Les Lauréats des Rencontres « Danse l’Afrique, Danse ! » présentaient, en juillet dernier, leurs créations chorégraphiques dans le cadre du festival « Afrique[s] » à la Villette. L’occasion de redécouvrir la danse contemporaine grâce à deux troupes et un solo foncièrement modernes, qui restent attachés à leurs racines. Rencontre.
Trois troupes, trois façons de s’exprimer. Les artistes du « Plateau des Lauréats » – remporté à l’issue des Rencontres « Danse l’Afrique, Danse ! » à Tunis en mai dernier – véhiculent, grâce au langage des corps, des messages très divers. De l’importance de l’autre à la nécessité de résister, de la place des ancêtres à l’incontournable route que chacun emprunte pour évoluer. En coulisses, ils s’accordent tous sur la place de la danse dans la société africaine.
« La danse, en Afrique, c’est un combat. Nous sommes vus comme des personnages à part, éloignés de la société, et même déconsidérés. Chez moi, c’est un peu la dernière solution pour ceux qui ratent leurs études. Et pour les femmes, c’est encore plus compliqué », argumente DeLaVallet Bidiefono, le chorégraphe de Baninga. « Alors qu’être danseur, c’est aussi pouvoir être un moteur, d’une certaine façon… », reprend-il.
Le danseur, voix des sans-voix
Ces nouveaux danseurs africains notent avec soulagement l’évolution – lente – de la vision africaine sur les danseurs professionnels et se présentent comme les héritiers d’un art moderne, engagé, qui renouvelle la discipline. Pape Ibrahima Ndiaye, dit Kaolack, développe cette idée. Comme dans son spectacle, il parle de résistance ouverte, une manière passive et optimiste de résister : « Nous sommes la voix de ceux qui ne peuvent pas parler, nous sommes l’œil de ceux qui ne peuvent pas voir. Etre danseur, c’est être une sorte d’ambassadeur pour les siens ».
Chacun compte beaucoup sur les rencontres qu’il fera au cours de la tournée internationale, qui va notamment les mener de France en Europe, puis au Moyen-Orient. Elle représente en effet une véritable ouverture pour les danseurs. « Ici, pendant le festival « Afriques[s] », on a pu rencontrer de nombreux artistes africains, faire la connaissance aussi de gens venus de partout. Ce croisement-là, on en a besoin pour s’inspirer de l’autre, pour se connaître soi aussi. Ce festival est un soutien dans notre travail de tous les jours, il nous permet de nous “frotter” aux autres, de partager notre passion », commente DeLaVallet.
L’un des danseurs sud-africains enchaîne : « C’est pour nous l’opportunité de nous montrer à travers le monde, de travailler dans des conditions normales, grâce aux soutiens et aux subventions. Après, on verra, tout va dépendre du travail qu’on fournira et de la qualité de ce qu’on présentera, mais on y croit ! ». « Ensuite, conclut Kaolack, on espère pouvoir se produire en Afrique dans un aussi beau théâtre que celui-ci, pour montrer à ceux qui n’ont pas eu notre chance que c’est possible ».
Entre racines africaines et universalité
Danseurs, terriens, artistes, oui. Africains ? Aussi, mais la question n’est plus là. « On n’est plus, aujourd’hui, dans la nécessité de se poser la question de son identité. (…) On essaie aussi de s’ouvrir, sans oublier, bien-sûr, nos traditions », explique Kaolack. Tous sont fiers de leurs racines venues des quatre coins de l’Afrique : congolaises pour les membres de Baninga, sud-africaines et malgaches pour ceux d’Inzalo et Vahinala, sénégalaises pour Kaolack. Ce lien entre deux mondes, DeLaVallet la résume dans une phrase quasi-proverbiale : « Nous, Africains, il faut que l’on sache où est-ce que l’on était, où est-ce que nous sommes et où l’on veut aller. Sinon, on se perd ».
Plus que des danseurs, ces artistes sont des résistants. Dans J’accuse !, Kaolack tente d’ouvrir les yeux des Africains. Il cherche à les confronter à leur inertie hypocrite qui cautionne des régimes et des puissances au lieu de les combattre. Tout en mettant l’accent sur le potentiel à exploiter : « L’Afrique a beaucoup de richesses, et les danseurs devraient davantage puiser dedans », estime le danseur sénégalais. Kaolack n’en oublie pas pour autant que son travail et son identité ont été « mixés », métissés par les rencontres et les découvertes. Pour le plus grand plaisir des spectateurs…
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Photo : Wassim Soltani