Fania Niang n’a pas le parcours classique d’une artiste. La chanteuse sénégalaise, qui sort ce lundi 3 mars son quatrième album « Animiste », où elle appelle à la protection de la vie, a aussi été mannequin pour Jean-paul Gaultier. Et participé au succès planétaire de la lambada en étant l’une des choristes du titre. Dans son nouvel opus, aux sonorités traditionnelles, elle propose un retour aux sources musical, inspiré par les enseignements que lui ont livré ses ancêtres. Avec sa voix puissante et épurée, qui s’entremêle aux instruments traditionnels du balafon, de la kora, du djembé, elle nous plonge dans la vraie Afrique, où la nature est reine. Rencontre.
La première rencontre avec elle peut être déroutante. Alors qu’on s’imagine une femme portant des tenues traditionnelles africaines tels que le grand boubou, il n’en est rien. Elancée, filiforme, du haut de ses 1m85, Fania, qui arbore des rastas, est vêtue de façon très moderne : bonnet noir, pantalon assortie d’un manteau marron, marié à des bottines tendances. Elle affirme d’ailleurs fièrement être ouverte au monde. Elle qui a posé ses valises en France à l’âge de 17 ans, parcouru le monde entier, et été mannequin pour des grands couturiers tels que Jean-Paul Gaultier, qui lui a permis de défiler auprès de Katoucha, qui deviendra son amie.
Elle a aussi participé au succès planétaire de la lambada en étant l’une des choristes de la chanson. Etre attachée à ses traditions ne l’empêche pas non plus de fréquenter des artistes de divers horizons. Elle a de fortes relations d’ailleurs avec tous les artistes français de sa génération : Mathieu Chedid, alias M, Cassisu Cassiss, Arthur H, qui sont tous ses « potes », aime-t-elle dire, en riant. Fania a aussi une grande popularité en Asie, où elle s’est produite notamment au Japon. Elle a aussi touché l’Amérique Sud, surtout le Brésil, où elle a fait ses preuves. Après une vie tumultueuse, qui a filé à une vitesse folle, c’est dans la musique que la chanteuse née au petit village sénégalais de Koungheul, a trouvé refuge. Agée aujourd’hui de 50 ans, bien que celle qui a préservé sa taille de guêpe, ne les parait pas, elle signe un retour aux sources dans son quatrième album Animiste, après ses précédents opus, Naturel (2004), Salmakha (2008). Un voyage vers la terre de ses ancêtres. Essentiel pour celle qui est issue d’une fratrie de huit enfant. Toutefois enfant unique du côté de sa mère.
Du mannequin à la chanteuse
La voix grave de la chanteuse, qui chante en wolof, soninké, bambara, peul, français, se mêle aux instruments traditionnels de l’Afrique : balafon, kora, djembé… Sans compter les chœurs qui donnent une dimension enchanteresse au coktail musical. Elle a mis quatre ans à pondre cet opus, arguant l’avoir réalisé seule. De la composition à l’écriture des textes, après un travail acharné. « J’ai dû m’enfermer quatre ans à la campagne pour arriver à ce résultat. Comparé aux autres, c’est sans doute l’album qui a été le plus difficile à faire pour moi », confie-t-elle. Elle a puisé du profond d’elle même pour qu’il soit tel qu’elle le voulait. Même si des artistes comme Ismaël Lô, cheikh lô, les Frères Guissé, et le groupe mythique Xhalam l’ont inspirés, elle s’est surtout appuyé sur l’univers de son enfance.
Au grand étonnement de sa mère, qui l’a eu à l’âge de 16 ans, elle n’a rien oublié de cette période qu’elle décrit comme la meilleure de sa vie. « Ma mère me dit souvent : « Mais c’est pas possible que tu t’en souviennes. Tu étais trop jeune. » J’ai vécu des moments formidables. Je me souviens de tous, des contes, des proverbes que mes grands parents me racontaient, les griots qui passaient de maison en maison avec leurs tamtams raconter l’histoire des familles, des danses que les mamans, les tantes effectuaient au village », raconte-t-elle. « J’ai baigné dans un univers musical très riche, qui m’a nourri et fait de moi ce que je suis devenue aujourd’hui ».
Ecologiste jusqu’à la mort
Mais réaliser son rêve de faire de la musique n’a pas toujours été aisée pour Fania. Sa maman, qui souhaitait qu’elle se consacre à ses études, s’y est opposée. Dès l’âge de 14 ans, elle a apporté sa première guitare à la maison. Mais celle qui l’a mise au monde l’a cassé. « J’avais obtenu cette guitare avec ma bourse. Après l’attitude de ma mère, j’ai compris que ça allait être difficile pour moi de faire de la musique ». Pourtant, depuis son adolescence elle s’est toujours intéressée à l’art. A 14 ans, elle rencontre un photographe français à l’institut français de Dakar, où elle prenait des cours de photographies. Ce dernier lui propose ensuite de se rendre dans les villages pour y prendre des photos et diffuser des films. « Je me souviens que les enfants étaient très heureux de voir François qui leur apportait de la joie en diffusant avec ce projet ».
Toutes ces expériences artistiques durant son enfance reflètent l’étendu de son nouvel album. Sans doute beaucoup plus élaboré que les précédents. Le message de la chanteuse y est on ne peut plus clair : « Dans cet album je célèbre l’animisme car l’animisme c’est la vie. J’affirme que tout vit sur cette terre, les feuilles, les arbres, la terre. La terre est gorgée de sang ». Celle qui se revendique écologique va même plus loin, appelant à la protection de la nature et de la planète. « J’ai toujours défendu l’écologie et je le ferai jusqu’à mon dernier souffle. J’ai d’ailleurs participé à tous les meetings d’Eva joly, ainsi qu’aux campagnes de prévention réalisé par les plus grands défenseurs de la nature en France ».
Selon elle, Animiste ne doit pas simplement s’écouter. Mais se lire comme un livre ouvert, puisque c’est un conte qu’elle raconte. Etre animiste en Afrique signifie être en harmonie avec la nature. Et que les ancêtres manifestent leur esprit dans tous les éléments de la vie, le vent, la pluie, la sécheresse… « Avant l’arrivée des religions monothéistes, les Africains étaient tous animistes. Ils vivaient en accord avec la nature, qui était reine », rappelle la chanteuse. Les titres tels que Le livre ou encore La pomme croquée incarnent ce message philosophique qu’elle veut transmettre. Enseignement que ses aïeux lui délivraient lorsqu’elle était enfant. Elle rappelle aussi dans la chanson Abasse que « tous les biens que nous amassons sur terre ne sont qu’un prêt que nous devrons rendre à Dieu après la mort. Nous n’emportons rien avec nous rien ! », s’écrie-t-elle. « Même notre corps ne nous appartient pas. La preuve, il reste sur terre. Seul l’esprit aura de l’importance. Nous appartenons à Dieu et nous retournerons tous vers lui après la mort. Alors pourquoi tant de haine dans le monde ? Pourquoi faire du mal aux autres surtout que tout ce qu’on fait de mal nous revient ? », interroge-t-elle.
« J’ai beaucoup de haine en moi »
Fania est particulièrement révoltée de voir que la sorcellerie, qu’elle nomme aussi le maraboutage, prend de l’ampleur en Afrique. « Des femmes vont voir le marabout pour lui demander de détruire leur coépouse ou l’avenir de ses enfants. Certaine demandent à ce que leur mari devienne impuissant ». De la bêtise humaine, estime la chanteuse. De même que l’égoïsme qu’elle condamne aussi. « Chacun pense qu’à soi, personne n’aide son prochain ». Tous ces maux de l’être humain, la mette en colère, admet-t-elle. « Oui, j’ai beaucoup de haine en moi car je sais que l’être humain pourrait être meilleur. On est sur terre pour protéger la vie et non s’entretuer les uns les autres, ça n’a pas de sens! », s’écrie à nouveau, celle qui ne supporte pas la méchanceté et la mesquinerie. Elle, c’est une écorchée vive. D’ailleurs elle confie qu’elle « ne peut pas être heureuse tant qu’il y aura des gens qui vivront dans la misère ».
Misère qui s’est installée au Sénégal, qu’elle pointe du doit après le passage des différents présidents au lendemain de l’indépendance. Elle dénonce ce fait en 2000, dans son album Sopi. Période à laquelle elle s’est vraiment décidée à engager une carrière solo, après avoir été choriste pour de nombreux artistes comme Touré kunda. Elle y critique la mauvaise gouvernance au Sénégal. « Sopi avait fait le tour du monde, au Japon dans les pays de l’Amérique du Sud. J’ai même écrit une lettre au président pour lui donner mes doléances. On m’a appelé quelques semaines plus tard pour me dire qu’il souhaite me rencontrer car ma lettre l’avait touché. Je l’ai rencontré et ça s’est bien passé. Mais ensuite le désenchantement est vite arrivé. On n’a pas répondu aux attentes des Sénégalais, dont la vie est devenue de plus en plus difficile et chère ».
L’art, un oxygène
Aujourd’hui elle admet être toujours déçu des politiques de son pays d’origine. C’est pour continuer à dénoncer ce qui ne tourne pas rond, qu’elle n’abandonnera jamais l’art. « Pour rien au monde d’ailleurs », insiste-t-elle. « Même pas pour un homme ». Celle qui n’a pas d’enfant, et a été mariée une fois dans sa vie, ne souhaite plus tenter l’expérience. « Mon bonhomme ne voulait pas que je fasse de la musique. Mais mon art c’est toute ma vie. Et je pense aussi qu’on ne peut pas être mère et mener tranquillement sa vie d’artiste, ce n’est pas possible ! »
Néanmoins, celle qui est particulièrement fière d’être tante, ne ferme pas toutes les portes au mariage. Même si elle a refusé d’épouser beaucoup d’hommes qui lui ont demandé sa main. « Le mariage ? Pourquoi pas ? Si je trouve un homme qui m’accepte telle que je suis avec mon art. Et je pourrai aussi avoir des enfants. Avec les nouvelles technologies scientifiques tout est possible ». Mais ça c’est une autre histoire. Là, elle n’a plus une minute à perdre. Elle doit penser à la promotion de son album, et préparer son concert sur scène, à Paris. Elle peut désormais souffler après s’être coupée du monde durant quatre ans. Tout simplement pour donner le meilleur d’elle-même à ses fans.