Il y aurait plus d’une centaine de détectives privés au Cameroun… Mais ces agents privés de recherche, qui ont étudié à l’étranger pour la plupart, pâtissent d’un manque d’organisation et de législation criant. Leur métier est encore peu connu et surtout peu reconnu par les forces de l’ordre.
Le Cameroun est sans doute le pays d’Afrique centrale où l’on compte le plus de détectives privés. Difficile de donner un chiffre précis mais, selon les détectives eux-mêmes et les écoles de formation européennes par lesquels ils sont passés, ils seraient entre 100 et 500 à exercer, surtout dans les deux métropoles, Yaoundé et Douala… Il existe même un doyen de la profession, qui travaille depuis la fin des années 60 ! Pour autant, il n’y a pas d’institut de formation au Cameroun et le métier n’est toujours pas réglementé.
Quelles sont alors les solutions pour travailler au grand jour ? Mathieu Nguenkam Wansi, ancien élève du centre Universal Security Academy (institut de formation à distance basé à Roubaix, France), et directeur de l’agence Worldwide Investigators Agency, à Douala, explique : « Nous n’agissons qu’en vertu des mandats spéciaux que nous signent nos clients ». Cet agent de recherche de 37 ans travaille seul, épaulé par une secrétaire et un garçon de course. « Les professionnels comme moi sont appelés pour des missions ponctuelles qui nécessitent souvent des interventions telles que les filatures », indique-t-il, reconnaissant que les dossiers sont « rares ». Ses clients ? Des banques, des compagnies d’assurances, des avocats, des sociétés privées ou des particuliers. Pour eux, il recherche et localise des débiteurs évaporés dans la nature, il réalise des enquêtes de pré-contrat ou de pré-mariage, il fait des filatures en cas de soupçon de vol ou d’infidélité conjugale, il recherche des adresses, des documents et traque les déclarations frauduleuses.
« L’information est un besoin social
De son côté, Honoré Aboh, 33 ans, privé depuis 7 ans, précise qu’il est « inscrit au registre du commerce » de Douala. « Nous ne travaillons pas dans l’illégalité mais dans l’informel. Il n’y a pas de juridiction. Il faut arriver à s’imposer. Avec des diplômes ça passe mieux mais il manque une vraie réglementation et c’est pour cela que nous ne sommes pas bien vus par les forces de l’ordre. On peut être poursuivis pour enquête illégale. » Honoré Aboh, ancien élève de la filiale parisienne de l’Eide (Ecole Internationale des Détectives Experts de Belgique), a ouvert son cabinet il y a 4 ans et a embauché deux hommes et deux femmes, fait rare dans la profession. « Etre une femme est un plus dans le métier ! Cela peut ouvrir certaines portes. Et puis, on ne suspecte jamais une femme lorsqu’elle est jolie… »
Leurs missions : la gestion des informations et la sécurité (intérieure et extérieure) des entreprises. « Mon rôle est de sécuriser l’entreprise. Nous aidons les gens à étudier, vérifier et mieux gérer les informations. » De 2002 à ce jour, Honoré a… honoré 43 missions. Ses prix varient selon la longueur des missions en question. « C’est 15 euros minimum pour 1 heure de filature et 10 euros ensuite pour chaque heure supplémentaire et c’est, bien sûr, plus cher la nuit », précise-t-il. « C’est un tarif raisonnable car l’information est un besoin social. Il m’arrive aussi de mener des enquêtes bénévolement, lorsqu’il y a une erreur judiciaire et qu’une personne est condamnée à tort. Car au Cameroun, si vous n’êtes pas quelqu’un de haut placé, les enquêtes sont bâclées ! » Ces tarifs sont pourtant chers pour la majorité de la population, mais Honoré explique que « le Camerounais moyen ne contacte pas un détective car il ne sait pas ce que c’est… Nos clients sont des personnes nanties qui sont aussi les plus au courant. »
Bouche-à-oreille
M. Wansi note, lui, que ses tarifs sont relatifs au genre d’affaire, au milieu social du client, au matériel à utiliser et au nombre de personnes requises pour mener à bien la mission. « Nous étudions minutieusement le dossier avant de communiquer le montant de nos honoraires ou des provisions que nous réclamons avant chaque mission. » Pour faire connaître leur travail, les détectives comptent sur le bouche-à-oreille, préférant la discrétion à la publicité dans les journaux.
Au Cameroun, les détectives ne sont pas officiellement armés mais ils peuvent en faire la demande à l’Etat en tant que simples citoyens. Pour autant, peu d’entre eux penchent pour les armes à feu. Ils préfèrent user d’autres qualités : « Le plus important, c’est la loi du silence. Il faut savoir être discret », assure Honoré Aboh. Pour Mathieu Nguenkam Wansi, « les qualités requises pour être un bon détective » sont « l’honnêteté, la loyauté, l’intuition, l’esprit scientifique, la patience, la force morale et des notions correctes en Droit. »
Participer à la justice sociale
Les détectives camerounais tentent régulièrement de s’organiser. Après avoir créé une Association nationale en 1990, certains souhaitent voir la naissance d’un syndicat qui défendrait leurs droits. Ils ont déposé une demande au Parlement, rejetée il y a quelques semaines… Reste la motivation et la vocation. « Je suis devenu détective car j’étais en quête d’une liberté professionnelle, mais aussi parce que je voulais participer à la justice sociale de mon pays. Je voulais être utile pour la société », explique Mathieu Nguenkam Wansi.
Quant à Honoré Aboh, il a eu le déclic lorsqu’une de ses connaissances a été condamnée alors qu’elle était innocente. « Je me suis intéressé à l’affaire et je me suis dit que s’il y avait de vraies enquêtes dans notre pays, ce genre de choses n’arriveraient pas. Au bout de 2 ans d’enquête, la personne a été libérée… Je voulais faire ce métier car je suis profondément honnête. Il y a deux semaines, j’ai évité la prison à quelqu’un… »
Contacts :
Honoré Aboh, Caper (Cabinet Privé d’Etudes et de Recherches), BP 145 Douala-Cameroun, tél (00 237) 958 88 04
Mathieu Nguenkam Wansi, Worldwide Investigators Agency, BP 5069 Douala-Cameroun, tél/fax (00 237) 342 89 44