La Princesse Esther Kamatari sera candidate aux élections présidentielles prévues au Burundi en 2005. Des élections qui permettront de tourner a priori la page sur près de onze ans de guerre civile. Esther Kamatari y compte bien en rétablissant une monarchie constitutionnelle qui, selon elle, garantira la paix dans son pays.
Reine des podiums et princesse des rugos (habitat traditionnel burundais). Esther Kamatari est née en 1951 au Burundi. Son père n’est autre que le frère du roi burundais Mwambutsa IV. L’assassinat de son père en 1964 et la fin, sur fond de violence, de la monarchie la poussent à s’exiler en France. Elle y poursuivra des études de droit, après l’Ecole nationale, et y deviendra le premier mannequin noir africain à participer à des défilés Haute couture. Au début des années 90, le Burundi vit des heures difficiles et est bientôt ravagé par une guerre civile. Les enfants et les femmes sont évidemment les premières victimes. C’est le début de l’engagement humanitaire de la Princesse, qui se rend régulièrement dans son pays. En 1995, elle lance l’association « Un enfant par Rugo ». Son objectif : trouver une famille d’accueil pour les orphelins burundais. Près de 500 orphelins ont ainsi retrouvé un cadre familial grâce à une association qui compte près de 20 000 femmes. La Princesse Esther Kamatari est également la présidente de l’Association des Burundais en France. C’est donc cette élégante quinquagénaire dynamique, toujours vêtue de blanc, signe de sagesse, qui va se présenter pour le compte du tout jeune parti monarchique Abahuza (rassembler an kiswahili), dont elle est le porte-parole, aux présidentielles de 2005 au Burundi. Esther Kamatari est mariée et mère de trois enfants.
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous pousse à vous présenter aux prochaines élections présidentielles au Burundi ?
Princesse Esther Kamatari : L’envie de vouloir participer à la construction de mon pays en tant que citoyenne. On ne peut pas continuer à voir un pays partir en lambeaux sans réagir, c’est un devoir de citoyen !
Afrik.com : Qu’est-ce qui fait, selon vous, votre légitimité ?
Princesse Esther Kamatari : Le fait d’avoir été désignée par le parti (Abahuza, ndlr). C’est aussi simple que cela.
Afrik.com : Pensez-vous que le Burundais moyen se reconnaît en vous, la princesse qu’on pourrait prendre pour une tutsie, alors que la majorité de la population est hutue…
Princesse Esther Kamatari : Je suis ganwa (clan royal, ndlr), membre de la famille royale. Je ne suis ni hutue, ni tutsie, mais Burundaise. Je voudrais qu’on arrête de dire les hutus et les tustis comme s’il y avait des bons et des mauvais. Il n’y a pas que des Burundais à part entière et des Burundais entièrement à part. Il y a tout simplement des Burundais.
Afrik.com : Votre candidature fait couler beaucoup d’encre et de salive, surtout en référence à votre passé de mannequin…
Princesse Esther Kamatari : Les gens oublient que la mode est une industrie dont ils sont également consommateurs. Et si l’on pouvait amener cette industrie chez nous, elle contribuerait à réduire la pauvreté. Je suis très fière de mon passé de mannequin, surtout d’avoir été la première mannequin noire en France. Les gens qui s’attardent sur ma carrière dans la mode s’intéressent très peu en définitive sur le sens de mon engagement politique.
Afrik.com : Ils parlent aussi de votre inexpérience en politique…
Princesse Esther Kamatari : La politique, c’est la gestion des choses de la cité. Personne n’a la science infuse pour s’occuper de la cité. Il y a un proverbe burundais qui dit que tous les coqs qui chantent étaient avant des oeufs. Tout s’apprend, la politique s’apprend aussi.
Afrik.com : Quelles sont les grandes lignes de votre programme politique ?
Princesse Esther Kamatari : Pour l’instant, devant une population qui meurt tous les jours de la faim, de la pauvreté, je crois qu’il y a des choses pragmatiques, essentielles à faire. En ce sens, le tissu social, la santé et l’éducation sont des domaines prioritaires.
Afrik.com : Votre programme est donc avant tout social ?
Princesse Esther Kamatari : Cest franchement un programme social. Après, on verra. Il n’est pas envisageable de construire un pays avec des gens qui meurent de faim. Ventre creux n’a pas d’oreille. Vous imaginez un instituteur qui est payé environ 50 euros par mois. Comment voulez-vous qu’il fasse des choses, qu’il ne veuille pas arrondir ses fins de mois d’une manière ou d’une autre. Bien évidemment, il faut relever l’économie : 90% de la population burundaise est une population rurale. Il y aurait peut-être moyen de diversifier notre agriculture et de pouvoir exporter certains produits à destination des pays voisins. Cependant, il y a avant tout un tissu social qu’il va d’abord falloir reconstruire. Et bien entendu, on ne pourra rien faire si on n’a pas la paix.
Afrik.com : Vous souhaitez également rétablir la monarchie ?
Princesse Esther Kamatari : Absolument. Mais c’est une monarchie constitutionnelle comme l’était le Burundi après l’indépendance (Le Burundi fut un Etat monarchique entre 1962 et 1966, ndlr). Et à ce moment, personne ne se levait pour couper ses voisins en rondelles. Le roi était le père de la nation, il n’avait pas de préférence pour l’un ou l’autre. Il était le garant de la stabilité du pays. Et de certaines valeurs comme l’humanisme – « Ubuntu , le respect – « Ubupfasoni », la sagesse – « Ubushingantahe », l’éducation…
Afrik.com : Si vous accédiez au pouvoir, vous organiseriez donc un référendum dans ce sens ?
Princesse Esther Kamatari : Dans la nouvelle constitution burundaise, il est prévu que l’on puisse rétablir la monarchie par voie référendaire. Le Burundi est devenu une République après l’assassinat du Roi en 1966. On n’a pas demandé au peuple ce qu’il voulait. Ne fut-ce que par respect, on pourrait leur demander le mode de gouvernance qu’il souhaite aujourd’hui ?! Par ailleurs, quand on regarde les pays où il y a des monarchies constitutionnelles, ce sont quand même les pays où il y a le plus de liberté. Regardez des pays comme la Hollande, le Danemark, le Luxembourg… Ce sont des pays où il y a la paix.
Afrik.com : Pour reconstruire le pays, vous comptez beaucoup sur les femmes. Pourquoi ?
Princesse Esther Kamatari : S’il n’y avait pas les femmes, il y aurait pas de pays. Ce sont toujours les femmes qui, dans tous les pays en conflit, et même dans tous les autres, préservent la vie. Ce sont ces mêmes femmes qui doivent fuir, courir… Ce sont les mêmes qui souffrent, d’autant qu’elles connaissent la valeur de la vie. Justement parce qu’elles la donnent. Et puis ce sont toujours les femmes qui paient toujours le prix de la folie des hommes… Les femmes et les enfants.
Afrik.com : Féministe…?
Princesse Esther Kamatari : Pragmatique, terre à terre même (rires).
Afrik.com : A cinquante ans et des poussières, sentez-vous les ressources nécessaires pour vous lancer ce défi que sont les présidentielles ?
Princesse Esther Kamatari : Je me livre à un calcul tout particulier. Si l’on enlève les années d’exil, celles pendant lesquelles mon pays était en guerre, je suis encore très jeune et pleine d’énergie à revendre.
Afrik.com : En d’autres termes, vous êtes prête pour le combat, car il s’agit bien d’un combat ?
Princesse Esther Kamatari : Un énorme combat. Mais vous savez, il y a plein de Goliath et de David. Mais je crois que ce qui dérange le plus, en dehors du look, des cheveux, de la carrière, c’est le fait que je sois une femme. Alors ils (les hommes, ndlr) se comportent tous comme si le pouvoir était un domaine réservé. Le leur en l’occurrence. Et les femmes sont toujours reléguées aux casseroles. Je suis persuadée que l’Afrique sera sauvée par les femmes. Wangari Maathai (première femme africaine à recevoir le prix Nobel, en 2004, de la Paix) nous a ouvert la voie.
Afrik.com : On vient de reporter encore une fois le référendum qui doit conduire aux fameuses élections de 2005. Cela vous décourage-t-il ?
Princesse Esther Kamatari : En aucune manière. Ces élections devront dans tous les cas avoir lieu. La communauté internationale s’y est engagée. Autrement, ce serait une honte pour elle.
Afrik.com : Sincèrement pensez-vous que vous avez quelque chance de remporter, le scrutin présidentiel de 2005 au Burundi ?
Princesse Esther Kamatari : J’ai la foi !
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