Le psychologue togolais Ferdinand Ezembe est le président-fondateur de l’association Afrique Conseil qui s’est fixée pour objectif d’exprimer les opinions des Africains sur des problèmes qui les concernent. Kadidia Sidibe est, quant à elle, la responsable de l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT), créée en 1984 et agréée en tant qu’ONG en 1991
Ferdinand Ezembe :
Afrik.com : Que pensez-vous de l’excision ?
Dr Ezembe : Je voudrais tout d’abord dire que c’est un problème de femmes et que de fait en tant qu’homme je ne suis pas le mieux placé pour donner un avis.
Il est clair que l’excision a eu un sens à une époque donnée. Je vous fais cependant remarquer qu’on ne peut pas se permettre de juger une pratique de l’extérieur. La souffrance est bien sûr universelle mais il faut faire l’expérience de l’excision pour en parler. Dans ma profession, j’ai rencontré des excisées traumatisées et d’autres qui la revendiquaient tout en ne voulant pas l’imposer à leurs filles. Je ne parle pas ici de l’infibulation mais de la simple ablation du clitoris.
J’ai reçu le témoignage d’une femme de l’Afrique de l’Ouest qui m’expliquait qu’elle avait une sexualité normale .Elle avait d’ailleurs attendu l’excision avec impatience pour accéder à un lac où seules les excisées avaient le droit de se baigner. Elle m’a aussi expliqué qu’avant le grand jour, elle avait reçu une initiation sexuelle dont elle n’a pas voulu révéler le contenu puisque c’est un secret d’initiée. Il est normal que l’excision pose un problème dans un univers (le monde moderne) où elle est désacralisée.
Si les risques médicaux sont certains, il est cependant des régions entières où les femmes sont en majorité excisées. Ce ne sont pas pour autant des régions où la population féminine est décimée. En outre ramener le débat sur l’excision à un problème sexuel est quelque peu farfelu. Les femmes frigides, ça existe ! Ne déniions pas cependant la possibilité d’un droit de regard même si il appartient aux femmes des ethnies concernées de décider. Ne nous érigeons surtout pas en donneurs de leçons.
Afrik.com : Que pensez-vous de la position française ? Et de celle des hommes ?
Dr Ezembe : La France attaque l’excision parce que c’est avant tout une pratique africaine. Elle a elle même abrité au 19è siècle, un éminent chirugien, le professeur de Broca, fondateur de l’école anthropologique française qui conseillait l’excision. J’attends le jour où des Africains pourront proscrire une pratique culturelle française sous prétexte de barbarisme. Les hommes et les femmes dans ce domaine se rejettent la responsabilité. C’est le serpent qui se mord la queue. L’excision est devenu un problème économique quand on considère le statut de l’exciseuse.
Afrik.com : La position de l’ethnopsychiatrie telle que développée par Tobie Nathan vous paraît-elle probante en ce qui concerne l’excision ?
Dr Ezembe : La démarche de Tobie Nathan est intéressante parce qu’il est parti de l’assertion que nul ne devait s’ériger en donneur de leçons mais il s’est fait piéger par le travers que lui même dénonçait. Il n’est pas le mieux placé pour parler de l’excision. C’est comme si un psychiatre togolais était l’expert en ce qui concerne des pratiques typiquement occidentales. Tout le monde trouverait cela aberrant. La chose semble moins évidente quand il s’agit de demander l’avis de Nathan sur l’excision.
Kadidia Sidibe :
Afrik.com : Quelle est votre action au Mali et comment est venu votre intérêt pour la lutte contre l’excision ?
K. Sidibe : Je suis enseignante de formation et j’ai été très touchée par la mort d’une de mes élèves qui avait été excisée.
Afrik.com : Que pensez-vous de l’assertion selon laquelle l’excision est une ruse machiste ?
K. Sidibe : Il est vrai que les hommes historiquement en sont les initiateurs. Et ce sous le prétexte de préserver la fidélité des femmes. Ce sont pourtant elles qui la pratiquent et la revendiquent. Elles ont été psychologiquement marquées. On leur a toujours dit que non excisées, elles nuiraient à leurs enfants ou à leurs maris, coeur de leur vie.
Ce n’est pas seulement un concept de villageoises mais c’est aussi celui d’intellectuelles. La différence réside dans le fait qu’elles invoquent la médicalisation. Toute opération est d’ailleurs proscrite par un arrêté au Mali qui prévoit des poursuites pénales. On a constaté des grands changements dans la mesure où dans les 70 villages dans lesquels j’interviens, 20 ont arrêté de pratiquer l’excision.
Afrik.com : Qu’est ce qui vous paraît le plus important à retenir de l’excision ?
K. Sidibe : J’ai toujours cherché à comprendre l’excision. En tant que sonraï, groupe ethnique qui ne pratique l’excision qu’au contact des populations qui le font, je n’avais pas vraiment été confrontée à la chose. Je ne dis jamais que l’excision est une mauvaise chose. Seulement dans la culture africaine, il existe des aspects positifs et négatifs, malheureusement l’excision en fait partie. D’autant plus qu’elle a perdu sa valeur culturelle. L’excision, pratiquée à la puberté était précédée d’une période initiatique pendant laquelle la jeune fille apprenait à satisfaire sexuellement son époux en plus d’être une bonne épouse. C’est aujourd’hui, à mon avis, un problème économique. L’exciseuse dans le village est une femme reconnue qui reçoit des dons des villageois. La fin de l’excision mettrait fin à cet avantage économique non négligeable.
Appel à la solidarité
Suite à son excision, la lycéenne Fanta Camara souffre de troubles graves liés à la rupture de son sphncter urinaire. Une autre jeune fille âgée de 17 ans a besoin d’une intervention chirurgicale. Les internautes qui souhaiteraient aider au financement de ces opérations peuvent entrer en contact avec Fadidia Sidibe, à l’Association malienne pour le suivi des pratiques traditionnelles (AMSOPT), BPE 1543 Bamako (Mali), tél. 00 223 295 895. E-mail : amsopt@datatech.toolnet.org