Fatma Mint Elkory est l’une des rares Mauritaniennes à maîtriser l’outil Internet. Elle s’en sert pour faire entrer les NTIC dans les mentalités et créer des projets de développement. Portrait d’une battante équilibrée.
Fatma Mint Elkory a » plus de 36 ans » – » Vous saisissez la nuance ? Une femme n’avoue jamais son âge « , plaisante-t-elle – et c’est en toute simplicité qu’on peut la présenter comme la » Madame Internet » de son pays, la Mauritanie. En toute simplicité car Fatma n’est pas du genre à s’enorgueillir de son CV, pourtant impressionnant. Documentaliste depuis 12 ans, elle est la première femme à s’être servie de l’informatique dans son travail, notamment l’informatique bibliographique. C’était dans les années 80.
Dans le cadre de sa formation continue, elle s’initie aux nouvelles technologies. » C’est là que j’ai attrapé le virus de l’Internet ! » Depuis, Fatma est une figure incontournable de l’Internet mauritanien. » Les femmes dans ce domaine se comptent sur les doigts d’une main « , avoue-t-elle. D’où des sollicitations de part et d’autre pour monter des projets. » Pourtant d’autres femmes ont fait des études bien plus poussées que moi. Nous avons des ingénieurs système, des ingénieurs informatique, mais elles restent enfermées, elles ne cherchent pas à amener les Nouvelles technologies de l’information (NTIC) à la base « .
Mauri Femme
Or, sensibiliser les populations les plus défavorisées et les plus vulnérables à l’Internet, c’est ce que fait Fatma depuis des années. Elle se bat sur tous les fronts : présidente de l’association » NTIC et citoyenneté « , secrétaire générale adjointe du réseau mauritanien » Femmes, Solidarité et Développement » et coordinatrice du groupe » Femmes » au sein du Cyberforum de la société civile, elle a créé, pour informer le reste du monde sur la femme mauritanienne, son site Internet Mauri Femme. Toute seule.
C’est le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) qui héberge Mauri Femme mais c’est Fatma qui l’a entièrement réalisé. » Le design, les couleurs, le contenu, j’ai tout fait moi-même. » Pour cela il faut, quoiqu’elle en dise, de bonnes connaissances en informatique : Html, Photoshop, Java… » Je me débrouille « , admet-elle. » J’ai fait des stages en France et au Maroc et j’ai encore besoin de perfectionnement. Comme j’ai deux enfants, je ne peux pas me permettre de partir de la maison trop longtemps, alors je m’auto-forme par Internet. Et je pousse les autres femmes à faire de même. »
Formation à distance
Pour Fatma, apporter l’Internet dans les régions les plus reculées de Mauritanie n’est pas qu’une utopie. Elle explique que pour les coopératives féminines, » les femmes peuvent se former tout en restant chez elles. On peut initier des jeunes filles à un métier dont les gens auront besoin sur place, sans pour autant qu’elles quittent leur village (c’est important car souvent les familles refusent qu’elles fassent des études si elles doivent quitter la famille). J’y crois. Internet est le plus court chemin pour la lutte contre la pauvreté « , explique Fatma.
La jeune femme fourmille de projets. » Il faut sensibiliser les petites filles à l’utilisation du Net, leur montrer des femmes qui ont réussi, leur apprendre à se servir des sites pédagogiques. Alors qu’en Mauritanie on manque de contenu, notamment au niveau du secondaire et du bac, elles peuvent télécharger certains ouvrages et programmes. » Le succès que remporte aujourd’hui l’Internet en Mauritanie lui donne raison.
» Internet a été rapidement adopté par les Mauritaniens. Les bibliothèques traditionnelles de manuscrits veulent toutes avoir leur service informatique afin de constituer des bases de données et mettre celles-ci à disposition du monde entier par le biais d’Internet. Je vois les Vieux des Vieux manipuler le clavier et la souris ! « , s’amuse-t-elle. » Il y a moins de 7 ans, Internet était encore inconnu en Mauritanie. Maintenant il y a des providers privés et les NTIC sont encouragées par la politique nationale pour toucher toutes les tranches de la population « .
Trouver l’équilibre
Si Internet a trouvé sa place en Mauritanie, Fatma a trouvé sa place dans l’Internet. Pionnière mais pas iconoclaste, fonceuse mais pas tête brûlée. » J’ai trouvé un juste milieu entre la modernité et notre culture traditionnelle. Je ne suis pas ce que les Mauritaniens appellent une déracinée ou une mal-assimilée « . Ni intégriste ni occidentalisée à l’extrême. Une révolution de velours pour une femme qui s’avoue » équilibrée » et qui a réussi dans un domaine où être du sexe faible n’est pas forcément un atout.
» En Mauritanie, la mentalité est différente des autres pays arabes. C’est une société transparente, tolérante, ouverte. Les gens voyagent beaucoup, les femmes autant que les hommes. Un homme ne peut pas empêcher sa femme d’avoir des réunions tard le soir ou d’inviter des collègues à la maison. » Voilà pourquoi la femme mauritanienne risque d’être de plus en plus présente sur le Net, outil de liberté par excellence. Et ce sera un peu grâce à Fatma.