De jeunes africains qui sensibilisent leurs pairs au danger du VIH-sida. Un concept simple que de nombreux acteurs de la lutte estiment prometteur pour combattre l’épidémie. Prometteur, mais également difficile à pérenniser. Explications de Fatima Maiga, spécialiste régionale VIH/sida et jeunes au Fonds des Nations Unies pour la population.
Notre envoyée spéciale à Dakar
« Les jeunes sont au centre de l’épidémie mondiale de VIH. On estime que 5,4 millions de jeunes vivent avec le VIH », explique dans l’introduction de nouveaux modules de prévention Purnima Mane, directeur exécutif adjoint du Fonds des Nations Unies pour la population (Fnuap). La majorité des jeunes infectés vivent sur le Continent africain. Et c’est tout naturellement que certains, séropositifs ou non, ont décidé d’œuvrer pour éviter que leurs pairs ne croisent la route du sida. En dépit des difficultés, de nombreux acteurs de la lutte contre le VIH jugent leurs actions de sensibilisation indispensables, et même prometteuses. Fatima Maiga, spécialiste régionale VIH/sida et Jeunes au bureau sous-régional du Fnuap au Sénégal, explique ce qu’est la pair-éducation et souligne son potentiel en termes de prévention.
Afrik.com : Comment est née l’idée que des jeunes coachent d’autres jeunes pour lutter contre le VIH/sida ?
Fatima Maiga : Cela nous ramène quand même à une quinzaine d’années parce qu’il y a plusieurs formes de coaching. Je dirais que celle qui est la plus répandue en Afrique de l’Ouest est la pair-éducation. C’est une sorte de système cascade où on identifie des jeunes d’un certain âge, en général ils ont entre 16 et 25 ans. Ils sont encadrés par des adultes ou du personnel des ONG luttant contre le VIH. Ces encadreurs forment ces jeunes pour qu’ils puissent identifier d’autres jeunes du même âge, du même sexe généralement, du même background, dans les mêmes communautés… L’objectif est qu’ensuite les jeunes apportent à leurs pairs un paquet d’informations qui leur permettront de changer de comportement ou de recourir aux services conseillés si nécessaire.
Afrik.com : Le Fnuap coache-t-il des jeunes à la pair-éducation ?
Fatima Maiga : En termes de coaching spécifique à l’UNFPA (sigle anglais du Fnuap), nous avons un certain nombre de programmes, de partenariats adultes-jeunes. L’un d’entre eux, le Special youth program, cherche des leaders en herbe ou confirmés qui se sont distingués parce qu’ils travaillaient beaucoup et bien avec les jeunes comme eux. Une fois repérés, ces jeunes viennent travailler dans un de nos programmes, dans un de nos bureaux ou au siège. Ils ont des contacts avec ceux qui font des programmes pour et avec les jeunes. Et il y a une interaction qui se passe. Le but de tout ça est que les jeunes partagent l’expérience, le savoir-faire, la volonté, les idées, les stratégies qu’ils ont acquis, et qu’au contact des seniors il puisse y avoir un vrai échange et une création de synergies. A terme, l’objectif est qu’il y ait sans cesse un renouvellement des jeunes leaders. Des jeunes leaders qui seront appelés à retourner dans leur pays, parce que c’est l’une des conditions : après être venus travailler avec le Fnuap, ils doivent servir dans une ONG et être au service des jeunes.
Afrik.com : Le système de pair-éducation est-il efficace ?
Fatima Maiga : Cela va dépendre. Disons que, pour être très directe, la pair-éducation doit être faite en suivant un certain nombre d’instructions, de paramètres et puis en mettant en place un certain nombre de choses. Par exemple, on sait maintenant avec le recul qu’il est très important de former les jeunes, mais de les recycler aussi. C’est très important de les suivre, de trouver la motivation nécessaire pour qu’ils restent dans le réseau de pair-éducation et qu’ils continuent à former leurs pairs. La question de la motivation est une question qui demeure cruciale parce qu’on sait qu’être pair-éducateur ce n’est pas être bénévole. Disons que les expériences ont montré que lorsque les réseaux où les pairs-éducateurs étaient formés et outillés pour faire leur travail dans un contexte où ils avaient un soutien, où ils étaient suivis par des adultes et où il y avait de la rétro-information, à ce niveau-là, ça pouvait marcher davantage que lorsqu’ils ne bénéficiaient pas de ce type de soutien.
Afrik.com : Quelles sont les stratégies utilisées pour que les jeunes restent motivés ?
Fatima Maiga : L’une des stratégies explorée sur le terrain est de reconnaître la réalité de ces jeunes. Nous sommes en Afrique, ils ne vont pas rester jeunes éternellement, ils évoluent. Nous avons eu des ateliers où nous avons demandé aux jeunes ce qu’il fallait faire pour les motiver. Ils ne demandaient pas des salaires mais l’une des propositions qui a été faite à l’époque, je me souviens, était tout simplement : « Nous voulons devenir des encadreurs à notre tour. Avec le cumul d’expérience qu’on a, les formations qu’on a reçues et les contacts qu’on a eu avec des jeunes nous resteront pairs-éducateurs toute notre vie. Mais il est tout à fait normal qu’on puisse assumer des responsabilités beaucoup plus grandes et qu’on devienne ceux qui nous ont formés auparavant ». Et ça c’est une forme de motivation toute simple qui, je pense, est très très probante et a marché dans les réseaux de pairs-éducateurs en Europe centrale, notamment. C’est une sorte de promotion qui ouvre aux jeunes certaines opportunités.
Afrik.com : Avez-vous un exemple de pays où le système des pairs-éducateurs fonctionne particulièrement bien ?
Fatima Maiga : On en a énormément, à vrai dire. On peut prendre le cas du Mali. Le Projet Jeunes a mis en place un centre très bien équipé et multi-fonctionnel. Il y a également une clinique où les jeunes peuvent venir consulter, se faire dépister et avoir des condoms. Ce qui est intéressant dans ce projet-là est que le centre est situé dans un quartier populaire aux alentours duquel il y a beaucoup de jeunes du milieu informel, c’est-à-dire des vendeurs ambulants, ceux qui ont des pousses-pousses, des jeunes apprentis… Ce qu’il y a de bien dans ce projet c’est que la pair-éducation a ciblé aussi bien les jeunes scolaires – parce qu’il y avait énormément d’école à proximité – que toute une catégorie de jeunes étant dans des situations très différentes. Ils n’avaient peut-être ce qu’il faut (le langage, les outils…) et ils ne savaient pas où et comment toucher ces jeunes, mais ça a marché parce qu’ils ont su s’adapter et se former.
Afrik.com : Les pairs-éducateurs se heurtent-ils à la résistance de certaines couches de la société qui jugent que sensibiliser les plus jeunes revient à les encourager à avoir des relations sexuelles précoces ?
Fatima Maiga : L’une des tâches de nombreux pairs-éducateurs est de faire de la référence. C’est-à-dire de conseiller et de dire aux jeunes que s’ils ont un problème il vaut mieux consulter. Dans les premiers jours de la pair-éducation, les jeunes pénétraient le périmètre sanitaire et étaient un peu vus comme des éléments qui pouvaient perturber. Mais je pense qu’au fur et à mesure les médecins, les sages-femmes, les infirmières… comprennent l’utilité de ces jeunes, pourvu qu’ils soient formés, qu’ils sachent que leur rôle est d’aiguillonner les jeunes vers les centres de santé. En retour, les centres de santé envoient des fiches contrat de formation pour faire en sorte que ce système marche bien. Si on a eu parfois des réticences, on a parfois eu aussi des encouragements. Les enseignants ont été très favorables à la pair-éducation car ils estimaient qu’il y avait certains aspects de l’éducation sexuelle qu’ils ne pouvaient pas discuter en classe, comme le port du préservatif, les relations sexuelles et amoureuses… Ils estimaient que certaines choses seraient mieux dites et mieux faites par les pairs éducateurs, qui leur servaient de relais.
Afrik.com : Les pairs-éducateurs sont-ils formés à la prévention du VIH chez les MSM (les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes), sachant que le sujet est tabou et que l’homosexualité est interdite dans presque toute l’Afrique ?
Fatima Maiga : S’il y a quelque chose que l’on a bien réussi dans la formation des pairs-éducateurs, c’est de leur apprendre l’inclusivité. C’est-à-dire, autant que possible, d’éviter ce qui fait qu’un jeune n’est pas bien perçu ou pas bien accepté dans certaines sphères. C’est-à-dire d’inclure, d’éviter la stigmatisation et l’exclusion. Et ça les jeunes le savent, se sentant eux-mêmes parfois marginalisés, écartés. A ce niveau-là, je sais qu’ils sont sensibles. Un bon pair-éducateur est un pair-éducateur qui sait qu’il doit respecter le droit à l’information de tous les jeunes, y compris des plus vulnérables, ce que sont souvent les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Cependant, concernant une éducation spécifiquement orientée sur les MSM, on en est encore aux frémissements.
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