C’est par ajustements et réajustements successifs que les bonnes formules seront trouvées dans la lutte contre la corruption (expression consacrée mais assez triviale finalement).
Par ces temps pour le moins incertains, aucun Camerounais ne détient la vérité ni le commencement d’une solution définitive. Les options qui sont prises seront toujours contestées, soit qu’elles ne conviennent pas à l’idée que certains se font d’une bonne administration de la justice, soit que leurs limites soient établies à l’épreuve du réel.
Le Cameroun n’est pas « le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley et n’en prend d’ailleurs pas le chemin. Alors il faudrait, pour « remettre cet Etat à neuf », pour en faire une nation idéale, des institutions fortes. C’est-à-dire à la base un Etat fort. Un pouvoir qui ne transige pas par lâcheté, ne louvoie pas par crainte d’un soulèvement populaire ou d’un isolement international…
Un tel système serait évidemment un système quasi-totalitaire. Plus de progrès, ne nous en déplaise, signifie irrémédiablement plus d’autorité, dans un pays qui est plus dans l’état d’anarchie et de laxisme que de dictature et de répression. Il y a comme une culture de la pauvreté, une ingénierie du sous-développement, en lesquelles nous avons acquis une expertise non diplômante…
Les pesanteurs sociologiques sont réelles et les minimiser, c’est mentir aux Camerounais. L’autoritarisme dans certaines familles, dans les entreprises, dans les chefferies et dans le commerce quotidien est autrement plus grave que ce dont on se scandalise au sujet du pouvoir en place, quand exceptionnellement il fait arrêter des étudiants très volontaires, des journalistes trop engagés, catégories très sensibles mais guère au-dessus des lois.
Pour réussir au moins provisoirement, à charge pour les générations qui suivront de tout remettre à plat ou de bonifier un héritage historique dont on perçoit à l’avance la lourdeur du passif, il faut se la jouer collectif.
Yaoundé doit placer le peuple au centre de ses attentions. Dans le cas du Tribunal Criminel Spécial, ne peut-on pas expérimenter l’utilisation de « citoyens-assesseurs » ? Depuis l’acquittement sans élargissement de monsieur Atangana Mebara, le pouvoir des juges est questionné, après que leur indépendance a déjà fait l’objet de critiques vives et justifiées. Le ministère public rafistole d’autorité ses fautes et manquements. Paul Biya leur donne-t-il des présumés coupables ? Nos procureurs en font des présumés persécutés. La présomption de culpabilité est réelle et frappe toutes les « créatures du système », la présomption d’innocence est d’application légale, la présomption de règlements de comptes est d’évidence le postulat politique le mieux partagé au pays des grosses crevettes blanches.
Que faire ?
Aux Etats-Unis, cela fait partie de leur culture ; en France, c’est d’instauration postrévolutionnaire et tend à se généraliser (malgré le gel de son introduction en correctionnelle) ; au Cameroun, impliquer le peuple au nom duquel la justice proclame être rendue n’est pas qu’une idée, mais une urgence et même une nécessité. Le « tribunal criminel », au moins par sa dénomination, ne va pas sans évoquer la justice qui a été à l’œuvre en France au lendemain de la révolution. C’est à cette occasion justement que l’on avait vu pour la première fois des citoyens décider de la culpabilité des accusés.
Dans une justice impopulaire, des jurys populaires ne seraient pas pour déplaire à quiconque. Dans la société du soupçon qu’est la société camerounaise aujourd’hui, la désignation des jurés fera sûrement l’objet de palabres interminables, mais si l’on s’accorde sur le principe, le reste suivra comme de juste. Et cela participera d’une optique nouvelle, par un régime qui est dans une logique défensive de réactivité et d’anticipation, alors que ce faisant elle serait dans une stratégie offensive d’opportunisme salutaire. Le recours au peuple, comme loi suprême en temps d’incertitudes.
La justice va y gagner
S’il fallait encore en convaincre le régime comme je le suis déjà de la pertinence d’une telle démarche, je préciserais que le jury populaire ne serait pas un simple accessoire pour ces dames, il serait un authentique mode de gouvernance juridique, pris comme outil sinon de pilotage à tout le moins de contrôle et d’accompagnement de la bonne administration de la justice.