Il est l’un des rares chanteurs d’opéra Noir et vit entre Paris et Oman, où il est le chanteur officiel du Sultan. Sa voix exceptionnelle a été révélée par la célèbre cantatrice Barbara Hendricks.
« J’ai une voix de femme dans un corps d’homme », la phrase résonne dans le café-bar du quartier de Saint-Germain-des-prés à Paris où il a ses habitudes. Lunettes de soleil sorties en plein hiver, bandana tenant en respect une chevelure qu’il porte longue, et mini-bouc, Fabrice di Falco, c’est une voix et un physique qui détonnent dans l’univers archi codé des chanteurs d’opéra à la carrure souvent imposante et au timbre de stentor. Luciano Pavarotti, Placido Domingo ou Roberto Alagna, pour ne citer que les plus populaires, sont les représentants de ce cliché séculaire largement répandu.
Fabrice di Falco est l’exact opposé. Le physique d’abord: il est étudié comme pour épouser, voire servir ce timbre vocal unique qui a dérouté plus d’une fois. Mince, élancé, des traits fins, d’ailleurs il revendique son androgynie. Ensuite, il y a cette voix aiguë, que l’imagerie populaire attribue volontiers aux femmes. C’est une « voix de fausset. Elle est l’image de ma personnalité », repétera-t-il pendant tout l’entretien au cas où vous en douteriez encore. Résumons, Fabrice di Falco c’est le masculin-féminin ou le féminin-masculin, c’est selon.
La voix des castrats… ou des anges ?
Dans l’univers musical, on dit qu’il a la voix des castrats, ces énigmatiques chanteurs à la voix d’ange, née de la mutilation de leurs testicules au plus jeune âge, leur permettant d’interpréter à la perfection des airs virtuoses. Les castrats furent adulés dans les cours européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles. « Je suis arrivé à une mauvaise époque. Si j’avais été à l’époque baroque, quand les femmes étaient interdites au théâtre, avec mon physique et ma voix, j’aurais été parfait pour jouer les rôles féminins à l’Opéra », raconte celui dont la voix a convaincu le contre-tenor Philippe Jaroussky, la nouvelle star de l’opéra, de se mettre au chant. Les critiques ont baptisé Fabrice di Falco « Le Farinelli créole », en référence au plus célèbre des castrats. C’est peut-être ici la finalité de sa quête d’une identité artistique entreprise dès ses premiers concerts.
Sa fiche dans le Who’s Who, la bible de « ceux qui comptent » en France, ressemble quelque peu à la vie d’un personnage romanesque, ou d’une histoire américaine. Naissance dans les années 70 en Martinique, dans une certaine bourgeoisie, il imite Maria Callas quand les autres garçons baignent dans le zouk (« la musique des Noirs »). Découverte de son talent sur le tard grâce à une rencontre fortuite, l’envol et le succès. Arrêtons-nous sur La Rencontre.
Barbara Hendricks
Ce sera la cantatrice noire Barbara Hendricks, invitée à donner un récital à Fort-de-France en 1992 par Jean-Paul Césaire, le fils d’Aimé. « Elle portait une robe rose extrêmement flashy sur sa peau foncée. On aurait dit un bonbon. Je pensais qu’elle allait chanter le gospel. Quand elle a ouvert la bouche, j’étais pétrifié. A la fin du concert j’ai été la voir et je lui ai dit que je pouvais chanter la même chose », se remémore-t-il. Rendez-vous est pris pour le lendemain. Fabrice di Falco va passer une audition spéciale. Il chante l’air du page Cherubin dans l’opéra-bouffe de Mozart « Les Noces de Figaro ». Chérubin est un travesti. Il se déguise en fille pour mieux les séduire. Comme une prémonition ? Le verdict tombe. « Vous avez un timbre particulier, obtenez votre Bac, montez à Paris et passez les auditions du conservatoire de Boulogne-Billancourt », lui conseille-t-elle, en lui donnant les coordonnées d’un professeur de chant. Fabrice di Falco dit avoir toujours le même professeur. Il sera premier prix de chant du CNR en 1999.
Rebelle aux étiquettes
Insatisfait des étiquettes qu’on accole à sa voix (contre-tenor, alto, soprano) et malgré l’enchaînement de rôles, il se cherche artistiquement. Il lui manque un rôle-titre et ceux-ci sont rares pour une voix comme la sienne, le répertoire autrefois réservé aux castrats ayant été recupéré par les femmes. Après diverses tergiversations musicales, Fabrice di Falco dit avoir trouvé la « paix vocale » à 30 ans: « Je suis un sopraniste », le pendant masculin de soprano. Cette ligne directrice lui vaut depuis de recevoir des propositions pour les rôles de contre-tenor (timbre un peu plus grave) « Plus je vieillis plus ma voix est grave », raconte-t-il.
Métis et pluriel
Produit du métissage (un père italien, une mère martiniquaise et une grand-mère maternelle béké), Fabrice di Falco n’a de cesse d’envoyer des pieds de nez à l’uniformisme enfermant de sa famille musicale, qu’il décrit lui-même comme « cloisonnée », « trop tournée sur elle » et il regarde d’un air suspicieux et méprisant les expressions artistiques dites populaires. En vrac, il alterne le baroque et le jazz, touche à la comédie musicale et au mannequinat, alors que peu de chanteurs d’opéra s’aventurent vers ces genres qui pourraient entacher leur image.
Son éclectisme se vérifie de nouveau en 2005 lorsqu’il se produit aux côtés du saxophoniste camerounais Manu Dibango au Trianon à Paris, et en 2007 quand il interprète le rôle d’Orphée dans le spectacle musical des arts martiaux modernes au Cirque d’hiver à Paris. « Quand on est le fruit d’un métissage, on doit se mélanger », conclut-il. Il rêve de duos avec la chanteuse noire américaine Whitney Houston et la belge Lara Fabian. Et il se voit à moyen terme producteur ou coach vocal des candidats aux télécrochets comme Nouvelle Star et Star Academy.
Fabrice di Falco en quelques dates
• Naissance à Fort-de-France en Martinique. Il ne donne pas sa date de naissance
• 1992 : il rencontre la cantatrice noire Barbara Hendricks, qui l’encourage à entrer au conservatoire national de Région (CNR) de Boulogne-Billancourt
• 1999 : il est le premier prix de chant à la sortie du CNR
• 2006 : il interprète et incarne Oberon dans le Songe d’une nuit d’été de Britten au Teatro Colon de Buenos Aires en Argentine.
• 2007 : il devient le chanteur attitré du sultan d’Oman
• 2010 : il prépare un récital pour Haïti en mai
Mais chanteur officiel du Sultan d’Oman !
Cet éventuel virage à 180 degrés contraste avec le statut actuel de « chanteur officiel » du Sultan d’Oman, Qaboos bin Saïd, charge qu’il occupe depuis trois ans, après avoir chanté un programme de Mozart au palais royal. Ce qui le conduit à vivre entre Paris et Oman. Il a fréquenté d’autres cours, notamment celle du Danemark en 2004, convié par la reine, séduite et intriguée par son timbre particulier. « La voix des castrats a toujours intrigué les royautés », lâche celui qui dit avoir toujours refusé d’être un phénomène de foire. A-t-il souffert de railleries ou de moqueries dans des univers moins feutrés où le culte de la virilité est célébré ? « Je n’ai jamais eu de problème, je n’ai jamais refusé ma part de féminité. En Martinique, mes potes les plus durs me considéraient comme leur mascotte parce que ma voix leur échappait ». Pas d’ostracisme, ni de rejet donc.
Très imprégné par la religion – il a réservé ses premières prestations à la cathédrale de Fort-de-France en 1994 -, Fabrice di Falco prépare un concert pour Haïti le 31 mai à la cathédrale des Invalides à Paris. Les fonds devraient aller à la reconstruction de la cathédrale de Port-au-Prince, détruite lors du séisme meurtrier de février 2010.
Lire aussi son interview : Fabrice Di Falco, le Farinelli créole