
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Jean de La Fontaine
L’affaire fait grand bruit des deux côtés de la Méditerranée. Tandis que la justice française vient de refuser l’extradition d’Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre algérien condamné à un siècle de prison pour corruption, Paris multiplie les procédures pour expulser des influenceurs algériens jugés trop bruyants sur les réseaux sociaux. Une illustration criante du deux poids, deux mesures qui prévaut dans la politique migratoire française.
Bouchouareb, l’infranchissable ligne rouge
Installé dans les Alpes-Maritimes, Abdeslam Bouchouareb n’a jamais répondu de ses accusations devant la justice de son pays. Condamné à plusieurs reprises à des peines de 20 ans de prison pour corruption et détournement de fonds, l’ancien ministre de l’Industrie sous Abdelaziz Bouteflika bénéficie en France d’une protection judiciaire que beaucoup en Algérie peinent à comprendre.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé, le 19 mars 2025, que son extradition aurait des « conséquences d’une gravité exceptionnelle », notamment en raison de son âge (72 ans) et de son état de santé. Une décision qui repose sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’accord franco-algérien de 2019 sur l’extradition. Un accord que Bruno Retailleau ne souhaite a priori pas supprimer, contrairement à celui de 1968.
Autrement dit, un homme condamné à 100 ans de prison pour corruption peut couler des jours paisibles sur la Côte d’Azur, à l’abri de la justice algérienne sans que cela n’émeuve les médias français, qui continuent de faire leur Une sur le sujet des influenceurs.
Quand la France traque les influenceurs algériens
En effet, pendant ce temps, une toute autre catégorie d’Algériens se voit refuser la clémence des tribunaux français. Depuis plusieurs mois, Paris s’attelle à expulser des influenceurs algériens sous prétexte qu’ils inciteraient à la haine ou troubleraient l’ordre public. Certains sont accusés d’avoir des positions critiques sur la politique intérieure française ou sur les relations franco-algériennes. Et en l’occurrence, le ministre de l’Intérieur Brubo Retailleau ne s’embarrasse pas de respecter le droit, se faisant plusieurs fois reprendre pour sa communication trop rapide et non conforme avec le respect des règles françaises et internationales.
Le contraste est saisissant : alors qu’un ancien ministre condamné pour corruption peut invoquer son état de santé pour rester en France, des créateurs de contenus algériens sont considérés comme des menaces et renvoyés sans ménagement vers Alger. Avec pour certains des choses à leur reprocher sans aucun doute, mais pourquoi seulement eux ?
Cette justice à géométrie variable soulève de nombreuses interrogations. Pourquoi la France refuse-t-elle de livrer un homme poursuivi pour des détournements de fonds massifs, tout en appliquant des procédures expéditives contre des influenceurs dont le tort principal est d’exprimer une opinion ?
Un jeu diplomatique trouble
Ce deux poids, deux mesures traduit surtout une réalité politique : la France protège ceux qui, autrefois, faisaient partie du système et avaient des relais de pouvoir. Dans le cas de Bouchouareb, la justice française semble réticente à livrer un homme qui pourrait être une source d’informations embarrassantes sur certains circuits financiers et réseaux d’influence.
À l’inverse, la répression contre les influenceurs s’inscrit dans une volonté de contrôle des discours publics et de volonté de tendre les relations avec Alger. Montrer qu’on peut expulser des ressortissants algériens jugés gênants permet à Paris d’envoyer un signal de fermeté sur les questions migratoires à la Droite et à l’Extrême Droite.
Une indignation grandissante
Cette situation alimente un ressentiment croissant, en Algérie comme en France. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes dénoncent une politique sélective qui protège les puissants et réprime les voix dissidentes.
En définitive, cette affaire Bouchouareb vient rappeler que, selon que vous soyez puissant ou misérable, l’asile en France n’a pas les mêmes règles. C’était vrai du temps de Jean de La Fontaine, c’est toujours le cas du temps de Gérald Darmanin.