Rachel Mouaba et Fatime Sakine, âgées de 50 ans, toutes les deux mère de famille, affirment toutes les deux avoir vécu l’enfer sous le régime de Hissène Habré, qui a régné de 82 à 90, actuellement jugé à Dakar pour crimes contre l »humanité, tortures et crimes de guerre. Ces deux femmes participent aussi au procès dans la capitale sénégalaise, pour témoigner contre l’ex-dictateur tchadien. Elles racontent par téléphone leur histoire à Afrik.com.
Comme des milliers de rescapés du régime de Hissène Habré, elles affirment toutes les deux avoir vécu l’enfer sous le règne de l’ex-dictateur tchadien (82-89). Rachel Mouaba et Fatime Sakine affirment toutes les deux avoir tout perdu, qu’elles dédient aujourd’hui leur combat pour que justice soit faite aux générations futures.
« Hissène Habré m’a privée de mon père »
Rachel Mouaba affirme qu’elle se souviendra toute sa vie de ce jour d’octobre 1984 où son père, un militaire, a été exécuté pour avoir refusé de servir le régime. « Il a été enlevé par un groupe de militaire en octobre 1984. Ils sont venus le chercher car il n’était pas d’accord avec ce qui se passait sous le régime de Hissène Habré, où l’on massacrait les gens, on torturait systématiquement et on exécutait tous ceux qui étaient considérés comme opposants », raconte-telle.
Toujours selon Rachel, « ce soir où ils ont emmené mon père, j’ai escaladé le mur qui séparait notre maison et celle de nos voisins pour voir où ils l’emmenaient. J’ai vu qu’ils l’ont ligoté, puis ont commencé à le torturer. Ils lui ont donné des coups de crosse. Ma mère est aussi sortie de la maison pour les suivre, confie Rachel. Les militaires lui ont hurlé dessus et lui ont demandé de repartir, sinon ils allaient lui faire quelque chose de terrible. Mon père, qui savait qu’il vivait ses dernières minutes, a demandé à ma mère de repartir. Il lui a dit alors : « Que Dieu t’aide et te protège toi et les enfants » ». C’était les derniers mots qu’elle a entendus de lui. « Ils l’ont ensuite emmené dans une cour d’école qui était près de la maison. Et c’est là qu’ils l’ont exécuté », raconte Rachel. ?
« Quatre militaires, quatre grands gaillards m’ont violée »
Rachel précise qu’elle ne se doutait pas qu’elle allait vivre une autre horreur, le soir même où son père a été exécuté. « Juste après, ils sont revenus chez nous. Quatre militaires, quatre grands gaillards m’ont violée. Pendant que certains me tenaient, les autres me violaient. Je n’avais que 18 ans. J’étais vierge »?, dit-elle de sa voix grave et posée.? « Je me suis ensuite demandé est-ce que ces dans ces conditions qu’une jeune fille doit connaître un homme ». Pour elle, le pire « ce sont les images où je vois mon père se faire torturer. Je n’arrive pas à les oublier. Elles défilent tous les jours dans ma tête. Jusqu’à que je sois sous terre je ne les oublierai jamais. ?Le régime de Hissène Habré m’a tout pris », ne cesse-t-elle de dire. « Hissène Habré m’a privée de mon père, de mon amour paternel, fustige Rachel. Je faisais des études, il m’encourageait tout le temps dans cette voie ».
Après la mort de son père, Rachel, qui était l’aînée d’une famille de neuf enfants, affirme avoir tenu bon. Elle dit avoir continué ses études et même trouvé un travail dans l’administration pour épauler sa famille. « Il fallait que je me batte, il était pour moi hors de question de tendre la main ou de me livrer à la prostitution. Surtout que j’étais l’aînée de la famille ».
« Je ne sais même pas pourquoi j’ai été emprisonnée »
De son côté Fatime Sakine affirme qu’elle n’avait que 17 ans quand ce 24 octobre ?19?84?, des agents du régime sont venus la chercher alors qu’elle vendait des produits sur une place d’un marché à N’djamena.? « Je ne sais même pas pourquoi ces militaires m’ont emmenée. Ils m’ont dit que j’étais aussi dans l’opposition alors que je ne connais rien à la politique. Lors de mon interrogatoire, ils m’ont torturées avant de me jeter comme les autres en prison. Ils m’ont ligotée et m’ont battue avec une matraque », raconte-t-elle.
Fatime poursuit : « J’étais enfermée dans une petite cellule bondée de monde. On était mal nourri, pas soigné, beaucoup de gens mouraient comme des mouches au quotidien. On nous servait de la bouillie de riz, sans sel, ni sucre. Le riz n’était même pas lavé », explique-t-elle. « La plupart des prisonniers mourraient de la faim et de maladies. L’objectif c’était que personne ne puisse sortir vivant de cette prison, confie-t-elle. La torture régulière des prisonniers est aussi omniprésente au sein du régime. On m’emmenait souvent pour me torturer. Parfois ils me faisaient asseoir sur une chaise qui contenait des décharges électriques. Ils utilisaient toutes sortes de tortures contre nous ».
« On n’avait pas le droit de raconter ce qui se passait en prison ni ce qu’on a vécu »
Fatime affirme finalement être miraculeusement libérée en 1986, suite à la réconciliation avec le régime d’une délégation politique. « Ce jour-là, une centaine de personnes, dont une vingtaine de femmes avec moi, ont été libérées. C’est de cette façon que j’ai échappé à cet enfer ». On ne sort pas d’une prison de Hissène Habré sans prêter serment, précise-t-elle : « On n’avait pas le droit de raconter ce qui se passait en prison ni ce qu’on a vécu. C’était formellement interdit par le régime. Avant de vous libérer, ils vous font jurer sur le Coran êtes musulman et sur la Bible lorsque vous êtes chrétien de tenir secret tout ce qui se passait en prison. Si vous parlez, vous êtes tué, vous prévient-t-on ».
Rachel et Fatime ont chacune cinq enfants. Elles sont actuellement à Dakar pour témoigner contre Hissène Habré, comme une centaine de personnes, devant la Cour des chambres africaines. « J’espère que Hissène Habré souffrira comme il nous a fait souffrir. Aujourd’hui, on a vieilli. On a tout perdu déjà », fustige Fatime Sakine.
Même son de cloche pour Rachel : « J’ai de toute façon déjà tout perdu dans cette vie. Mais Hissène Habré doit répondre de ses actes pour le mal qu’il a fait, pour que ça serve aussi aux générations futures. Il faut que ça serve de leçon pour que cela ne se reproduise plus et pour qu’un dirigeant ne décide plus jamais de la vie ou de la mort des gens simplement sur un coup de tête », prévient-elle. « Le régime de Hissène Habré a jeté en pâture des milliers d’orphelins, livrés à la prostitution. Sans compter les milliers de veuves. Il ne faut plus que cela se reproduise. Plus jamais », lance-t-elle dépitée.