Exemplaire Cameroun !


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Etats Généraux de la Communication Palais des Congrès de Yaoundé

La tenue des Etats Généraux de la Communication était une gageure, tant les impatiences et les mécontentements sont nombreux dans un secteur qui couvre à la fois la presse écrite, la télévision, la publicité, Internet… Pourtant l’exercice auquel se sont livrés les professionnels camerounais a été à la fois complexe, libératoire, et salutaire. Les conclusions dont ils ont collectivement accouché dans la douleur sont claires et limpides. Ne reste que la mise en oeuvre, dont on peut souhaiter qu’elle soit aussi rapide que possible !

Les Etats Généraux de la Communication du Cameroun qui sont déroulés du 5 au 7 décembre à Yaoundé ont été pour tous les observateurs étrangers conviés à y participer une expérience particulièrement riche : tous en sont convenus, d’Hervé Bourges, ancien Président du CSA français et fondateur de l’Ecole de Journalisme de Yaoundé (aujourd’hui ESSTIC) à Jean-Louis Roy, Ambassadeur canadien des Droits de l’Homme, en passant par Ambroise Pierre, responsable Afrique de Reporters Sans Frontières…

L’exercice était périlleux, tant les points de vue confrontés étaient difficiles à concilier : conflits ouverts entre cablodistributeurs et bouquets de télévision par satellite, entre journaux indépendants et journaux stipendiés, entre sites Internet d’information et agrégateurs de contenus sans investissements éditoriaux. Toutes les rivalités et toutes les impatiences étaient invitées à s’exprimer. Mieux même : à avancer ensemble vers la résolution de leurs conflits, et de leurs intérêts contradictoires.

Etats Généraux de la Communication Palais des Congrès de Yaoundé

Peu de pays sans doute, dans le monde, auraient eu le courage de mettre ainsi ouvertement sur la table les problèmes posés aujourd’hui par le bouleversement complet que vit le secteur de la communication, sous la pression du numérique et des mutations que commande Internet. Et il fallait, de la part du Ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, pour tenter cette opération, une bonne dose de confiance dans la capacité des professionnels camerounais à dépasser leurs querelles de chapelles pour élaborer ensemble des conclusions applicables.

Le Ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary

Le déroulement des travaux fut à l’image de ce que l’on pouvait redouter de pire : à l’ampleur de vue visionnaire et souvent teintée d’humour du discours d’ouverture d’Hervé Bourges, dont beaucoup d’anciens élèves participaient aux travaux, répondit deux jours durant la fièvre de débats houleux et compliqués. Mais tous s’entendaient sur le diagnostic et une volonté unanime de mieux organiser le secteur pour en maîtriser les dérives s’exprimait dans chaque atelier.

Au point que le bon sens allait finir par l’emporter, dans la rédaction longue et minutieuse d’un catalogue de recommandations auxquelles le chef d’orchestre du Comité scientifique, le Ministre de l’Enseignement supérieur Jacques Fame Ndongo, sut donner l’apparence d’un travail cohérent. Cohérent dans ses principes, moralisation des pratiques et mise en place de conditions économiques viables pour les entreprises de presse, écrite, audiovisuelle, numérique. Cohérent dans les méthodes prescrites : un encadrement juridique rénové adapté aux enjeux du développement des médias camerounais. Enfin concret dans ses conclusions, que plusieurs lois doivent maintenant traduire dans le Droit camerounais.

Jacques Fame Ndongo interviewé par L'Agence AFRIK.TV

Au point que l’on vient à se demander, une fois les travaux terminés et chacun revenu à son propre métier, si le happening spectaculaire auquel on a assisté pendant deux jours à Yaoundé n’a pas constitué, au delà d’une grand messe cathartique, un prodigieux concentré de démocratie participative. Un peu comme si, dans un Canton Suisse, le débat démocratique avait été ouvert sur quelques grandes questions d’avenir, avec comme objectif de construire un consensus sur les besoins de régulation de plusieurs professions sensibles. Le Canton de la Communication camerounaise s’est rassemblé, et a tracé les voies de son avenir, par delà les dissensions du moment. Et le résultat est somme toute à la hauteur des espérances.

Dix-huit ans après les premiers Etats Généraux de la Communication, qui avaient aboli la censure et ouvert le marché aux médias privés, journaux, radios, télévisions… Les seconds Etats Généraux ont pris acte de la profusion médiatique et ils ont tracé la voie à une organisation plus rationnelle de ce marché, par une moralisation des pratiques journalistiques, mais aussi par une consolidation de l’économie des médias et de leur distribution.

Hervé Bourges et Franklin Ndjiké (Canal Plus Cameroun)

Les juristes sauront traduire en lois les dispositions réclamées. L’heure est désormais à la structuration d’entreprises solides, mieux financées, capables de résister aux tentations et de rémunérer correctement les vrais créateurs de valeur médiatique, les journalistes, les producteurs, les réalisateurs, les concepteurs de contenus de qualité pour les autoroutes de l’information.

Après le temps du « babil », pour reprendre l’expression de Roland Barthes, vient le temps de l’expression médiatique. Le vrai outil de la constitution d’un espace public démocratique. Ensemble, tous les professionnels camerounais ont affirmé leur volonté de développer en ce sens leurs médias. Diagnostic, prise de conscience des réalités, adoption consensuelle des nouvelles règles à appliquer : le Comité de Suivi aura fort à faire dans les mois qui viennent. Mais il se pourrait bien qu’on dise demain que cette méthode de réforme par consensus a un caractère exemplaire.

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