Depuis 2022, la province du Nord-Kivu est en proie à l’insécurité suite à l’activisme des rebelles du M23. Une situation qui a causé une crise humanitaire dans cette région, en raison des tueries, des violations des droits de l’Homme et du déplacement massif de la population. Les journalistes vivant dans les zones occupées par ces rebelles ne sont pas aussi épargnés par ce conflit armé. Regard sur les défis des professionnels des médias œuvrant dans les communes rurales de Kiwanja et Rutshuru en cette période d’incertitude !
« Chaque homme a sa passion qui le mord au fond du cœur, comme chaque fruit son ver ». Cette célèbre citation d’Alexandre Dumas prend tout son sens pour les journalistes exerçant dans les communes rurales de Kiwanja et Rutshuru, des zones occupées par les assaillants du groupe armé M23. Entre fuite des affrontements, travail en clandestinité et cohabitation avec les rebelles, ces professionnels des médias n’ont pas abandonné leurs plumes, malgré la peur au ventre. « Cela fait une dizaine d’années que je suis journaliste radio et web basé dans le territoire de Rutshuru. Travailler dans une zone en proie aux conflits armés n’est pas du tout facile. Nous nous laissons guider par notre passion », témoigne un confrère qui a requis l’anonymat, pour préserver sa sécurité.
Travailler en clandestinité
Dans ces zones, les rebelles continuent de garder leurs positions, en dépit des appels au « retrait de tous les groupes armés » lancés par les dirigeants d’Afrique de l’Est dans le cadre des accords de Nairobi. A Kiwanja et Rutshuru, les assaillants font toujours la loi. « Les affrontements entre les M23 et les FARDC impactent très négativement notre métier. Nous sommes obligés de travailler en clandestinité. Par conséquent, nous n’avons pas accès à nos sources d’informations », ajoute notre confrère.
Sur place, « certains médias ont même coupé leurs signaux par peur de représailles. Il s’agit par exemple de la Radio Umudiho Fm, colombe Fm et la Radiotélévision nationale congolaise Rutshuru. Toutefois, d’autres continuent d’émettre. Elles ne balancent que de la musique (…) Toutes les émissions communautaires et les journaux ont été suspendus », explique Kanyere, un journaliste de la Radio Colombe Nyanzale qui a fui les affrontements à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Néanmoins, « vu la vie difficile que les confrères qui ont fui les affrontements menaient, certains d’entre eux ont été obligés de retourner dans leurs milieux. Ce retour nous oblige à cohabiter avec les rebelles (…) Comprenez que nous n’avons pas d’autres choix », raconte cet autre confrère qui a requis l’anonymat.
La limite de la liberté de presse
En 2021, face à l’ampleur de l’insécurité, le président de la République Félix Tshisekedi a instauré l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Objectif : « mettre fin aux exactions et à l’insécurité grandissante ». Cependant, deux ans plus tard, la mesure peine à porter ses fruits, si l’on s’en tient à la persistance de l’insécurité. Au sein de l’opinion, plusieurs voix dénoncent le dérapage du régime militaire instauré dans ces provinces. Il s’agit par exemple d’arrestations des défenseurs des droits de l’Homme et activistes des mouvements citoyens.
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Dans ces provinces, Journalistes en Danger (JED), une organisation qui œuvre pour la protection des hommes et femmes de média dans le pays, avait dénoncé, en 2021, le meurtre « d’au moins trois journalistes » depuis l’instauration de ce régime. « On ne travaille pas en toute indépendance car d’un part menacé par les groupes armés, et d’autre part la pression du gouvernement congolais », confie notre confrère qui a requis l’anonymat. Selon lui, « le régime militaire censure les informations ».
Entre résilience et résignation
Dans ces communes rurales, les activités tournent au ralenti depuis l’entrée des rebelles du M23. Les professionnels des médias n’ont aucune source de revenu suite à la suspension des projets médias et les publicité des télécoms, entre autres. Nombreux d’entre eux, se sont orientés vers la presse en ligne. Cependant, ils ne sortent pas de l’auberge. Car, la quasi-majorité des médias en ligne du pays n’ont aucun modèle économique. « Nous travaillons comme des bénévoles, à la merci de la population sans rien gagner. Il est très difficile même à se procurer des forfaits internet, même les frais de transport pour accéder aux informations », regrette un autre confrère qui travaille pour un site internet qui couvre l’actualité du Nord-Kivu et de l’Ituri.
En effet, cette précarité conduit d’autres journalistes à envisager de quitter la profession. « Pour espérer vivre sans menace, sans être pointé du doigt, je pense qu’abandonner le journalisme pendant ce temps me permettra de vivre paisiblement comme tout autre citoyen, dans la zone contrôlé l’ennemi », confie notre confrère qui a requis l’anonymat.
L’espoir du retour de la… paix !
La situation sécuritaire se dégrade continuellement dans cette province. Le Nord-Kivu, situé dans la façade Est du pays, fait face à l’insécurité entretenue par l’activisme des groupes armés, depuis plus de 20 ans. Malgré les efforts du gouvernement et ses partenaires, cette partie du pays peine à retrouver la paix. Pour autant, les journalistes ne perdent pas espoir. « Nous restons toujours optimistes quant au retour de la paix dans nos territoires », rassure un autre confrère de la voix des Virunga (RVVI), une radio communautaire émettant depuis Rutshuru. « Peu importe le temps qu’il prendra, nous espérons au retour de la paix et de la liberté d’expression dans notre province », confie un autre journaliste d’un média en ligne couvrant les informations du Nord-Kivu.
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