La drépanocytose est une maladie génétique du sang, dont il existe plusieurs formes. Cette anémie falciforme, souvent très douloureuse, concerne plus de 50 millions de personnes dans le monde, dont une grande partie d’Africains.
Le Professeur français Frédéric Galactéros revient sur l’apparition de cette maladie et sur son évolution au fil des années.
Les milles et un visages de la drépanocytose. Depuis son apparition, il y a plusieurs siècles, cette maladie génétique du sang, qui provoque notamment des crises de douleur très violentes, ne cesse d’évoluer. Principalement répandue sur le continent africain, elle concerne actuellement plus de 50 millions de personnes dans le monde. Afrik a rencontré, lors du deuxième Congrès international du Réseau francophone de lutte contre la drépanocytose (RFLD) (Cotonou, Bénin), le Professeur Frédéric Galactéros. Le praticien au Centre de la drépanocytose et des thalassémies de l’hôpital Henri Mondor de Créteil (région parisienne, France) est revenu sur la naissance de cette forme d’anémie falciforme. Le professeur d’université en génétique médicale a également expliqué quelles sont ses différentes formes et commente leur évolution.
Afrik : Comment est née la drépanocytose ?
Frédéric Galactéros : Nous sommes tous porteurs de mutations dans les milliers de gènes que nous avons. Certaines n’ont aucune incidence sur le quotidien. D’autres entraînent de petits défauts de fonctionnement, comme, par exemple, un ralentissement de croissance. D’autres enfin déclenchent des maladies. C’est le cas de la drépanocytose, qui s’est développée à cause du paludisme.
Afrik : Quel lien y a-t-il entre le paludisme et la drépanocytose ?
Frédéric Galactéros : Le paludisme, maladie parasitaire du globule rouge, a sélectionné la drépanocytose. En effet, les gens qui avaient le paludisme mais n’avaient pas de gène mutant (AA) étaient plus malades et mouraient davantage que les porteurs de la mutation (AS). Donc, au fil des siècles et des générations, cette mutation, qui était très rare au départ, est devenue plus fréquente. C’est d’ailleurs parce que le paludisme est très présent en Afrique, qu’elle touche beaucoup les Africains.
Afrik : Quelle est la répartition géographique de la drépanocytose en Afrique ?
Frédéric Galactéros : La forme SS prédomine en Afrique centrale, où environ 25% des gens sont AS. Dans toute l’Afrique de l’ouest, centré sur le Burkina Faso, il y a le gène C, qui est beaucoup plus récent, mais qui commence à supplanter le gène S. La forme SC provoque des maladies moins graves et protège aussi contre le paludisme, d’où son expansion. Dans de nombreux siècles et des siècles, il n’est pas impossible que dans certaines régions le gène S régresse progressivement au profit du C, qui est beaucoup moins agressif. Mais cela reste une hypothèse.
Afrik : Quelle est la combinaison génétique qui peut donner naissance à un drépanocytaire ?
Frédéric Galactéros : Les gènes de l’hémoglobine qui peuvent causer la maladie sont chez tout le monde au nombre de deux. Un qui vient du père et l’autre de la mère. Pour être drépanocytaire, il faut forcément avoir un gène S du père ou de la mère et quelque chose venant de l’autre parent qui permette au gène S de s’exprimer. Les gens qui sont AS ne sont pas malades, mais simplement porteurs du gène déficient. Ils n’ont donc pas les symptômes cliniques de la maladie. Contrairement aux drépanocytaires SS (gène S du père et de la mère, ndlr) ou SC (un parent transmet le gène S et l’autre le C, ndlr).
Afrik : Quelle est la forme la plus répandue de drépanocytose ?
Frédéric Galactéros : Auparavant, deux forces s’exerçaient sur la drépanocytose. Une force d’apparition chez les AS, plus résistants, et une force de disparition chez les SS (deux gènes malades, ndlr), qui tendaient à mourir faute de soins adéquates. Aujourd’hui, un certain équilibre s’est établi. En partie parce que les SS sont mieux pris en charge. Actuellement parmi les populations atteintes, environ 25% sont AS et 75% ont une autre forme de la maladie.
Afrik : Quelle est la forme la plus grave de drépanocytose ?
Frédéric Galactéros :La forme la plus répandue, la plus grave et dont on s’occupe le plus, est la forme SS. Mais, à l’intérieur de cette forme, pour des raisons qui font l’objet de beaucoup de nos recherches, il y a des cas très graves et d’autres qui le sont beaucoup moins. Pourtant, s’il y a la même hérédité pour l’hémoglobine, il devrait logiquement y avoir la même maladie. Or, ce n’est pas le cas. Ces variations restent pour l’instant un mystère. Mais nous pensons que dans les autres gènes de notre corps il y a de grosses différences qui peuvent influer en bien ou en mal sur la drépanocytose. Certains se défendraient donc mieux que d’autres face à cette maladie. Ils seraient en quelque sorte protégés naturellement. Contrairement à ceux qui souffrent terriblement de cette maladie.
Afrik : La forme SC est semble-t-il moins agressive que la SS…Pouvez-vous nous en donner quelques caractéristiques ?
Frédéric Galactéros : Cette forme de drépanocytose est un piège redoutable. En général, les malades SC ne se considèrent pas vraiment comme étant malades parce qu’ils font peu de crises. Ils se font aussi suivre moins régulièrement. Mais quand ils ont une crise, elle peut être aussi grave que celle d’un SS. La surveillance des yeux est très importante dans toutes les formes de drépanocytose, mais particulièrement dans la forme SC. Alors, quand je vois des patients SC, j’insiste pour qu’ils aillent consulter un ophtalmologiste. C’est très important, car ils risquent de perdre la vue. Et cela arrivera d’un coup, sans prévenir. En ce qui concerne la maternité, les femmes enceintes SC sont plutôt en bonne santé pendant la grossesse et ne font pas autant d’anémie que les SS. Mais parfois, si elles font une crise drépanocytaire qui atteint le placenta, le bébé n’est plus suffisamment nourrit et décède in utero. D’où l’importance d’un dépistage précoce pour éviter les accidents de grossesse.
Afrik : De quoi souffrent majoritairement les enfants drépanocytaires ?
Frédéric Galactéros : Les enfants ont très peu de complications chroniques installées (atteintes osseuses, rétinienne…) avant 15 ans. Ils présentent surtout des manifestations aiguës sur trois registres principaux : l’anémie, les infections et les crises douloureuses. A cela il faut ajouter que, pour 10% à 15% d’entre eux, des accidents vasculaires cérébraux redoutables, qu’il faut rechercher aujourd’hui systématiquement dès le plus jeune âge. Car les conséquences peuvent être minimes, mais aussi dévastatrices : au moment où certaines cellules du cerveau meurent (c’est ce que l’on appelle un infarctus cérébral), des déficiences intellectuelles ou moteurs peuvent survenir. Toutes ces manifestations sont des particularités pédiatriques. Une fois que le cap critique de l’adolescence est passé les choses vont en s’améliorant. Car à l’évolution positive de la maladie, s’ajoute le changement de statut social. L’autonomie et l’acceptation de son corps est une étape est particulièrement douloureuse, dans laquelle il faut soutenir les jeunes. Il faut discuter avec eux pour qu’ils se réconcilient avec leur corps. C’est pourquoi nous avons besoin de beaucoup de psychologues pour aider les jeunes adultes à s’accepter comme ils sont. Une fois que cela est fait, les choses deviennent plus faciles à gérer au quotidien.
Afrik : Vous travaillez dans un centre qui prend en charge les adultes drépanocytaires. Comment se passe leur prise en charge ?
Frédéric Galactéros : Dans le centre pour adultes dont je m’occupe, en région parisienne (France, ndlr), nous sommes complètement débordés par le nombre de malades qui viennent nous voir. Ils développent toute une série de problèmes qui nécessitent une collaboration avec d’autres spécialistes parce qu’ils ont des atteintes osseuses, oculaires, auditives, hépatique ou encore souffrent de priapisme ou encore d’ulcère à la jambe. La fréquence de ces complications est faible. Mais il y a une très grande diversité des problèmes qui oblige à être compétent dans de nombreux domaines. C’est pourquoi nous considérons que la drépanocytose est une maladie de système, c’est-à-dire qui peut générer potentiellement une multitude de complications. Notre travail consiste à lutter contre ces problèmes une fois qu’ils sont déclarés, mais aussi à comprendre pourquoi ils surviennent afin de faire de la prévention.
Afrik : Certains présentent des médicaments, comme le VK500, comme étant miraculeux contre la drépanocytose. Qu’en pensez-vous ?
Frédéric Galactéros : S’il y avait eu des miracles dans le traitement de la drépanocytose, cela se saurait. Pour ce qui est du VK500, il a été développé et promu au Bénin. C’est un médicament sous forme de gélules issu d’un mélange de plantes bien connues, donc il y a une certaine régularité dans le produit. Mais il a été tout de suite promu comme anti-drépanocytaire avant qu’il y ait une véritable démonstration. A l’heure actuelle, une pression est exercée, à juste titre, pour qu’il soit testé. Nous avons des souris rendues drépanocytaires par la science. En leur administrant le médicament, il sera facile de voir s’il est efficace ou pas.
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