Eviter le piège de la politisation de l’islam en Suisse


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Drapeau de la Suisse
Drapeau de la Suisse

L’année 2010 semble avoir commencé difficilement pour les relations entre musulmans et Européens. Le plébiscite du peuple suisse lors de l’initiative du 29 novembre 2009 pour l’interdiction des minarets suscite encore un tollé de réactions dans le pays et à l’étranger. Les critiques soulignent notamment le caractère discriminatoire et stigmatisant de ce vote contre les minorités musulmanes de Suisse, mais aussi l’image négative de la Suisse à l’étranger qui en découle.

Après ce vote, nombre d’entre nous tentent encore de comprendre l’enchevêtrement des différents facteurs qui l’ont influencé.

Il faut, bien sûr, tenir compte des argumentaires récurrents sur la soi-disant incompatibilité entre l’islam et la modernité politique et culturelle, émanant de milieux politico-idéologiques critiques à l’islam (comme le Mouvement contre l’islamisation de la Suisse). Il y a aussi l’habituelle anxiété de la population face aux migrations, la colère face au traitement inégalitaire des femmes dans certaines régions du monde musulman, et plus largement, le contexte politique international de l’après 11 septembre.

Cependant, les musulmans suisses pratiquants exercent leurs activités religieuses selon des traditions et des écoles juridiques respectives du pays d’origine, c’est-à-dire selon des approches libérales et accommodantes de l’islam européen et de sa pratique dans le cadre de l’Etat laïque. Or, ces expériences de l’islam, celles notamment issues de l’école juridique hanéfite, particulièrement positives et accommodantes pour le contexte suisse et européen, sont aux abonnés absents du débat qui les concernent.

Le résultat de ce vote sur les minarets a pourtant le grand mérite de susciter d’importantes discussions au sein de la société suisse. La parole se libère sur le processus d’intégration des musulmans en Suisse et sur l’harmonisation de cette religion avec les valeurs prédominantes du pays, telles qu’elles apparaissent par exemple dans le système d’éducation laïque et les services publics.

Toutefois, ce débat contribue aussi à ériger dans la conscience publique une nouvelle catégorie – celle du « musulman » – au premier rang des multiples appartenances identitaires des personnes et communautés de confession musulmane en Suisse. L’usage de ce terme est problématique dans le sens qu’il efface toute distinction entre des musulmans d’origine sociolinguistiques différentes, les fondant progressivement une une catégorie politique et identitaire, donnant ainsi une fausse définition sociologique des musulmans de Suisse.

Or ce phénomène pourrait clairement contribuer à la politisation de l’islam en Suisse. Car il fait directement le jeu de certains acteurs politico-religieux musulmans de Suisse, dont le discours est systématiquement relayé par les médias, créant de nouvelles tensions.

L’exemple le plus frappant est l’appel aux musulmans de Suisse fait par Gasmi Slaheddine, président de la Ligue des Musulmans au Tessin, en faveur de la fondation d’un parti islamique en Suisse, une semaine après la votation. Ce type de personnalités ou de groupes sont en train de saisir cette fenêtre d’opportunité pour se mobiliser sur une base religieuse et se profiler comme des interlocuteurs légitimes de tous les musulmans de Suisse.

Cette situation est hautement problématique puisqu’elle attribue un rôle social et politique démésuré à la religion et aux acteurs religieux musulmans de Suisse.

Car ces portes-paroles politico-religieux auto-désignés des musulmans de Suisse ne représentent nullement les diversités intrinsèques de cette population. Leurs discours contredisent les représentants laïques et religieux de la grande majorité des personnes et communautés musulmanes en Suisse, réduisant au silence des voix importantes du débat sur ce que signifie être musulman en Suisse.

Deuxièmement, les discussions en cours révèlent la méconnaissance profonde de la réalité sociologique des musulmans de Suisse. Malgré la polémique grandissante, on en sait toujours trop peu sur ces populations hétéroclites de Suisse, sur leur façon de percevoir la modernité culturelle et politique, sur leur réelle perception de la société suisse, sur leur insertion socio-professionnelle en Suisse, et sur leur degré de religiosité.

Il est notamment question des personnes et communautés originaires des Balkans (Kosovo, Macédoine, Serbie et Bosnie-Herzégovine) et du monde turc, qui représentent, soulignons-le, la majorité silencieuse des musulmans de Suisse, soit plus de 80% des personnes de culture musulmane en Suisse. De plus, une toute petite minorité en Suisse se définit comme pratiquante. Selon une étude scientifique en cours à l’Université de Lausanne , la pratique de la religion des musulmans en Suisse est en dessous de 10%. Ce taux est parfaitement comparable à la pratique des autres religions en Suisse.

Pour parer au piège de la politisation de l’islam en Suisse et de la sur-représentation des acteurs religieux musulmans dans l’articulation des valeurs et préoccupation des Suisses de culture musulmane, il est indispensable de mieux connaître cette population plurielle. Il est donc urgent d’allouer des moyens afin de créer des passerelles de communication et d’ouverture qui permettront de réfléter les opinions de cette majorité silencieuse. C’est le meilleur moyen de remédier au monopole de la représentation par une poignée d’acteurs qui cherchent à imposer une voix politico-religieuse au nom de la majorité des musulmans de Suisse.

Il faudrait également créer des cadres institutionnels adhoc afin d’encourager la participation démocratique des acteurs politiques et associatifs, à la fois laïques et religieux, dans le débat actuel. Plus concrètement, il faut que les visions de société et les valeurs de l’écrasante majorité de personnes de confession musulmane en Suisse puissent être accessibles à la société helvétique. De telles mesures ouvriront le champ d’un vrai débat constructif, au sein des musulmans de Suisse et de la société helvétique.

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* Bashkim Iseni est professeur de Sciences politiques à l’Université de Lausanne. Cet article a été écrit pour le Service de presse Common Ground (CGNews).

Source: Service de presse Common Ground (CGNews), 29 janvier 2010, www.commongroundnews.org

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