Exposition « Dégagements… La Tunisie un an après» à l’IMA


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L’Institut du monde arabe, à Paris, accueille du 17 janvier au 1er avril 2012, l’exposition « Dégagements… La Tunisie un an après». En vue de célébrer le premier anniversaire de la révolution tunisienne, une vingtaine d’artistes témoignent, à leur manière, des grands évènements qui ont marqué cette année. Quel regard les artistes, à la fois acteurs et témoins de cette histoire, ont-ils porté sur ces évènements ? Nidhal Chamek, plasticien tunisien, exilé en France pendant la dictature, figure parmi les artistes qui exposeront à l’IMA. Rencontre.

Quand la révolution populaire a éclaté en Tunisie, bouleversant à jamais l’avenir du pays, Nidhal Chamek était en France. Cet étudiant des Beaux-arts à Paris, âgé de 26 ans, fils d’un opposant politique, lui-même militant syndicaliste, était un artiste blacklisté en Tunisie. Comme d’autres, il a dû prendre le chemin de l’exil afin de contourner la censure qui privait son art de la liberté dont il avait besoin pour s’exprimer. La révolution, il l’a vécu à distance. Heureux de voir enfin son pays se libérer des chaînes qui l’opprimaient, frustré de ne pas vivre ce moment historique au milieu des siens. C’est la raison pour laquelle, alors que les artistes tunisiens ont très vite été sollicités pour témoigner de la révolution à travers leur art, Nidhal, lui, choisit de s’isoler. « Après la révolution, j’ai eu besoin de prendre le temps de digérer tout ce qui s’était passé avant de l’exprimer dans mon art. J’ai pris le temps de réfléchir. » Artiste, il est avant tout citoyen. Un citoyen tunisien qui va vouloir participer à la construction d’un état démocratique en Tunisie. A sa manière. « Je suis retourné en Tunisie à plusieurs reprises. Cet été, j’y suis resté presque trois mois. Le temps d’observer tout ce qu’il se passait. » De manifester également. « Hélas, toutes la manifestations auxquelles j’ai participé ont dégénéré. » Des choses qu’il a finies, avec le recul, par transcrire dans ses travaux artistiques.

« J’ai eu besoin de prendre le temps de digérer tout ce qui s’était passé avant de l’exprimer dans mon art. »

Des œuvres d’art qu’il exposera, à côté d’une vingtaine d’autres artistes, à l’Institut du Monde Arabe, à Paris, du 17 janvier au 1er avril 2012. « Cette exposition est venue un peu par hasard, confie-t-il. Au départ, je ne faisais pas partie de la liste des artistes qui allaient exposer. C’est la nouvelle directrice de l’Institut, qui connaissait mon travail, qui m’a ajoutée. Quand le commissaire de l’exposition, Géraldine Bloch, m’a contacté pour participer à l’exposition, j’ai un peu hésité au début, je ne savais pas quelle était l’idée générale de l’exposition. Si c’était une simple célébration de l’anniversaire du départ de Ben Ali ou quelque chose sur ce qui s’est passé en Tunisie depuis un an. » Et c’est ce deuxième point qui suscite l’intérêt du jeune artiste et qui est également au cœur de l’exposition. « L’idée de l’exposition était d’inviter de jeunes artistes tunisiens mais aussi d’ouvrir le débat sur ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie. » Où en est-on un an après ? Quel regard les artistes, à la fois acteurs et témoins de cette histoire, ont-ils porté sur la révolution et sur les évènements qui ont suivi ? A travers des photographies, des peintures, des sculptures ou encore des vidéos, l’exposition invite le public à s’interroger, un an après, sur les évènements qui ont bouleversé l’avenir de la Tunisie au même titre qu’ils ont insufflé un vent nouveau dans l’ensemble du monde arabe et au-delà. « J’ai donc accepté. Nous avons fait le tri dans mes différents travaux. Et nous en avons sélectionné trois. Dont deux ont été réalisés avant la révolution, en septembre 2010, justement pour faire comprendre que les problèmes évoqués il y a un an sont toujours présents en Tunisie.

Ce qu’il y a d’intéressant également dans ces travaux, c’est qu’ils représentent des femmes nues, ce qui permet de donner un écho aux préoccupations actuelles. » Place de la religion dans la sphère politique, statut de la femme, liberté d’expression… Des enjeux qui monopolisent le débat politico-médiatique tunisien et n’ont pas manqué d’inspirer les artistes tunisiens. « Le troisième travail, poursuit Nidhal, qui fait partie d’une nouvelle série encore en cours, est un hommage à la révolution, plus précisément aux martyrs de la révolution. Ce qui m’intéressait dans tout ça, en référence au travail de Slah Daoudi sur les martyrs, c’est son actualité, l’aspect non achevé de la chose. » Un travail qui traduit, avec beaucoup de force et de finesse, toutes les interrogations qui traversent la société tunisienne, en pleine ébullition post-révolutionnaire. « Je n’ai pas vu tous les travaux, mais je sais que d’autres artistes vont un peu dans le même sens, ils permettent d’ouvrir le débat, de poser des questions. Même si les approches sont différentes.»

Par des artistes comme Ahmed Hajeri, plasticien, un des pères de l’art contemporain tunisien, un des rares à avoir pu se faire connaître à l’étranger, en France notamment, malgré les maillons de la censure et les pressions qui ont sévit bien au-delà des frontières tunisiennes. A côte d’autres plus jeunes, dont Wassim Ghozlani photographe tunisien, dont le travail, très avant-gardiste, reflète l’émergence d’un art contemporain tunisien avec ses codes, ses thématiques très engagées, résultat de la dictature qui a étouffé toute expression artistique. Si les Tunisiens représentent la majorité des exposants, d’autres, non Tunisiens mais dont l’expression artistique a été marquée par la révolution tunisienne, participent également à l’évènement. C’est le cas du Malien Abdoulaye Konate, plasticien, d’Ali Cherri, designer graphique libanais ou encore de Majida Khattari, plasticienne et vidéaste marocaine. « Des travaux, soulignent Nidhal, qui s’inscrivent dans une approche qui n’est pas purement documentaire. » C’est un fait, le visiteur qui ira voir l’exposition à l’IMA ne pourra manquer de s’interroger, interpelé par ces questions que posent les artistes sur l’avenir de la Tunisie et plus largement sur les révoltes arabes, leurs réussites et leur échecs.

« Les artistes permettent d’ouvrir le débat, de poser des questions. »

Un bilan que Nidhal, au terme d’une année de réflexion, y compris sur le terrain, n’a pas manqué de dresser. Et si ces œuvres peuvent apparaître sombres, très dures au premier abord, on peut y lire une certaine ouverture. « Même si je suis agacé par certains aspects de ce qui se passe actuellement en Tunisie où l’on a le sentiment que la révolution a été détournée, confisquée, indique-t-il, sur l’ensemble je porte un regard plutôt optimiste sur l’avenir. S’il y a une sphère politico-médiatique qui ne voit pas ce qui se passe en Tunisie, moi, qui vais souvent dans les régions, où l’on est effectivement préoccupé pour l’avenir, ce qui est clair, c’est que désormais les gens savent ce qui se passe, ils tiennent encore debout et ne sont pas prêts à rien lâcher, notamment dans le sud, ou à Sidi Bouzid, là où tout a commencé, malgré le black-out médiatique. On sait que le mouvement ne va pas s’arrêter tout de suite. »

Quant à Nidhal, il n’a toujours pas posé ses bagages, l’artiste reste partagé entre son désir de rentrer en Tunisie et sa volonté de promouvoir la culture tunisienne en France. « Je me suis posé la question, à plusieurs reprises, depuis un an et je continue de me la poser. Si je dois rentrer définitivement ou rester en France. Ce qui me retient, en dehors du fait de finir mes études, c’est que je me dis qu’il y a beaucoup à faire ici également. Il n’existe toujours pas de centre culturel tunisien en France. L’idéal serait d’être un peu là-bas et un peu ici, avec des allers retours assez fréquents pour monter des projets communs, en dehors de mes travaux personnels, pour soutenir les jeunes artistes et promouvoir l’art contemporain tunisien. » Ce qu’il fait déjà, en participant à cette exposition qui rend compte de l’extrême diversité et de la richesse de l’art tunisien contemporain hélas largement méconnue.

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