Soixante cinq ans après les premiers essais nucléaires français dans le Sahara, l’Algérie inscrit dans sa législation environnementale la lutte contre les déchets radioactifs. Entre reconnaissance historique et réparation environnementale, Alger intensifie sa pression sur Paris pour obtenir justice sur un dossier qui continue d’empoisonner les relations bilatérales.
Plus de six décennies après les premiers essais nucléaires français dans le Sahara algérien, l’Algérie intensifie ses revendications pour que la France assume ses responsabilités historiques, environnementales et morales. Jeudi 23 janvier, la ministre de l’Environnement et de la Qualité de la vie, Nadjiba Djilali, a annoncé que la lutte pour l’élimination des déchets radioactifs sera désormais inscrite de manière « claire et explicite » dans la législation environnementale nationale. Une nouvelle étape dans ce combat de longue haleine.
Un héritage toxique toujours d’actualité
Entre 1960 et 1966, la France a mené une série d’essais nucléaires dans le sud algérien, notamment à Reggane, In Ekker, et In M’guel, dans le cadre de l’opération « Gerboise bleue ». La première explosion, le 13 février 1960, fit de la France la quatrième puissance nucléaire mondiale, mais au prix de dommages irréparables pour l’environnement et les populations locales. Selon des chercheurs algériens, ces essais, officiellement au nombre de 17, auraient en réalité inclus 40 tirs complémentaires, dispersant du plutonium et d’autres éléments radioactifs dans ces régions désertiques.
La ministre Nadjiba Djilali a qualifié ces explosions de« violation à l’encontre de notre pays et de notre peuple », tout en rappelant que les impacts de cette tragédie continuent de se faire sentir aujourd’hui : cancers, malformations congénitales, troubles cardio-vasculaires et ophtalmologiques, ainsi qu’un tarissement inquiétant des ressources hydriques locales. À ce jour, aucune cartographie précise des sites contaminés n’a été fournie par la France.
Justice historique et environnementale : des revendications claires
Lors de l’adoption de la nouvelle loi sur la gestion des déchets par le Conseil de la nation, la ministre Djilali a insisté sur la nécessité pour la France d’assumer « pleinement ses responsabilités historiques, morales et juridiques », en éliminant les déchets radioactifs et en reconnaissant l’ampleur des préjudices causés. Ce texte, salué pour ses « dimensions dépassant les défis environnementaux actuels », représente aussi un message lié à la justice historique et environnementale. En cette période de tension entre les deux pays, c’est aussi une façon de rappeler à la France qu’elle a des dettes vis à vis de l’Algérie.
Le président de la commission de l’équipement et du développement local, Mohamed Ben Taba, a souligné l’importance de lier les revendications environnementales à la mémoire collective nationale.
Un combat ancien, mais toujours pertinent
Les appels algériens pour une reconnaissance des crimes liés aux essais nucléaires ne datent pas d’hier. Déjà en 2010, lors du cinquantenaire de « Gerboise bleue », des associations de victimes dénonçaient le manque de transparence de la France, notamment l’absence de levée du secret-défense sur les archives militaires.
Ammar Mansouri, chercheur au Centre nucléaire d’Alger, avait révélé lors d’une conférence que les effets délétères de ces essais étaient largement sous-estimés par les autorités françaises.
Une problématique mondiale des essais nucléaires
La question des essais nucléaires et de leurs conséquences dépasse le cadre franco-algérien. En Polynésie française, la France a conduit 193 essais entre 1966 et 1996, causant des dommages sanitaires et environnementaux similaires. Aux Îles Marshall, les États-Unis ont mené 67 essais (1946-1958), établissant un programme d’indemnisation conséquent via le Nuclear Claims Tribunal, avec 759 millions de dollars versés.
Ces précédents soulignent les différences d’approche en matière de reconnaissance et de réparation selon les pays, l’Algérie restant à ce jour dans l’attente d’une réponse satisfaisante de la France, ne serait-ce que sur la reconnaissance des essais et leur cartographie !
L’indemnisation des victimes, bien qu’incluse dans une loi française adoptée en 2010, avait été rejetée par l’Algérie, qui estimait qu’elle constituait une démarche insuffisante et inéquitable. Selon Abderrahmane Lagsassi, président de l’« Association du 13 février », l’objectif était moins une question d’indemnisation qu’une reconnaissance officielle des essais comme « un crime contre l’humanité ». À ce jour, ces revendications restent un sujet de tension diplomatique entre les deux pays.
Des silences qui interpellent
L’histoire des essais nucléaires dans le Sahara reste marquée par des zones d’ombre. En 2007, le téléfilm Vive la Bombe !, produit par Quentin Raspail, exposait les conséquences d’un essai raté à In Ekker en 1962, où un nuage radioactif avait irradié civils et militaires. A cette époque, plus de 45 ans après les faits, la France continuait à nier ses responsabilités et à contester les décisions de justice en faveur des victimes.
Ce silence persistant illustre une gestion étatique centrée sur la raison d’État, au détriment des populations affectées, une critique récurrente dans ce dossier. Comme l’a rappelé Nadjiba Djilali, il est impératif de continuer à documenter ces crimes et à utiliser tous les moyens possibles pour « arracher le droit de notre peuple et protéger notre environnement ».
L’Algérie envisage aujourd’hui de porter ce dossier devant les instances internationales. Cette initiative pourrait s’inscrire dans un contexte plus large de réclamations mémorielles entre l’Algérie et la France, où des questions telles que la restitution des biens culturels ou la reconnaissance des massacres coloniaux continuent d’alimenter les débats.