Il y a cinquante ans, la France entamait son ère nucléaire avec une série d’essais dans le Sahara algérien, avant de les poursuivre en Polynésie française. Ce triste anniversaire arrive au moment où la première loi sur l’indemnisation des victimes est publiée. L’Algérie rejette les indemnisations annoncées par la France et demande la levée du secret défense.
Le 13 février 1960, l’opération «Gerboise bleue» était lancée. La première bombe atomique française explosait près de Reggane, dans le grand sud algérien, à 170 kilomètres d’Alger, faisant de la France la quatrième puissance nucléaire après les Etats-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni.
Cinquante ans après les faits, une loi sur l’indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires français, déclarés en Algérie et en Polynésie, a été votée et promulguée le 5 janvier 2010. Mais elle ne satisfait pas les associations des victimes algériennes, car le litige porte sur les maladies imputables et non sur les irradiations.
La France doit faire «preuve de transparence» sur ses essais nucléaires dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966, a déclaré samedi Ammar Mansouri, chercheur du Centre nucléaire d’Alger, lors d’une conférence-débat donnée dans les locaux du quotidien El Moujahid, dans la capitale algérienne. « Contrairement à la thèse officielle française, il y a eu 57 explosions et non 17, car il a eu quarante essais complémentaires, avec dispersion de plutonium notamment » sur les sites de Reggane et celui de In M’guel, plus au sud encore, a-t-il ajouté. Il a aussi demandé «la levée du secret défense sur toutes les archives concernant les expérimentations afin qu’elles servent de document de référence aux experts, condition sine qua non pour toute discussion avec la partie française».
Crime contre l’humanité
Samedi, Abderrahmane Lagsassi, le président de « l’Association du 13 février » a rejeté les indemnisations proposées en janvier par le ministre français de la Défense Hervé Morin. «Comment accepter ces indemnisations humiliantes, nos victimes viennent après les vétérans français et la population de Polynésie, alors que c’est notre population qui a souffert, qui a servi de cobaye à la France pour lui permettre d’acquérir l’arme nucléaire ? », a-t-il dénoncé samedi. Pour lui, la question n’est pas une affaire d’indemnisation des victimes irradiées «mais plutôt celle de la reconnaissance des crimes commis contre des populations innocentes». Le plus important pour les Algériens semble être que la France reconnaisse aujourd’hui que les essais nucléaires, effectués dans le cadre de l’opération Gerboise bleue, « constituent un crime contre l’humanité », a ajouté M. Lagdassi.
Des victimes oubliées
Selon le responsable de l’Association algérienne des victimes des essais nucléaires (AAVEN), Mohammed Bendjebbar, la région touchée par les tirs comptait entre 16 000 et 20 000 habitants. Mais il est impossible de savoir combien de personnes ont été contaminées lors des essais souterrains et atmosphériques effectués dans le désert algérien, les populations locales menant souvent une vie nomade.
Aujourd’hui, les conséquences destructrices de ces essais en Algérie sont encore perceptibles. Selon une étude de l’association effectuée en 2001 par un chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les vétérans ont deux fois plus de cancers. « Les conséquences de ces essais sont ressenties sur des générations » en Algérie, a aussi précisé Ammar Mansouri, citant en exemple différents cancers, des problèmes cardio-vasculaires ou ophtalmologiques. Une oncologue a ajouté à cette liste des troubles de croissance, des malformations ou anomalies chez la descendance. La baisse des ressources hydriques et le tarissement des puits en sont d’autres conséquences alarmantes.
A ce jour, aucune cartographie des sites des dépôts des déchets radioactifs n’a été fournie à l’Algérie et ce n’est que 50 ans après les essais nucléaires qu’une probable décontamination des sites fait l’objet d’étude. Pour le président de «l’Association du 13 février», l’objectif est de «désinfecter et de décontaminer toute la région» et de construire «un hôpital spécialisé dans le traitement de toutes les pathologies causées par les essais nucléaires».
Paradoxalement, la France a accepté d’indemniser les populations de la Polynésie française où les essais ont perduré jusqu’en 1996. Tandis qu’en Algérie, les victimes attendent encore qu’on leur rende justice. Pour avancer dans le débat, l’Algérie cherche à faire pression sur la France pour que la lumière soit enfin faite sur les circonstances du dossier et pour ainsi pouvoir le présenter devant les instances internationales.