Esther Benbassa est directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Sénatrice du Val-de-Marne et vice-présidente de la commission des lois du Sénat. Sa nouvelle œuvre « Vendredi noir et Nuits blanches » vient de paraître, et elle apparaît comme un des livres français actuels les plus réussis, écrits par une personnalité politique. Michel Tagne Foko l’a rencontrée et a confié cet entretien à AFRIK.COM.
Michel Tagne Foko : Pourquoi ce livre, et, pourquoi maintenant ?
Esther Benbassa : L’idée de ce livre est née au cours des jours qui ont suivi l’attentat du 13 novembre, puisque j’habite à côté, et cet attentat m’a fait revenir sur ma propre vie et sur ce que j’ai connu dans mes différentes pérégrinations. Et ça m’a permis également, pendant cette année d’actes terroristes terribles et d’événements politiques très compliqués, de retracer un peu, c’est une sorte de chronique, également une chronique littéraire de cette année terrible qui est aussi pour moi une année de descente un peu dans mon propre enfer. Et aussi de raconter comme une visiteuse de nuit, puisque je ne viens pas de la politique directement, de raconter mon intrusion, j’utilise ce mot, dans la vie politique.
M.T.F : Vous n’écrivez pas les noms des terroristes, que des initiales, pourquoi cela ?
Esther Benbassa : Parce que je n’avais absolument pas envie de faire de la publicité à ces personnes qui en tuant et en se tuant deviennent des héros d’un jour. Et parce que pour moi, ce sont des héros négatifs, totalement travaillés par une idéologie funeste, je n’avais absolument pas envie de leur faire de la publicité !
M.T.F : Dès les premières pages du livre, vous nous parlez d’un kidnapping, pas n’importe lequel, mais celui que vous avez subi plus jeune. Se faire kidnapper est généralement quelque chose de traumatisant et il se dit que quand on subit ce genre de chose, on est amené à se replier sur soi, mais comment expliquer que, dans votre cas, vous êtes ouverte aux autres… Y a-t-il eu un suivi, un traitement ?
Esther Benbassa : Ce n’est pas un kidnapping, enfin, j’étais un peu partie volontairement. C’est un peu mon univers à moi, où je suis une sorte de personne cosmopolite universelle. Ça raconte aussi un peu ce que je suis, c’est vrai, une personne très liée aux minorités, aux souffrants, aux sans-voix, aux malheureux, aux réfugiés, à la cause gay… enfin, vous savez, voilà, c’est un peu moi. [Rires]
M.T.F : Il y a une magnifique scène dans votre livre, qui m’a énormément marqué, quand vous racontez par exemple que quand vous étiez en Israël et que le CNRS a oublié de vous rapatrier et que vous êtes allée voir votre mère qui était dans son appartement en train de trier son riz sans être au courant de ce qui se passait à l’extérieur… Il est vraiment très touchant ce passage.
Esther Benbassa : [Rires] Il est vrai, voilà ! C’est ce qui s’est passé. Vous savez, euh… tout le monde ne vit pas les événements de la même manière, c’est ça !
M.T.F : Il est écrit, page 17, « habitués » qu’ils sont à cette violence, les Israéliens recommencent à sortir, à fréquenter cafés, terrasses et spectacles. Jusqu’à la prochaine attaque. » S’habitue-t-on vraiment au terrorisme ?
Esther Benbassa : On ne s’habitue pas, mais on vit avec. On ne s’habitue jamais, mais on vit avec, et on essaye de vivre parce qu’il faut que la vie domine la mort !
M.T.F : Comment réussit-on, comme vous, à parler du monde, tout en parlant de soi ?
Esther Benbassa : On peut parler du monde et de soi en même temps lorsqu’on n’est pas coupé du monde, qu’il y a une interaction et qu’on est conscient de ce qui se passe autour de soi et qu’on ne s’enferme pas dans son ego !
M.T.F : Serait-il possible de nous parler de l’un de vos plus beaux moments de culture ?
Esther Benbassa : Vous savez, j’adore la musique, j’adore le théâtre, je suis quelqu’un qui sort pas mal, qui est amateur d’art, je suis surtout petite collectionneuse, parce que je suis pauvre, pas assez riche, je veux dire (…) je me lève et je regarde mes tableaux ou mes sculptures. Voilà !
M.T.F : Chacun de nous a sa propre définition de la culture, et vous, comment la définissez-vous ?
Esther Benbassa : La culture c’est une fenêtre qui s’ouvre vers le monde, mais qui ne se ferme jamais !