F comme Foulard


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L’apprentissage : F comme Foulard. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre en février 2007.

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

F

FOULARD

Je porte le foulard.

Tous les soirs, quand je prépare la cuisine, je couvre mes cheveux d’un foulard de coton Cacharel à fleurs, mesure d’hygiène. Tous les soirs, dans ma cuisine, avec mon foulard et mon tablier, je ressemble à l’image d’Epinal de la mère de famille. Et après une journée d’interviews de tournages télé et de métro, après des rendez-vous où on doit être élégante séduisante convaincante l’égale des hommes et plus, ne pas se laisser impressionner par des PDG imbus de leur personne des rédacteurs en chef qui se prennent pour des rois des secrétaires zélées qui font toujours barrage, après de telles journées cela ne me déplaît pas de revêtir l’attirail de la parfaite mère au foyer, le temps de préparer le dîner.

J’ai conscience aussi, quand je porte mon foulard, de ressembler à une petite Fatma comme les colons appelaient jadis leurs bonnes, qui toutes portaient ce foulard-là, et cette solidarité muette avec toutes ces femmes, parfois des fillettes, qui faisaient ce travail ingrat, cela non plus ne me déplaît pas, manière inconsciente de me rappeler d’où je viens et où j’appartiens, oui je suis la sœur de ces femmes arabes pauvres que les colons jadis écrasaient de leur mépris en leur retirant jusqu’à leur nom, je suis la sœur de toutes celles qui de nos jours encore, chez les bourgeois de Rabat à Riyadh, subissent encore ce sort-là, tout aussi méprisées et parfois davantage*.

Je suis chrétienne et non pas musulmane, le foulard n’a donc aucune signification sacrée pour moi, mais chez nous, arabes chrétiens musulmans ou juifs, depuis toujours les femmes dans les maisons se cachent la chevelure, c’est plus pratique quand vous faites le ménage pour vous protéger de la poussière, dans la cuisine contre les odeurs de sauces, c’est au contraire pour les garder propres et jolis quand on le retire que nous cachons ainsi nos cheveux dans nos maisons. Car nous adorons l’élégance, et même la séduction, tout autant que nous aimons nos fonctions domestiques.

Quand je porte le foulard dans ma cuisine, j’ai conscience, tout comme quand je me lave avec une loofah, de me relier aux femmes âgées de ma famille, ma grand’mère jamais n’a porté de foulard, femme moderne qui fumait des cigarettes américaines et lisait le journal en français, mais ma vieille tante Marie, dans sa maison de Zahlé dominant la Bekaa, portait, quand elle ne sortait ni ne recevait pas, un foulard sur la tête.

Le foulard chez nos paysannes du Liban de Kabylie du Haut-Atlas ou de la plaine de l’Euphrate est l’équivalent de la coiffe bretonne jadis ou du bonnet aixois, du fichu fleuri des roumaines ou des russes babouchkas, le parent de toutes les coiffes féminines rurales dans toutes les contrées, Pérou Vietnam Cambodge Argentine Chine Alaska et au-delà. Car ramasser du bois, porter sur le dos un enfant, préparer le feu, laver son linge au bord de l’eau, et toutes ces tâches que les femmes font dans les villages partout au monde depuis la nuit des temps, avec les cheveux au vent, où avez-vous vu ça?

Alors quand les jeunes filles et les femmes, ici ou là-bas, décident de porter à nouveau un foulard sur la tête, quand leur mère, occidentalisée, ne le faisait pas, moi je ne m’affole pas, je sais que c’est un réflexe identitaire bien plus que religieux. Ce voile, que ces filles musulmanes affichent en public, c’est, comme mon foulard Cacharel que je porte chez moi, une manière de dire: je suis moi. Porteuse de ma culture, dans un monde qui s’occidentalise, qui s’uniformise.


* Le mauvais traitement qui est souvent infligé aux bonnes dans les pays arabes commence à cesser d’être tabou, grâce aux écrivains et aux cinéastes. Le film récent du Tunisien Nouri Bouzid, « Poupées d’argile » (2003), est édifiant à ce sujet. Par le biais de la nouvelle ou du roman, des écrivaines marocaines, telles Bahaa Trabelsi, sont également en train de briser le tabou.

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