Les personnes expulsées de France après avoir été déboutées de la circulaire du 13 juin sont de plus en plus nombreuses à être recensées par le Réseau éducation sans frontières. Le collectif milite avec efficacité depuis des années pour la régularisation des sans-papiers, mais se retrouve souvent démuni devant la détermination de la force publique. Les lycéens, qui s’organisent à Paris pour soutenir leurs camarades, pourraient ne pas en rester à la simple manifestation pacifique.
Cet été, les caméras des télévisions françaises se bousculaient dans le local de l’Impasse Crozatier, dans le 12è arrondissement de Paris, où le Réseau éducations sans frontières (RESF) tient ses conférences de presse. Ce mardi, Dominique Voynet, la candidate des Verts à la présidence de la République, Noël Mamère (Verts), Clémentine Autin, la jeune communiste qui monte, ainsi que de nombreux responsables syndicaux, sont venus soutenir le collectif qui milite pour la régularisation des sans-papiers depuis près de trois ans. Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire) a fait parvenir un message écrit, de même que Danièle Mitterrand et le comédien Charles Berling. Mais la presse était presque invisible.
Nicolas Sarkozy a-t-il réussi à éteindre la mobilisation née cet été autour des familles sans papiers ? Depuis quelques semaines, RESF rend compte de reconduites à la frontière de familles qui répondaient pourtant aux critères de la circulaire émise par le ministre de l’Intérieur français le 13 juin dernier. Celle-ci invitait les préfectures françaises, sur la base d’un certain nombre de critères, à accorder un titre de séjour à des familles en situation irrégulière dont les enfants sont scolarisés. Depuis que Nicolas Sarkozy a annoncé le résultat de l’opération, le 18 septembre (6 924 demandes satisfaites parmi plus de 30 000 demandes), le soufflet semble être retombé. Contre l’application de la circulaire, aucun recours administratif n’est possible.
« Des familles démembrées »
« C’est un calcul erroné de la part du ministre de l’Intérieur et une appréciation fausse de la part des journalistes, assure pourtant Richard Moyon, l’un des porte-parole de RESF. Le mouvement est beaucoup plus fort que cet été. De nouveaux collectifs sont nés et ceux qui existaient se sont enracinés. En ce qui concerne la circulaire, nous savions qu’elle ne serait pas juste et calclulée par rapport à un quota de 20% ». En revanche, admet-t-il, impossible d’aller contre la force publique quand celle-ci est décidée à mettre une décision en oeuvre.
Pour l’exemple ou pour remplir les quotas fixés par le ministre de l’Intérieur aux préfets, l’Etat persiste à réaliser des reconduites choquantes. C’est le cas des « familles démembrées », où un seul parent, voir un enfant, est expulsé vers son pays d’origine. Libre à celui qui reste de le suivre ou d’attendre un hypothétique retour, légal ou irrégulier. La famille Bibi a ainsi été déchirée le 17 novembre dernier lorsque Moktar a été arrêté en se rendant à son travail. Père de deux enfants de 12 et 3 ans, il a déposé un dossier correspondant aux critères de la circulaire du 13 juin, mais a été débouté. Il a été expulsé le 23 novembre en direction de la Tunisie, sans ses enfants.
Mohamed Belhout, 20 ans, arrêté et conduit dans un centre de rétention avec son père, le 20 novembre, a été expulsé seul vers l’Algérie. Son père est libre et le Tribunal administratif de Rouen a demandé à la préfecture d’Evreux de lui accorder un titre de séjour. La mère de Mohamed est toujours en France, avec ses enfants.
La relève lycéenne
Voilà encore un mois, RESF ne recensait qu’une famille expulsée après avoir été déboutée de la circulaire du 13 juin. « Les statistiques sont impossibles à tenir, mais le chiffre a augmenté », explique Richard Moyon. Et pour réaliser les expulsions lorsque les militants sont mobilisés, les autorités adoptent de plus en plus « des mœurs proches de celles des polices secrètes, regrette le porte-parole de RESF. Lors de son expulsion, la Paf (police de l’air et des frontières) a fait croire à Suzilène – une lycéenne capverdienne de 18 ans – qu’elle était transportée à l’aéroport Orly. Elle a prévenu sa mère, puis la police a pris son téléphone. Suzilène a ensuite été conduite à l’aéroport du Bourget où un avion l’attendait ».
Durant la conférence de presse qu’elle a organisé mercredi, RESF a évoqué le cas d’un couple kosovare arrêté le 16 novembre au matin, à Gray, en Haute Saône, avec ses trois enfants âgés de 3, 4 et 7 ans. La famille a été retenue 20 jours en centre de rétention, à Lyon. Le 3 décembre, à 4 heures, la police l’a réveillée en annonçant un départ pour Paris afin de rencontrer un juge des libertés. Arrivés à Roissy, c’est un avion pour le Kosovo qui attend les Raba. Au prix de l’humiliation de voir un père ligoté et du traumatisme de voir une mère violentée, alors qu’elle se débatait pour ne pas monter dans l’avion, la famille n’a pas été reconduite. Elle n’a reçu aucune réponse dans le cadre de la circulaire du 13 juin, selon RESF, et peut encore être expulsée à tout moment.
Devant cette impuissance, la relève pourrait venir des lycéens. Ceux de Paris se sont organisés au sein d’une coordination dont le mot d’ordre est « régularisation de tous les sans-papiers », explique Mathieu, l’un d’entre eux. Dans la salle, un parent d’élève se félicite d’une victoire obtenue lundi, avec l’aide des lycéens, dans le cas d’un jeune Chinois sans-papiers, et note : « Les gouvernements, de gauche ou de droite, ont très peur des lycéens, chaque fois qu’ils se mobilisent ». Au cas où la famille Raba serait expulsée, et pour toutes les autres, RESF a prévu des actions symboliques, comme celle de laisser autant de chaises vides dans une classe que d’enfants reconduits. Mathieu propose d’effacer à la bombe la devise qui trône à l’entrée du lycée : « Liberté, égalité, fraternité ». « A un moment, explique-t-il, on ne peut plus faire du symbolique. Le retour au Kosovo n’est pas symbolique. Nous, en tout cas, avec les lycéens, allons essayer d’aller plus loin que le pur symbole ».