Faro, la reine des eaux, le premier long métrage du réalisateur malien Salif est un film sur les tiraillements d’une Afrique partagée entre les contraintes de la tradition et l’impérative nécessité d’évoluer avec son époque. Le message du film est porté par la fluidité de sa réalisation et le souci esthétique qui l’habite.
Faro, la reine des eaux de Salif Traoré, dans les salles françaises ce mercredi, est une belle fable cinématographique autour de l’éternel dilemme africain : tradition ou modernité. Zan, enfant banni de son petit village malien de Sekoro pour être né bâtard, choisit d’y revenir pour découvrir l’identité de son géniteur. Ce retour est aussi l’occasion pour le jeune homme, devenu ingénieur de mettre son savoir à la disposition de ses concitoyens. Le fleuve Niger qui longe le village pourrait irriguer les terres et permettre de développer l’agriculture dans ce village de pêcheurs. L’arrivée de Zan coïncide avec l’humeur belliqueuse de Faro, l’esprit du fleuve. Penda, une jeune fille qui vient de perdre son père, manque de se noyer dans le cours d’eau. Une façon pour Faro, la reine des eaux, selon les villageois de réclamer un sacrifice. Les remous du fleuve sont le signe pour le village que Zan, le bâtard de Niélé, n’est pas le bienvenu : il n’a pas respecté la coutume.
Lyrique et profonde
Que risque-t-on à faire fi de la tradition quand on est Africain ? Cette question est le fil conducteur d’un film plein de lyrisme et de sagesse. La réalisation du cinéaste malien Salif Traoré est épurée et objective, mettant en exergue toute la complexité de ce choix cornélien entre la préservation des coutumes et l’ouverture aux possibilités qu’offre le progrès. La qualité des images et de la photographie magnifie le caractère versatile du fleuve Niger, souvent paisible, mais parfois déchaîné, pour mieux souligner que ce n’est qu’un fleuve. Faro, la reine des eaux plonge dans cette Afrique profonde pour en exhumer les multiples facettes. Ce fleuve qui réclame la jeune Penda est aussi celui qui arrache et remet le pouvoir aux femmes quand sa colère est trop grande. C’est aussi ce même fleuve nourricier qui peut se montrer vengeur quand on brave ses interdits. Le fiancé de Penda, Boura, en fera l’amère expérience. « Ce film, je le veux comme un message pour dire que l’Afrique doit se pencher sur ses préjugés. Ca ne doit pas être un handicap pour nous (….) Il faut que nous aussi arrivions à avancer avec ces traditions sans que cela ne soit un handicap pour nous », confiait le réalisateur dans un entretien accordé à Africiné. Le message, délivré par le premier long métrage du cinéaste malien, est passé avec une clarté exceptionnelle grâce à une œuvre esthétiquement et philosophiquement forte.
Faro, la reine des eaux est un petit joyau pour ce cinéma ouest-africain qui a besoin de se renouveler et de s’élever au rang du cinéma mondial tout en restant fidèle à cette thématique de L’Aventure ambiguë, développée avec brio par l’écrivain Cheikh Hamidou Kane, qui lui est chère. Le long métrage de Salif Traoré démontre qu’on peut parler de tradition et filmer un village dans une œuvre cinématographique tout en prêtant attention à son rendu esthétique et technique. Les décors et les costumes ont été ainsi pensés au détail près dans la mise en scène de Faro, la reine des eaux. Il est vrai que le cinéma en Afrique de l’Ouest manque de moyens, mais le challenge peut être relevé. Salif Traoré et ses producteurs l’ont prouvé. Affranchi de tous les reproches qu’on pourrait lui faire sur sa forme, l’œuvre du réalisateur malien est d’autant plus percutante. Avec Faro, la reine des eaux, Salif Traoré illustre son propos : le cinéma ouest-africain peut évoquer ses sociétés et ses traditions tout en profitant de toutes les possibilités qu’offre le cinéma contemporain pour mieux se laisser découvrir par le monde.
Faro, la reine des eaux de Salif Traoré, avec Fili Traoré, Sotigui Kouyaté, Djénéba Koné
Durée : 1h33
Sortie française : 29 Octobre 2008