Les Etats-Unis ont annoncé, lundi, la restauration de leurs relations diplomatiques avec la Libye. Tripoli est ainsi récompensé pour sa coopération dans la lutte anti-terroriste, en même temps que les Majors américaines sont de nouveau autorisées à prospecter auprès du second producteur africain de pétrole. La politique intérieur n’est pas entrée en ligne de compte dans la décision de la diplomatie américaine, qui assure qu’elle défendra d’autant mieux les droits de l’homme une fois sur place.
Chassé en 1979 à la suite d’émeutes populaires, l’Oncle Sam est de retour à Tripoli. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice, a annoncé lundi que les Etats-Unis allaient totalement renouer leurs relations diplomatiques avec la Libye, plus d’un quart de siècle après avoir pris les premières sanctions contre le pays africain. « Nous prenons ces mesures en reconnaissance de l’engagement continue de la Libye à renoncer au terrorisme », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse, se référant également à « l’excellente coopération de la Libye avec les Etats-Unis (…) vis à vis des menaces globales encourues par le monde civilisé depuis le 11 septembre 2001. »
En récompense, la Libye va être retirée de la liste annuelle des états qui ne coopèrent pas complètement à la lutte antiterroriste. 25 ans après la fermeture du bureau du Peuple Libyen (ambassade) à Washington, Condoleeza Rice a également invité les autorités libyennes à « rehausser le niveau de [leur] bureau de liaison (ouvert en février 2004, ndlr) au niveau d’ambassade et à nommer un ambassadeur ». Les Etats-Unis faisant de même à Tripoli, où ils avaient installé une représentation diplomatique en juin 2004.
La métamorphose
Cette normalisation est l’aboutissement logique du processus engagé depuis la fin des années 1990 par la Libye pour changer son image d’état paria. Le signe le plus tangible de cette métamorphose, qui n’était pas la première pour le Guide de la Révolution, Muhammar Kadhafi, est intervenu en décembre 2003 lorsque a été annoncé la fin du programme d’arme de destruction massive (AMD) libyen. En avril de la même année, la Jamahiriya (Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, nom officiel) avait fait un premier geste en acceptant sa responsabilité civile dans l’attentat de Lockerbie (1988, 270 morts), quatre ans après que deux suspects aient été jugés à La Haye avec la collaboration libyenne. Depuis, les embargos et autres interdictions de commerce et de voyager sont tombés les uns après les autres, de la part des Nations Unies comme des Etats-Unis et des autres états qui avaient pris des mesures contre la Libye.
Sur le plan intérieur et extérieur, la Fondation Kadhafi, dirigée par Saïf el Islam, l’un des fils du Guide, s’est imposée à partir de 1999 comme la vitrine de la nouvelle diplomatie libyenne. « Clairement une institution politique au service de l’amélioration de l’image de la Libye et qui accompagne directement les Affaires étrangères », explique Olivier Martinez, chercheur au CERI (Centres d’études et de recherches internationales, Sciences Po Paris). L’organisation, qui avait fait son entrée sur la scène internationale à travers l’affaire des otages de Jolo (Indonésie), s’est également employée à l’intérieur sur des questions relatives aux droits de l’homme. Même si Amnesty International ou Human Rights Watch ont accordé des bons points aux autorités libyennes, après leurs dernières visites dans le pays, les deux ONG soulignent que d’importants efforts doivent encore être réalisés pour améliorer les droits de l’homme en Libye.
« Le lobby pétrolier a fait pression »
Signe que les droits de l’homme n’entrent pas en ligne de compte, les Etats-Unis n’ont même pas attendu le règlement du dossier des « infirmières bulgares » avant d’annoncer la normalisation de leurs relations diplomatiques. Arrêtées en 1999, ces dernières ont été condamnées à mort en mai 2004, accusées d’avoir sciemment inoculé le virus du sida à 426 enfants de l’hôpital de Benghazi (1000 Km à l’est de Tripoli). Sous la pression internationale, leur condamnation a été annulée et un nouveau procès organisé. Ouvert le 10 mai dernier, il a été reporté d’un mois. David Welch, secrétaire d’Etat adjoint pour le Proche Orient, a néanmoins assuré lundi que les Etats-Unis restaient vigilants sur la question des droits de l’homme. « Nous croyons que cette décision renforcera notre habilité à appuyer notre agenda pour la liberté en Libye. Notre désir qu’il en soit ainsi est connu du gouvernement libyen », a-t-il expliqué.
« Nous savons que les Etats-Unis ont plus d’intérêts économiques que de principes dans cette décision, estime pourtant Muftah Tayar, deputy secretary du NFSL (National front for the salvation of Libya), l’un des principaux partis d’opposition en exil, aux Etats-Unis. Le lobby pétrolier a fait pression sur le Congrès pour que toutes les barrières soient levées avec la Libye, qui dispose d’un potentiel énorme matière de production de pétrole. Maintenant, j’espère que David Welch voit juste. Et que les Libyens pourront profiter de l’ouverture, aller et venir, améliorer leur système éducatif, de santé… Nous saluons toute mesure qui permet de faire avancer les choses. »
Aux opposants en exil, dont l’impact sur « l’intérieur » n’a jamais été aussi faible, Kadhafi propose de venir discuter au sein des institutions libyennes, les seules démocratiques de la planète, selon lui. Mais le militant politique Fathi al Jahmi, comme d’autres, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué la politique du Guide sur des médias internationaux et appelé à des réformes. Détenu depuis mars 2004, il attend son procès. « Nous savons que Kadhafi n’a pas changé et qu’il va exploiter la normalisation des relations avec les pays occidentaux sur le plan intérieur, explique Muftah Tayar. Mais faisons le test. Et attendons de voir ce qu’il va advenir de Fathi al Jahmi et des détenus politiques en Libye ».