cela ne manque pas de poser problème, car les prix des principaux produits d’exportation de la zone comme le café, le cacao et le coton sont libellés en dollars, tandis que ceux de leurs plus gros volumes d’importation le sont en euros.
Ainsi, se faire payer ses exportations en monnaie faible et régler ses importations en monnaie forte ne peut que donner des balances commerciales chroniquement déficitaires. De surcroit, la convertibilité du franc CFA et le régime de contrôle du mouvement des capitaux mis en place par la France en 1993 favorisent une fuite massive des capitaux en direction de l’Hexagone. Cette hémorragie est une des principales causes structurelles de la pauvreté dans les pays de la zone franc. De plus, en l’absence d’un gouvernement économique européen et de l’adoption par les pays européens de politiques de relance communes face à la crise mondiale, le scénario d’une désintégration de la monnaie européenne, avec des conséquences désastreuses pour les pays de la zone franc, n’est plus à exclure.
«Il faut avoir la monnaie de son commerce extérieur»
Lionel Zinsou, Banquier d’affaires, économiste franco-béninois
Certains banquiers et certains fonctionnaires du Fonds Monétaire International (Fmi) pensent qu’il faut rompre avec la parité fixe du franc CFA avec l’Euro. Ces personnes pensent que les pays de cette zone seraient plus compétitifs en ayant une monnaie plus faible. Mais plusieurs gouvernements sont farouchement opposés à mettre fin à l’arrimage du franc CFA à l’Euro. En ce qui me concerne, je défends cette parité fixe entre le franc CFA et l’Euro. D’abord parce que cela permet à nos pays d’avoir une monnaie stable. Ensuite parce que nos économies importent autant qu’elles exportent. Une monnaie forte leur permet d’importer relativement moins cher. Les importations dans les pays de la zone Franc sont obligatoires et concernent essentiellement des denrées alimentaires ou des hydrocarbures ou des biens manufacturés. Si ces économies optent pour une monnaie faible, leurs importations coûteront encore plus cher. Il faut aussi noter que pour exporter, il faut d’abord importer certains intrants. Autre chose : les échanges des pays de la zone CFA sont très majoritairement tournés vers l’Union européenne. Je pense qu’il faut avoir la monnaie de son commerce extérieur. Personnellement, je suis fermement opposé à un taux de change flottant.
Du franc des Colonies Françaises d’Afrique au franc de la Communauté Financière Africaine
Le Franc CFA a été crée le 26 décembre 1945. La France avait ratifié, ce jour-là, les accords de Bretton Woods et procédé à la première déclaration de parité auprès du Fonds Monétaire International (FMI). Le franc CFA signifiait alors le « franc des Colonies Françaises d’Afrique ». En 1958, il devient « franc de la Communauté Française d’Afrique ». Mais cette définition a changé plus tard pour devenir « franc de la Communauté Financière Africaine » pour les pays membres de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), et « franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » pour les pays membres de la CEMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad).
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