Les nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi, qu’ils soient frais émoulus d’une université ou fraîchement libérés d’un premier contrat professionnel, sont toujours confiants et surmotivés devant la régularité, la spécialisation et même l’abondance apparente des offres disponibles. Cette confiance et cette surmotivation vont aller en se réduisant comme une peau de chagrin, au fur et à mesure du temps qui passera. Le marché de l’emploi, qu’on serait tout autant fondé à appeler marché du chômage, est un marché du blues et de la frustration.
Dans un marché, suivant la théorie économique, c’est l’offre qui crée la demande. Et les biens sont d’autant plus demandés qu’ils sont rares. Pourquoi parle-t-on de marché au sujet d’un espace où l’offre tue la demande et la rareté accule au désespoir ?
On parle de lettre de motivation, quelle motivation peut-on encore avoir après tant et tant de recherches infructueuses, de réponses frustrantes, et d’attentes frustrées ? Il faudrait penser à instituer des lettres de démotivation qui expliqueraient pourquoi on en a marre du chômage, marre de tout, marre même d’éplucher les petites annonces et les grandes des sites spécialisés. Ce qui expliquerait peut-être, par l’absurde, la motivation pour les postes convoités.
Après plusieurs mois de recherches, le cerveau du chercheur d’emploi bloque, il plante, il gèle, le chercheur d’emploi n’a pas, comme ses collègues des universités, de laboratoires, de subventions énormes. Le cerveau du chercheur d’emploi ne fait plus de distinction entre les offres qui lui sont proposées par toutes les alertes et autres newsletters auxquelles il a souscrit. Dans chaque annonce, tout ce qu’il lit c’est : blablabla.
Le chercheur d’emploi a le blues, il rêve d’avoir les compétences nécessaires pour concevoir un logiciel spécialisé qui adresserait automatiquement à chaque employeur une candidature personnalisée, adaptée aux besoins de l’annonce. Mais le chercheur d’emploi est une catégorie très désavantagée.
Socialement et dans la philosophie qui sous-tend la répartition de l’argent public, personne ne dira que les subventions aident les chercheurs à vivre. Or l’argent public qu’on donne au chômeur lui est donné avec le sentiment qu’on rétribue sa fainéantise, il n’a pas vocation à l’aider dans sa recherche d’emploi.
S’il n’a pas fait des études longues, le chercheur d’emploi aura le sentiment de récolter le fruit de son inintelligence, de sa paresse. Se remet-il aux études ? Il sera bientôt surqualifié (trop qualifié pour être un junior, pas assez expérimenté pour être un senior), désormais obligé de mentir par omission dans ses CV : tous les sites spécialisés préconisent ce mensonge. L’idée d’avoir plusieurs CV ne consiste-t-elle pas à dire ici ce qu’on taira là ?
Un candidat, un CV ! Y a-t-il des chercheurs d’emploi qui aient trois vies, trois vies qui ne puissent pas tenir dans un seul document ? Alors le logiciel fantasmé serait donc capable d’enlever les diplômes et les certifications les plus encombrants, d’omettre les réalisations gênantes, de taire les expériences professionnelles humiliantes, et d’ignorer les compétences inutiles…
Il serait temps que les chercheurs des laboratoires, qui ont quand même bien plus de subventions que leurs homologues du marché de l’emploi, donnent à ces derniers un coup de main, en inventant ce logiciel qu’on pourrait appeler « justice ».
Votre candidature au poste de…
De leur côté, les employeurs se plaisent aussi à employer les chômeurs à lire de la littérature sans intérêt, une littérature de la négation, du refus. Combien leur en coûterait-il à tous ces cabinets de recrutements, à tous ces experts de la sélection, d’avoir des rédacteurs, d’intituler autrement que par des formules administratives leurs correspondances, de mentionner dès l’objet ce que l’on sait déjà qu’on lira sitôt qu’on voit : « votre candidature au poste de… »
« Malgré la pertinence de votre candidature » : mention inutile. Arrêtez de sous-estimer l’intelligence des chercheurs d’emploi. Sa candidature n’est pas si pertinente que ça, la preuve, il n’a pas été convoqué à un entretien d’embauche, pas même en guise de présélection (au moins pour le sortir de son lit et lui faire enfin prendre une douche).
« Nous nous permettons de conserver votre candidature… » : aucun chercheur d’emploi ne prendra jamais la peine de le leur dire, mais il n’en pensent pas moins : détruisez toutes les données qui vous ont été confiées. Vous ne pouvez prétendre conserver son dossier, alors que l’offre d’emploi sera à nouveau postée la semaine suivante faute d’avoir été comblée.
Les employeurs les moins écolos sont aussi les plus vicieux. Le dossier de candidature à tel emploi ayant été entièrement rempli en ligne, quel besoin ont-ils d’adresser par voie postale un courrier signé et référencé, qui ne dit rien de plus que « malgré la pertinence de … ».
Pour une carrière réussie dans le chômage, peut-être les chercheurs d’emploi pourraient-ils créer leur syndicat qui, dans une convention collective des demandeurs d’emploi, imposerait donc aux employeurs les formes de soumission de candidature de leurs membres.
Ceux qui demandent les lettres de motivation doivent s’attendre aux mêmes lettres-types qu’ils envoient aux candidats malheureux. Idem pour les employeurs qui vous exigent un curriculum vitae, mais font encore remplir, dans un formulaire interminable, des informations que vous avez par ailleurs fournies.
C’est du travail non payé que de répondre à ces offres d’emploi fantaisistes. Les chercheurs d’emploi qui mettent tant de science à poser des candidatures à gauche et à droite doivent être dédommagés par les employeurs vicieux et les cabinets de recrutements qui ne font passer des entretiens que pour savoir ce qui se passe chez la concurrence. N’y a-t-il personne pour lutter contre l’exploitation abusive du temps libre des chercheurs d’emploi ?