La clôture du 18ème Sommet de l’Union africaine, lundi 30 janvier à Addis-Abeba, a donné lieu à un coup de théâtre inédit : l’échec de l’élection du Président de la Commission de l’Union. Le Gabonais Jean Ping, Président sortant, n’a en effet pas réussi à rassembler sur son nom les 2/3 des voix, nécessaires à son élection. L’unité africaine est-elle en panne?
Après quatre jours de retrouvailles, quatre tours de vote lors de la dernière journée du dix-huitième sommet de l’Union africaine (UA) à Addis Abeba, lundi 30 janvier 2012… Et aucun des deux compétiteurs, le Gabonais Jean Ping (69 ans), président sortant, et la Sudafricaine Nkosazana Dlamini-Zuma (63 ans), ancienne épouse de l’actuel président sud-africain Jocob Zuma, n’a pu rassembler à son compte la majorité obligatoire des deux tiers des voix pour être élu(e) à la tête de la Commission de l’ Union Africaine (UA).
Suite à cet échec électoral, la tenue d’un nouveau vote aura lieu dans 6 mois lors du prochain sommet de l’Organisation au Malawi. Dans l’attente d’ici là de trouver leur nouveau porte-drapeau, les chefs d’État et de Gouvernement africains, qui avaient ce lundi en fin de matinée, d’abord confié l’intérim à l’actuel vice-président de la Commission, le Kenyan Erastus Mwencha, ont quelques heures plus tard finalement demandé au candidat et président sortant de la Commission, Jean Ping, « d’expédier les affaires courantes jusqu’au prochain sommet de l’Organisation prévu en juillet 2012 ».
Doit-on parler d’un « continent divisé » ?
La nouvelle fut reçue comme un coup de massue, lorsque lundi en fin de matinée les dirigeants africains multipliaient tous azimuts les déclarations à l’égard de la presse exprimant ainsi leur incapacité à élire un président pour leur organe-clé, la Commission. Réunis depuis quelques jours dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, les 54 pays membres de l’Organisation Africaine (UA) ne sont donc pas parvenus à trancher, et ce même après 4 tours de scrutin, entre les deux candidats en lice, le francophone et président sortant, Jean Ping d’un côté, et l’anglophone et actuelle ministre sudafricaine de l’intérieur et ex-épouse du président Jacob Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma (63 ans) de l’autre.
Les soutiens et la sympathie peu ou prou clairement exprimés par les dirigeants pour ou contre tel ou tel candidat et l’analyse des résultats mathématiques du scrutin (selon les sources sûres, M. Ping n’obtient respectivement pour les trois premiers que 27, 28 et 29 voix contre 25, 26 et 24 pour sa rivale, tout comme au quatrième tour à l’issue duquel Jean Ping, seul candidat en lice suite au retrait obligatoire de la candidature de Mme Dlamini-Zuma -comme le prévoit le règlement- ne parvient à réunir que 32 voix à son compte… contre 20 bulletins blancs, passant ainsi, à quatre voix manquantes, à côté de la majorité qualifiée requise) mettent en quelque sorte en lumière les lignes de fracture linguistique et géographique sur le continent : d’une part une Afrique francophone et occidentale majoritairement pour le candidat originaire du Gabon et une Afrique anglophone et australe, numériquement minoritaire en termes de voix, mais assez soudée derrière sa candidate sudafricaine.
Alors que les dirigeants du continent s’apprêtaient avec impatience à installer la nouvelle équipe dirigeante de la Commission dans leurs nouveaux locaux « gracieusement » offerts par la Chine pour quelque 200 millions de dollars, et fraîchement inaugurés samedi dernier, ce « coup de tonnerre » politique viendra promptement siffler la fin du 18e sommet, le premier depuis le renversement de l’ancien guide libyen, Mouammar Kadhafi, qui s’était voulu figure de proue, toujours controversée, de l’Organisation.
Signe de désaveu pour Jean Ping ?
Un essai d’analyse ou de compréhension d’un tel échec pour l’Union Africaine (UA) ne pourrait se faire sans poser des questions à la fois sur la légitimité et la capacité du président sortant, Jean Ping, à rassembler et faire l’unanimité sur le continent, car le moins qu’on puisse dire est que l’ancien bras droit du président défunt Omar Bongo, aux manettes depuis 2008, a vu au fil de ces derniers mois, son image entachée, son leadership et sa crédibilité fortement mis en cause, du fait de son incapacité à faire face aux multiples conflits, qui depuis plus d’un an minent le continent et également à y faire entendre la voix de l’Afrique unie.
Tout partiuculièrement lors de la rébellion libyenne, l’Afrique du Sud reproche officieusement à Jean Ping sa fébrilité et son manque de fermeté, de n’avoir pas su apaiser les tensions anti-khadafistes et plus encore, de n’avoir pas réussi à exprimer le plus clairement et fermement possible son opposition à l’intervention de l’Otan en Libye, qui grâce à son arsenal militaro-aérien, a indiscutablement contribué à la chute et au décès de Mouammar Kadhafi. Trop grande proximité de Jean Ping avec les cercles français? Cette proximité en tous les cas semble avoir nuit, dans ce dossier, à la clarté des positions de l’Union africaine.
Un signe de démocratie peut-être ?
Si certains voient en la candidature de Mme Dlamini-Zuma non pas seulement le rejet de la personne de Jean Ping, mais aussi « une affaire de politique intérieure sud-africaine » (un journaliste de l’AFP relayait ainsi les propos d’un diplomate européen sous couvert d’anonymat) on pourrait aussi retenir de ce revers politique un scénario démocratique assez inédit, assez inhabituel au sein des instances africaines… Place à la discussion et donc obligation de construire un consensus raisonné?
Même si le blocage final de l’élection met plus que jamais en lumière une Afrique encore fragilisée politiquement, fissurée géographiquement et toujours incapable de dépasser ses velléités partisanes, plutôt qu’une Afrique en plein essor démocratique et affirmant sa capacité à choisir son chemin dans le dialogue.