Quelques mois seulement après son accession au pouvoir, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a reçu le prestigieux prix Nobel de la paix édition 2019. A peine un an plus tard, il se mue en chef de guerre ayant lancé une campagne militaire contre le Tigré, l’une des provinces de l’Ethiopie. Le comité norvégien est-il allé trop vite en besogne ?
Devenu Premier ministre d’Ethiopie, le 2 avril 2018, quelques semaines après la démission de Haile Mariam Dessalegn, Abiy Ahmed a revêtu un manteau de réformateur, posant des actes susceptibles de contribuer à l’enracinement de la paix en Ethiopie même, et entre le pays et ses voisins, notamment l’Érythrée. D’abord, suivant l’exemple de son prédécesseur, Haile Mariam Dessalegn, Abiy Ahmed procède à la libération de nombreux prisonniers politiques, le 29 mai 2018. En outre, il obtient, le 7 août 2018, la signature d’un accord de paix avec la rébellion sécessionniste du Front de libération oromo, active depuis les années 1970. De même, en novembre 2018, il fait appel à Birtukan Mideksa, une figure de proue de l’opposition éthiopienne alors en exil aux Etats-Unis, pour prendre la tête de la Commission électorale.
Mais l’action-phare de Abiy Ahmed qui lui a fait mériter le Prix Nobel de la paix reste son œuvre en faveur du retour de la paix avec le voisin érythréen. Le 9 juillet 2018, en effet, le Premier ministre éthiopien et le Président érythréen, Isaias Afwerki, déclarent la fin de l’état de guerre entre les deux pays – maintenu depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993 – ainsi que la normalisation de leurs relations. Dans les faits, cela s’est traduit par une visite du Président érythréen à Addis-Abeba, la réouverture des frontières, le rétablissement des liaisons aériennes entre les deux pays, la signature d’un accord de paix à Djeddah, en Arabie Saoudite, le 16 septembre 2018.
En récompense à ces actes posés, le comité du Prix Nobel de la paix a décidé de décerner au Premier ministre éthiopien la prestigieuse récompense, en 2019. Mais ces actes étaient-il suffisants pour accorder à Abiy Ahmed le Prix Nobel de la paix, un an seulement après son accession au pouvoir ? Il est clair qu’en 2019, au moment où il était désigné comme lauréat du prix, la question ne se posait pas. Mais aujourd’hui, au regard de la guerre que l’homme d’Etat a déclenché, depuis deux semaines, contre le Tigré, et du fait qu’il semble fermé à toute tentative de médiation, cette grande interrogation s’impose d’elle-même.
Le conflit fait déjà des centaines de morts et des milliers de déplacés ; il déborde même les frontières éthiopiennes. Mais le lauréat du Prix Nobel de la paix reste sourd à toutes les tentatives de médiation. Pour lui, la solution de la crise au Tigré ne peut être que militaire. Au point où le lundi 16 novembre 2020, le comité norvégien s’est dit « profondément préoccupé » par la situation dans la Corne de l’Afrique.
Abiy Ahmed n’étant pas le premier prix Nobel de la paix à poser des actes de guerre ou des actes peu glorieux après leur nomination, et donc à ternir l’image de la prestigieuse récompense, le comité du prix devra peut-être, à l’avenir penser à accorder la distinction seulement à des personnalités qui auront fini leur carrière, et dont on aura eu le temps de scruter tous les actes avec le recul nécessaire pour éviter des situations embarrassantes.