La France renforce ses liens avec le Nigeria, première puissance d’Afrique de l’Ouest. La livraison de douze Alphajets français à l’armée nigériane illustre cette nouvelle dynamique, alors que Paris perd pied dans ses anciennes zones d’influence francophones. Une réorientation qui dessine les contours d’une présence française renouvelée sur le continent africain.
Confrontée à une série de revers diplomatiques et militaires en Afrique francophone, la France opère un virage stratégique majeur. Après les départs forcés du Burkina Faso, du Mali et du Niger, Paris mise désormais sur le Nigeria, géant anglophone qui représente la première économie du continent avec un PIB de 477 milliards de dollars en 2023. Cette réorientation s’inscrit dans une histoire personnelle : Emmanuel Macron, lors de sa formation à l’ENA en 2004, a effectué un stage de six mois à l’ambassade de France à Abuja, une expérience qui a façonné sa vision des relations franco-africaines.
La visite d’État du président nigérian Bola Tinubu en France fin novembre 2024 a marqué une étape cruciale dans ce rapprochement. Une rencontre historique, la première depuis plus de deux décennies, qui a permis de concrétiser plusieurs accords dans les domaines de la défense, de l’énergie et de l’innovation. Les échanges commerciaux entre les deux pays, qui s’élevaient à 4,5 milliards d’euros en 2023, devraient s’intensifier dans les années à venir.
Un contexte sécuritaire complexe dans un environnement concurrentiel
Le Nigeria fait face à des défis sécuritaires majeurs : la menace persistante des groupes jihadistes Boko Haram et État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) dans le nord-est, les bandes criminelles dans le nord-ouest, et la piraterie maritime dans le golfe de Guinée. Cette instabilité, qui déborde sur les pays voisins, fait du Nigeria un partenaire crucial pour la stabilité régionale.
Dans ce contexte, la France n’est pas seule à courtiser Abuja. La Chine, premier partenaire commercial du Nigeria avec des échanges dépassant les 20 milliards de dollars annuels, investit massivement dans les infrastructures. Les États-Unis, de leur côté, maintiennent une coopération militaire étroite, notamment dans la lutte antiterroriste.
Un soutien militaire concret
La coopération franco-nigériane prend une nouvelle dimension avec la livraison de douze avions Alphajet d’occasion. Cette transaction, dont le montant reste confidentiel, répond à un besoin crucial de la Nigerian Air Force. Six appareils seront directement opérationnels pour les missions de contre-insurrection, tandis que les six autres fourniront les pièces détachées nécessaires à la maintenance.
« Ces Alphajets renforceront significativement nos capacités opérationnelles », souligne le général Hasan Abubakar, chef d’état-major de l’armée de l’air nigériane. « Ils nous permettront de maintenir la pression sur les groupes armés qui menacent notre stabilité. »
La fin d’une époque en Afrique francophone
Pendant que le Nigeria devient un allié privilégié, la France voit son influence s’éroder dans son pré carré traditionnel. La rupture de l’accord de défense avec le Tchad, après 60 ans de coopération militaire, symbolise ce déclin. « Nous entrons dans une nouvelle ère des relations franco-africaines », analyse Abderaman Koulamallah, ministre tchadien des Affaires étrangères.
Ce retrait s’inscrit dans un mouvement plus large de contestation de la présence française en Afrique. Au Sénégal, pays historiquement proche de la France, le président a annoncé la fermeture des bases militaires françaises, illustrant cette volonté d’émancipation.
Pour la France, ce pivot vers le Nigeria représente l’opportunité de réinventer sa présence en Afrique, en s’adaptant aux réalités d’un continent en pleine mutation. La réussite de ce pari dépendra de sa capacité à construire une relation équilibrée, respectueuse des aspirations nigérianes et des dynamiques régionales.