Depuis plusieurs jours, nombre d’immigrés subsahariens sont abandonnés par le Maroc en plein désert et tentent de survivre dans des conditions extrêmes. Patrick Delouvin, responsable du service Réfugiés à Amnesty International nous livre son point de vue sur la situation précaire de ces ressortissants étrangers.
Par Cédric Reine
L’affaire des immigrés subsahariens jetés en plein désert par le Maroc et abandonnés à leur sort continue de faire couler beaucoup d’encre. Le responsable du service Réfugiés de Amnesty International France, Patrick Delouvin, répond aux questions d’Afrik.com pour expliquer sa position et l’action de sa structure. Une structure qui entend privilégier le dialogue avec les autorités et n’envisage, en général, pas de poursuites à l’égard des gouvernements. Une délégation d’Amnesty est en ce moment en train d’enquêter sur le terrain. Elle se trouvera dans la région jusqu’au 24 octobre 2005 pour rassembler des informations et transmettre les préoccupations de l’organisation sur le traitement des migrants par les autorités espagnoles et marocaines. Une conférence de presse aura lieu à Madrid le 26 octobre pour présenter les résultats de la mission.
Afrik.com: Quel regard portez-vous sur les incidents qui ont eu lieu au Maroc ces derniers mois ?
Patrick Delouvin : Il y a trois aspects: le traitement des migrants, la situation de maintien et les conditions de renvoi. On peut déjà déplorer certains traitements inhumains des migrants. On recense plusieurs décès probablement dus à un recours excessif de la force des responsables marocains ou espagnols. A la fin du mois d’août, deux Camerounais sont morts, semble-t-il, touchés par des balles espagnoles. Les témoignages relatifs à des bus contenant des personnes molestées sont particulièrement préoccupants. Enfin, des migrants auraient été renvoyés dans le désert et ceci est contraire aux textes internationaux des droits de l’Homme.
Afrik.com: On a l’impression qu’il n’y a aucun discernement dans les expulsions ?
Patrick Delouvin : Ces personnes sont traitées comme un groupe qui s’attaque aux deux enclaves espagnoles. Cependant, il semble que certains de ces immigrés subsahariens voulaient demander l’asile. Il semble même que plusieurs d’entre eux possédaient un titre de séjour en bonne et due forme. Ils sont tous refoulés de la même manière. Il n’y a donc eu aucun examen individuel.
Afrik.com: Revenons à cette Déclaration universelle des Droits de l’Homme, comment l’utilisez-vous dans ce contexte agité ?
Patrick Delouvin : La Déclaration universelle des Droits de l’Homme est mentionnée pour interpeller les institutions marocaines et espagnoles concernées. Nous nous fondons également sur d’autres textes, comme la Convention contre la torture ou la Convention de Genève de 1951 qui interdisent le refoulement de personnes sans discernement.
Afrik.com: Avez-vous contacté les gouvernements marocain et espagnol? Si oui, qu’avez-vous pu tirer de vos discussions ?
Patrick Delouvin : Amnesty International reconnaît tout à fait aux Etats le droit de contrôler leurs frontières. Mais Amnesty leur demande de respecter leurs engagements au titre des textes internationaux des droits de l’Homme qu’ils ont signés. Nous nous adressons aux Etats espagnol et marocain mais aussi aux Etats européens. Nous demandons le respect des textes, nous demandons aussi des enquêtes indépendantes.
Afrik.com: Selon vous, quelles attitudes auraient dû adopter les autorités marocaines à l’égard des clandestins ?
Patrick Delouvin : Cette situation n’est, hélas, pas nouvelle pour les autorités marocaines. Le Maroc subit une forte pression de la part de l’Union européenne qui veut fermer ses frontières. L’Union demande ainsi au Maroc de faire le «sale boulot» à sa place. Le Maroc n’est pas le seul pays dans cette situation, il y a aussi la Libye. Actuellement, le Maroc reste le pays sous pression par excellence. Amnesty demande aux Etats de prendre leurs responsabilités aux abords de leurs frontières. Le Maroc aurait dû bénéficier d’une aide de l’Union européenne pour renforcer les contrôles à ses frontières. Il n’a apparemment pas reçu les millions d’euros promis. L’Union se défausse sur d’autres pays pour renforcer des contrôles qui devraient pourtant être effectués rigoureusement pour respecter les droits des migrants. Il faut s’inquiéter à ce sujet de l’accord de réadmission que l’Europe pousse le Maroc à signer.
Afrik.com: Avez-vous envoyé sur le terrain une délégation de médecins qui s’occupent des immigrés, qui attestent d’un suivi médical ?
Patrick Delouvin : Non, notre rôle n’est pas de nous occuper des problèmes de santé. Nous nous intéressons au respect des textes internationaux des droits de l’Homme. Ainsi, nous veillons au respect de ces textes, des différents pactes et conventions, à l’application stricte des droits des migrants.
Afrik.com: Les autorités marocaines n’ont guère eu de scrupules à abandonner ces immigrés en plein désert. Ces abandons peuvent être légitimement assimilés à des meurtres. Cela ne nécessiterait-il pas, selon vous, d’intenter des actions en justice ?
Patrick Delouvin : Nous n’en sommes pas encore là. Depuis plusieurs semaines, nos militants s’adressent aux gouvernements concernés pour leur demander des explications. Nous privilégions le dialogue. La semaine dernière, le 15 octobre pour être précis, Amnesty a envoyé une mission sur le terrain pour rencontrer les autorités marocaines et espagnoles et nous entretenir avec elles ainsi qu’avec des avocats, des associations, le Haut Commissariat aux Réfugiés et bien sûr des victimes pour avoir des informations complémentaires sur ce drame. Nous écoutons et vérifions aussi les informations qui nous sont communiquées. Enfin, nous aurons recours, s’il le faut, à des «procédures» de dénonciation et surtout nous formulerons nos recommandations. Si cela n’est toujours pas suffisant nous ferons des courriers et irons plus loin en menant des campagnes d’alerte supplémentaires via nos militants.